Se concentrer sur la prochaine prise, penser à bien placer ses pieds, ses mains. Progresser en ayant le droit de s’arrêter pour trouver la suite de la voie. Catherine, Fabiola, Stéphanie ont trouvé la leur. Un dimanche par mois, elles se donnent rendez-vous à Urban Evasion, salle d’escalade d’Épinay-sur-Seine (93), pour quelques heures de grimpe indoor.
Toutes sont en traitement ou en rémission d’un cancer du sein. Mais ce qui les réunit avant tout, c’est d’être allées à Chamonix. « C’est comme ça qu’on dit ici », précise Catherine Soupey Vincelet, présidente de la Cordée francilienne, l’un des relais hexagonaux de l’association À chacun son Everest, qui accueille depuis 2011 et en liaison avec certains services hospitaliers quelques femmes atteintes de cancer du sein dans son chalet haut-savoyard.
Entre deux voies, on évoque parfois ses coups durs et ses galères. Mais surtout, on se rappelle les bons souvenirs de cette semaine de stage avec Christine Janin, médecin et alpiniste, fondatrice de l’association. Ça papote, ça rigole et, bien sûr, ça grimpe.
En escalade, « on ne lâche pas, jamais !«
Quand l’une monte, son assureuse l’encourage, lui suggère une solution. Car en escalade, il y en a toujours une… « Et les progrès arrivent plus vite qu’on ne le pense« , précise Stéphanie, 42 ans, mine superbe. « C’est tellement bon de sentir à nouveau son corps. Les premières suées, c’est aussi génial que le premier rayon de soleil sur la peau ! L’escalade, j’ai tout de suite accroché car c’est le royaume de l’entraide. Si t’as pas le moral, tu viens et ça repart ! Ici, on est dans la confiance, ta partenaire a ta vie au bout de la corde. Mais on ne lâche pas, jamais ! »
Pendant que ses copines s’encordent, Catherine s’est arrêtée à mi-voie pour prendre des photos. Difficile à croire, mais la jeune femme, suite à une rechute, était complètement épuisée il y a six mois. « Au début, j’étais essoufflée à chaque fin de voie. Aujourd’hui, je peux en enchaîner deux ou trois sans pause. Avant la séance, je me sens parfois fatiguée, mais après, je me sens beaucoup mieux, détendue, regonflée. »
Grimper pour se réconcilier avec soi-même
Lors du stage de Christine Janin, on a vu parfois des miracles. Des femmes très amoindries qui arrivaient à se dépasser au-delà de leurs espérances. Une renaissance que Fabiola, trentenaire et ex-marathonienne, comprend parfaitement. « En découvrant l’escalade, j’ai eu l’impression de faire tomber les dernières barrières. Tout redevenait possible. Pourtant, j’ai le bras droit diminué à cause d’un curage axillaire. Mais je me suis vite aperçue que je pouvais rééquilibrer mon corps d’une autre façon. Même la perte de sensation des doigts, consécutive à la chimio, je la contourne grâce à ce jeu d’équilibre permanent. Mon corps est en reconstruction, l’escalade m’aide à rétablir mes bases. »
Confirmation de Vincent Delefosse, éducateur médico-sportif de la Cami Sport & Cancer, responsable de l’atelier Escalade : « L’annonce de la maladie est un divorce entre la personne, qui se sent trahie, et son corps, qu’elle rejette. La pratique d’une activité physique, ici de l’escalade, permet une réconciliation. »
La grimpe : pour le souffle, l’endurance, les sensations
Il n’existe pas, pour l’heure, d’étude concernant ce sport chez les personnes atteintes de cancer. Mais les bénéfices observés par la Cami sont patents. Sur le plan physique d’abord, avec une amélioration de l’endurance musculaire et du souffle. Sur le plan cognitif ensuite, avec une réappropriation de son corps et le développement de sensations kinesthésiques. Sur le plan affectif encore, grâce à une amélioration de l’estime de soi, de la confiance en soi et en l’autre. Et sur le plan social enfin, via la création d’une dynamique de groupe.
« Bien sûr, insiste Vincent Delefosse, il faut un certificat médical avant de se lancer. Métastases osseuses (rachis et fémur) constituent une contre-indication majeure. Et une opération de moins de trois mois une interdiction absolue. En cas de stomie définitive ou temporaire, la mise en place du baudrier d’escalade est impossible car il remonte assez haut et serre bien. Suivant les personnes, on évitera certains mouvements, comme un mouvement brusque et non contrôlé du bras pour les femmes atteintes de cancer du sein. Mais globalement, on peut adapter la pratique de l’escalade à chaque cas. »
Stéphanie, qui souffre d’un lymphœdème et porte un manchon de compression depuis un an et demi, a reçu l’approbation immédiate de son médecin. Fabiola et Catherine ont une seule interdiction : ne pas se suspendre. Il leur faudra donc un peu patienter pour le dévers (sections surplombantes). La voie est parfois longue, mais une fois en haut, on a tout le loisir d’admirer le chemin parcouru.
L’escalade en pratique
Où s’initier à l’escalade : La Cami organise des stages dans différents départements. Il existe des centaines de SAE (Structures artificielles d’escalade) telles MurMur, en île-de-France, ou Altissimo, en province . Pour connaître la salle la plus proche de chez vous, faites un tour sur le site de la Fédération française de la montagne et de l’escalade. Vous y trouverez aussi une carte de toutes les falaises pour grimper en extérieur.
Autre mine d’informations : le site camptocamp.org, qui met à dispo des Topo-guides ainsi qu’un forum pour qui cherche des partenaires.
Patricia Oudit