C’est une Française qui, presque 100 ans après Marie Curie, reçoit le Prix Nobel de Chimie en compagnie de sa collègue Américaine, Jennifer Doudna, pour leurs découvertes concernant les CRISPR-Cas9, que l’on connait aussi sous la dénomination de « ciseaux génétiques ». La première « nobelisée », Emmanuelle Charpentier, est microbiologiste à Berlin. La seconde, Jennifer Doudna, spécialiste de biochimie en Californie.
Kézaco le CRISPR?
En quoi consiste ce CRISPR – que de nombreux scientifiques présentent depuis cinq ans comme une révolution? Il s’agit d’un outil d’ingénierie génétique applicable à la thérapie génique et à l’immunothérapie qui, espère-t-on, pourrait un jour guérir certains cancers en modifiant les cellules immunitaires des patients pour doper leur capacité à se défendre contre la maladie. « La force de CRISPR-Cas9, c’est son incroyable précision, explique Urszula Hibner, directeur de recherches à l’Inserm, en poste à l’Institut génétique moléculaire de Montpellier. C’est comme si un chirurgien opérait avec un couteau de cuisine et que, soudain, on lui donnait un laser. »
De nombreuses pathologies sont concernées par ce nouvel « outil ». Pourquoi les cancers ? « Le cancer se développe parce que les cellules du système immunitaire n’arrivent pas à éliminer les cellules cancéreuses, explique Urszula Hibner. Et on sait maintenant pourquoi : parce que les cellules cancéreuses parviennent à “tromper” les cellules du système immunitaire. Elles se cachent pour éviter d’être repérées et éliminées, voire elles attaquent et tuent les cellules qui doivent assurer la défense de l’organisme ! »
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Cancer du poumon
Ce qu’on espère de CRISPR-Cas9, c’est qu’il permette justement aux cellules immunitaires de rejouer leur rôle de défenseur. Concrètement, comment ça marche ? D’abord, on prélève le sang du patient. En laboratoire, ensuite, on injecte CRISPR-Cas9 dans les cellules immunitaires afin de modifier, à un endroit très précis, l’information génétique contenue dans leur ADN pour qu’elles deviennent plus efficaces contre les cellules cancéreuses. Pour finir, on réinjecte les cellules modifiées au patient.
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C’est ce qu’ont fait des scientifiques chinois pour traiter un patient atteint d’un cancer du poumon métastasé. « On ne sait pas encore ce qu’a donné ce traitement, indique Urszula Hibner. Mais d’autres patients, en Chine ou aux États-Unis, pourraient être traités avec CRISPR-Cas9. Personne ne peut dire si on arrivera un jour à guérir des cancers de cette manière. Mais tout va très vite. Des milliers de labos dans le monde travaillent sur CRISPR-Cas9, qui est très simple à utiliser. » Un avantage qui s’avère aussi être un risque. Ces derniers mois, plusieurs voix se sont élevées pour pointer le danger d’une utilisation inconsidérée de CRISPR-Cas9, notamment pour modifier les cellules germinales, celles qui permettent la reproduction. « Il faut être vigilant, insiste le Pr Hibner. CRISPR-Cas9 offre de formidables espoirs pour guérir des maladies. Mais son utilisation abusive chez l’homme ou d’autres espèces pourrait avoir des conséquences que nous ne pouvons pas prévoir aujourd’hui. »
Pierre Bienvault
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 12, p. 31)