C’est inscrit dans la loi de bioéthique et le Plan cancer 3 : « Avant tout traitement anticancéreux, les femmes de moins de 40 ans doivent pouvoir bénéficier d’une consultation d’oncofertilité », indique Michael Grynberg, gynécologue-obstétricien, chef du service Médecine de la reproduction et préservation de la fertilité à l’hôpital Jean-Verdier de Bondy (93). Grâce à une échographie pelvienne couplée à des dosages hormonaux, la consultation permet d’estimer le stock d’ovules (ovocytes) présents au sein des ovaires, autrement dit « l’âge ovarien ». En fonction du résultat, du type de cancer et du protocole de traitement, on propose le procédé de préservation de la fertilité le mieux adapté à la situation de la patiente. Trois méthodes existent. Si aucune ne peut garantir une grossesse, toutes multiplient les chances d’avoir un bébé par assistance médicale à la procréation, ou même spontanément.
Congélation d’ovocytes ou d’embryons
Comment ça se passe : la femme reçoit pendant 10 à 15 jours des injections quotidiennes d’hormones afin que ses ovaires produisent plusieurs ovocytes matures. Sous contrôle échographique et anesthésie locale ou générale, 8 à 15 ovules sont prélevés par voie vaginale.
Ils sont ensuite soit directement congelés. Dans ce cas, ils seront fécondés in vitro lorsque la femme aura un projet de grossesse. Soit, si la femme est déjà en couple, les ovocytes prélevés peuvent être fécondés in vitro et ce sont les embryons obtenus qui sont congelés.
Pour qui : elle est proposée aux femmes en âge de procréer et âgées de moins de 40 ans. Passé cet âge, la réserve ovocytaire est en effet réduite ce qui limite les chances de réussite.
Dans quel cas : dès qu’on peut l’envisager, car c’est la technique la mieux maîtrisée.
Les limites : elle est contre-indiquée quand l’urgence demande de débuter les traitements sans attendre les deux à trois semaines nécessaires à la stimulation ovarienne.
Les oncologues peuvent également être réticents à la prescrire à des femmes dont le cancer est hormonodépendant et dont la tumeur n’a pas été retirée. Les hormones utilisées pour la stimulation ovarienne peuvent en effet alimenter sa croissance. « Cependant, il n’est pas démontré que ce traitement, sur une courte durée, soit réellement délétère d’un point de vue oncologique, complète le Pr Grynberg. Les décisions se prennent donc au cas par cas et de façon collégiale. »
Petite histoire des ovocytes
Le bébé de sexe féminin naît avec un stock définitif d’ovules (ou ovocytes), chacun d’eux étant enfermé dans un follicule dit primordial. À partir de la puberté, à chaque cycle menstruel, un certain nombre de follicules primordiaux se développent (phase folliculaire). À ce stade de maturité, ils prennent le nom de “follicules antraux”. Ces follicules antraux vont alors entrer en compétition afin que chaque mois, sous l’effet des hormones (FSH et LH), un seul d’entre eux atteigne la maturité. C’est ce follicule “préovulatoire“ qui contient un ovocyte mature ayant le potentiel de donner un embryon s’il est fécondé. Les follicules antraux qui n’auront pas atteint le stade préovulatoire seront détruits. Et ainsi de suite à chaque cycle, jusqu’à disparition du stock initial d’ovocytes (ménopause).
La cryopréservation du tissu ovarien
Comment ça se passe : un ovaire – ou plus fréquemment des fragments d’ovaire – est prélevé par cœlioscopie puis congelé.
À la fin des traitements, ces fragments pourront être greffés. L’ovaire retrouvera sa fonction endocrine (c’est-à-dire la production d’hormones sexuelles) au bout de quelques mois et la femme aura à nouveau des cycles menstruels. Elle pourra alors envisager une grossesse, naturelle ou médicalement assistée.
Pour qui : c’est la seule option proposée aux patientes prépubères. Chez les femmes en âge de procréer, elle est possible à condition qu’elles disposent d’une réserve ovarienne suffisante, généralement jusqu’à 37 ans.
Dans quel cas : avant des traitements très toxiques pour les ovaires et susceptibles d’entraîner une ménopause. C’est le cas par exemple de la radiothérapie pelvienne ou de la greffe de moelle osseuse.
Cette technique est également privilégiée en cas de cancers hormonodépendants pour lesquels la stimulation ovarienne est contre-indiquée.
Les avantages : en stockant des milliers de follicules qui sont contenus dans le tissu ovarien, on peut espérer concevoir plusieurs enfants, ce qui peut être difficile avec la vitrification d’ovocytes, dont la quantité est le plus souvent limitée.
Autre intérêt de cette technique : comme elle peut être mise en œuvre très rapidement, les traitements peuvent commencer sans délai.
Les limites : il existe un risque de réintroduire chez la malade des cellules cancéreuses présentes dans le greffon (notamment dans certaines pathologies comme les leucémies).
Autre bémol : « cette technique, qui nécessite une chirurgie, est aussi plus invasive qu’une ponction vaginale, précise le Pr Grynberg. Cela peut être vécu comme relativement lourd pour les patientes, dans un moment où elles viennent de subir l’annonce d’un cancer et doivent réaliser dans des délais courts un grand nombre d’examens ».
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La congélation d’ovules maturés in vitro (MIV)
Comment ça se passe : sous anesthésie générale, on ponctionne des ovules partiellement immatures dans des follicules dits antraux (lire encadré). Ces ovocytes sont cultivés in vitro et amenés à maturité en 24-48 heures (maturation in vitro). Ceux qui arrivent à maturité sont ensuite congelés par vitrification.
Pour qui : toutes les femmes, depuis leur puberté jusqu’à 40 ans, qui ne peuvent bénéficier d’une stimulation ovarienne faute de temps ou en raison de cancers hormonodépendants.
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Les limites : Les chances d’être enceinte grâce aux ovocytes issus d’une MIV sont inférieures à celles que l’on a avec des ovules vitrifiés après stimulation ovarienne. Par ailleurs, tous les ovocytes prélevés ne parviendront pas à une maturité suffisante pour permettre leur congélation. On associe donc généralement cette technique au prélèvement de tissu ovarien pour augmenter les chances des candidates.
Par ailleurs, en 2024, cette technique était encore expérimentale, peu de centres sont donc en mesure de la proposer.
Laetitia Moller et Isabelle Blin