Une femme sur 5 est diagnostiquée d’un cancer du sein alors qu’elle est encore en âge d’avoir un enfant. Pourtant, un certain nombre d’entre elles devront renoncer à fonder une famille car, à l’issue des traitements curatifs, elles se verront prescrire pendant 5 à 10 ans une hormonothérapie. Ce traitement, destiné à réduire leur risque de récidive, empêche toute grossesse puisqu’il provoque une ménopause artificielle.
Des fenêtres thérapeutiques1 sont parfois accordées pour permettre à ces femmes de tomber enceintes. L’étude internationale POSITIVE a cherché à déterminer si cette suspension temporaire de l’hormonothérapie les met en danger. Le Dr Decanter, chef du service d’assistance médicale à la procréation et préservation de la fertilité au CHU de Lille, y a participé. Elle répond à nos questions.
Pouvez-vous nous expliquer brièvement en quoi consistait l’étude POSITIVE à laquelle vous avez participé ?
Dr Decanter : Cette étude a porté sur 518 femmes âgées de moins de 42 ans, sous hormonothérapie après un cancer du sein, et qui avaient un projet de grossesse. Nous leur avons proposé de suspendre leur traitement pendant 2 ans pour concevoir un enfant.
Le protocole, comme tout essai clinique, était très cadré : ces femmes devaient avoir suivi une hormonothérapie pendant au moins 18 mois et la fenêtre thérapeutique n’était que de 2 ans, grossesse comprise. Ce qui est assez court.
Concrètement, comment avez-vous accompagné ces femmes atteintes de cancer dans leur projet de grossesse ?
Tout d’abord, on faisait passer un bilan de fertilité au couple : les femmes passaient une radiographie des trompes2 et leur conjoint, un spermogramme. Il n’était pas question qu’elles arrêtent leur hormonothérapie si on s’apercevait qu’il existait un facteur de risque d’infertilité chez elles ou leur conjoint.
Ensuite, elles devaient attendre 3 à 4 mois pour qu’il n’y ait plus de trace d’hormonothérapie dans leur organisme et donc pas de risque de toxicité pour le fœtus.
On pouvait alors intervenir pour maximiser les chances de conception. Les patientes célibataires pouvaient réaliser 1 ou plusieurs cycles de préservation ovocytaire si elles n’avaient pas pu avoir de préservation de la fertilité avant leur traitement, ou si le nombre d’ovocytes prélevés était jugé insuffisant. Si les patientes en couple avaient un bilan de fertilité normal, on leur dispensait des conseils pour optimiser leurs chances de tomber enceinte spontanément. En cas d’infertilité, on mettait en œuvre un parcours d’insémination intra-utérine3, une FIV ou la réutilisation des ovocytes congelés.
Des bébés sont-ils nés pendant l’étude ?
Oui. Il y a eu 365 naissances. Le taux de grossesses et d’accouchements étaient similaires à ceux de la population générale.
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Et concernant le risque de récidive après la suspension de l’hormonothérapie ?
Il s’agit de résultats intermédiaires, nous ne sommes qu’à 3 ans de suivi, il convient donc d’être prudent sur cette question. Malgré tout, la fenêtre thérapeutique de 24 mois n’a pas augmenté le risque de récidive précoce par rapport au groupe témoin, c’est-à-dire des femmes qui ont continué leur traitement sans l’interrompre. Mais il faudra attendre les résultats à 5 ans pour conclure sur l’absence de risque significatif de récidive dans ce contexte de fenêtre thérapeutique.
La plupart des oncologues autorisaient déjà des fenêtres thérapeutiques pendant l’hormonothérapie. Qu’est-ce que ces résultats vont changer à la prise en charge des femmes ?
Comme je le disais, il faudra encore attendre les résultats à 5 ans pour conclure, mais ces résultats préliminaires sont rassurants et vont dans le sens des pratiques actuelles qui ont été mises en place de façon empirique. Ils nous confortent dans le fait de continuer à proposer cette fenêtre thérapeutique aux patientes jeunes, avec la permission de l’oncologue et après une concertation au cas par cas.
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Propos recueillis par Emilie Groyer
2. Ou hystérographie. Cet examen permet de vérifier que la (ou les) trompes ne sont pas obstruée(s)
3. Injection de spermatozoïdes dans la cavité utérine