Simon a 3 ans. Cet adorable garçon bouclé, poli et discret sait déjà s’habiller tout seul. Il est devenu un peu trop sage et a souvent peur de déranger, mais ses terreurs nocturnes ont disparu et ses angoisses se sont apaisées depuis que sa mère lui a parlé de son cancer du sein.
« Nous étions désemparés quand le diagnostic est tombé, raconte-t-elle. Comment annoncer sa maladie à son petit de 2 ans alors qu’on se sent soi-même si fragile ? Doit-on tout dire ? Et comment ? Nous avons attendu des semaines avant d’entamer le dialogue. Durant cette période d’incommunicabilité, Simon était agressif et soucieux. La vérité l’a libéré. »
Des groupes de parole pour aider
Pour amorcer la discussion, la famille a participé à un groupe de paroles. « Simon a été rassuré de pouvoir s’exprimer, de partager son expérience et de réaliser qu’il n’était pas le seul à vivre une telle situation. Il a grandi d’un coup. » Très libérateurs, de tels ateliers déclenchent le dialogue, aident à trouver les mots justes et battent en brèche l’idée dévastatrice que la vérité tue.
« C’est le silence qui est délétère, pas le cancer, assure la psychanalyste Nicole Landry-Dattée, qui a créé, en 1994, les premiers groupes de paroles en France, à l’Institut Gustave-Roussy1. Dans mon cabinet, j’ai vu les ravages qu’il provoquait chez des adultes à qui on avait caché, enfant, la maladie d’un de leurs parents. La confiance ayant été rompue, ils avaient du mal à se construire. Le mensonge entraîne une grande culpabilité et souvent de l’autosabotage. »
Utiliser les vrais mots, quel que soit l’âge
D’autant qu’avant 6 ans l’enfant croit en sa toute-puissance et en la pensée magique.« Il s’estime responsable de tout, de la fatigue de son père comme de la perte de cheveux de sa mère, précise Virginie Adam, psychologue et initiatrice des Mercredire au CHU de Nancy2. Comme il s’imagine souvent le pire, il est important de lui rappeler que le cancer frappe n’importe qui sans distinction et que les médecins font de leur mieux, même si l’issue reste incertaine. »
Les spécialistes incitent à ne rien éluder, et ne poussent pas pour autant à s’avancer quant à une hypothétique guérison. Ils conseillent également, et ce quel que soit l’âge de l’enfant, d’utiliser les vrais mots, comme « cancer » ou « mort ».
Enfants aidants : des qualités de bienveillance et indépendance
Ainsi impliqués, les enfants se sentent valorisés et capables de prendre leur place. « Ils sont des aidants du fait même de leur existence car ils sont du côté de la vie, ajoute Nicole Landry-Dattée. Même un petit de quatre ans a besoin de se sentir utile en apportant un verre d’eau, en faisant un câlin, en étant simplement présent. »
Évidemment, il ne s’agit pas d’inverser les rôles et la parentalité doit être préservée. « Dans le cas des familles monoparentales notamment, la société devrait pouvoir mettre en place les aides nécessaires, comme proposer des auxiliaires de vie lors des traitements lourds », explique Florence Leduc, présidente de l’Association française des aidants.
Elle ajoute: « On ne peut pas tout éviter aux enfants, mais notre devoir est de les alléger pour qu’ils apportent leur contribution sans tout porter. »
Les informer leur donne l’autorisation de continuer à vivre
Que les parents se rassurent toutefois. D’après tous les professionnels, quand les petits sont jugés dignes de confiance et investis dans la maladie, non seulement ils arrivent à l’affronter, mais ils développent de très belles qualités: la bienveillance, l’indépendance, le sens des responsabilités.
Les informer, y compris quand l’issue est fatale, leur donne l’autorisation de continuer à vivre et la possibilité de sublimer cette épreuve, en y puisant force et élan vital. De vrais moteurs dans l’existence.
Maya Lebas
(1) À l’initiative de l’Institut Gustave-Roussy, plusieurs établissements ont créé des groupes de paroles pour aider les enfants et leurs parents atteints d’un cancer à nouer un dialogue autour de la maladie. Animés par au moins un médecin et un psychologue, ils s’appuient sur un film pédagogique pour amorcer la discussion.
(2) Les Mercredire, à l’Institut de cancérologie de Lorraine-Alexis Vautrin à Nancy, 03 83 59 84 86 ; Paroles d’enfants, au Centre hospitalier régional d’Orléans, 02 38 74 44 43.
A LIRE
« Comment parler du cancer d’un jeune parent à son enfant », de Léa Ganzel aux éditions Josette Lyon (14 €)
« Ces enfants qui vivent le cancer d’un parent », de Nicole Landry-Datte aux éditions Erès (13 €)