Pouvez-vous rappeler le but de l’expérimentation du cannabis thérapeutique et qui sont les malades concernés ?
Cette expérimentation a pour objectif d’évaluer le circuit de ce médicament dans le cas où il serait décidé de le mettre sur le marché : comment il serait prescrit, par qui, pour quelles indications, s’il serait délivré uniquement à l’hôpital ou en ville, comment il serait approvisionné…
Concernant les critères d’inclusion à cette expérimentation, ils ont été clairement définis. Il existe 5 indications dont certaines concernent les malades de cancer, à savoir : les douleurs neuropathiques réfractaires, certains symptômes rebelles liés au cancer ou à ses traitements, et les situations palliatives.
Ces critères ont évolué récemment…
En effet. L’Agence nationale de sécurité du médicament, l’Ansm, a décidé d’inclure dans cette expérimentation les personnes traitées par hormonothérapie. C’est une bonne nouvelle car jusqu’à présent, toutes les femmes qui avaient des symptômes rebelles suite à un cancer du sein et qui étaient sous hormonothérapie étaient exclues d’emblée de l’expérimentation. C’était problématique. Nous l’avions d’ailleurs signalé à l’Ansm dès le début.
Pourquoi l’Ansm avait décidé d’exclure les personnes sous hormonothérapie au démarrage de l’expérimentation ?
En raison des risques d’interactions médicamenteuses. Il est vrai que le cannabis peut interagir avec l’hormonothérapie, comme avec n’importe quel autre traitement d’ailleurs. Mais nous avons l’habitude de gérer ce type de risque, en faisant notamment intervenir nos pharmacologues cliniciens. Cette décision nous paraissait donc un peu disproportionnée.
L’Ansm a donc réuni des experts qui ont analysé la littérature scientifique. Leur conclusion est claire pour le THC, l’une des substances actives du cannabis : il n’y a aucune interaction attendue. Pour le CBD, ou cannabidiol, en revanche il faut être prudent parce qu’il peut diminuer l’effet des traitements anti-cancéreux. À la lumière de ce rapport, l’Ansm a conclu que l’impact était négligeable et a accepté de faire évoluer les critères d’inclusion. Ce qui est dommage c’est que cette décision arrive tardivement. Davantage de patientes auraient pu en bénéficier.

Cet élargissement concerne-t-il également les patients qui prennent d’autres traitements, comme la chimiothérapie ou l’immunothérapie par exemple ?
Non. Par principe de précaution, on évite toute interaction qui pourrait être péjorative sur des traitements à visée curative.
Vous participez à l’expérimentation. Qu’avez-vous appris sur l’usage du cannabis en cancérologie ?
Jusqu’à présent, nous avions droit de prescrire uniquement un THC de synthèse, le Marinol, pour traiter des douleurs neuropathiques rebelles. Cette expérimentation nous a permis d’avoir accès à des produits avec différentes doses de THC, mais aussi de CBD, et sous différentes formes galéniques : des inhalations avec vaporisation, des formes orale d’huile en capsule et des formes d’huiles non encapsulées.
Nous avons ainsi pu constater que l’usage de ces cannabinoïdes est intéressant en oncologie car ils ont plusieurs mécanismes d’action. Leur intérêt ne se limite pas à soulager les douleurs rebelles, ils ont également un effet sur d’autres symptômes : nous l’avons observé sur l’appétit, l’anxiété, le sommeil… Pour nous, cliniciens, sans être des molécules miracles, les cannabinoïdes nous permettent d’élargir notre panel de traitements à proposer aux patients pour améliorer leur qualité de vie.
Quand aura-t-on les résultats de cette expérimentation ?
Actuellement, l’Ansm auditionne les experts et les associations comme l’Afsos1 dont je fait partie. Elle analyse aussi les données que les expérimentateurs ont fait remonter. Elle devrait rendre ses conclusions début 2023.
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Propos recueillis par Emilie Groyer