Alors que 75 000 femmes sont touchées par un cancer féminin chaque année en France, leur dépistage reste encore problématique. Le Centre Oscar Lambret (Lille), référence dans la prise en charge des cancers gynécologiques, a donc décidé de marquer les esprits avec une campagne de sensibilisation incarnée par des femmes qui osent prendre du temps pour elles. Le Pr Eric Lartigau, directeur général du centre, nous en rappelle les enjeux.
Où en est le dépistage des cancers féminins en France ?
Pr Lartigau : Il n’est pas très bon, notamment en ce qui concerne les campagnes de dépistage organisé. Si nous prenons l’exemple de la plus ancienne, celle du cancer du sein, on constate que moins d’une femme sur deux répond à la convocation. Et dans certaines régions comme la nôtre, celle des Hauts de France, la participation n’est que de 40%. Et les chiffres ont tendance à baisser. Il faudrait qu’au moins 80 à 85% des femmes s’y prêtent pour que cela soit efficace à l’échelle de la population française.
Comment expliquez-vous que ces chiffres soient si faibles ?
Il y a différentes façons de poser le problème. La mentalité franco-française qui n’est pas très encline à répondre à ce genre de convocation. L’épisode Covid a aussi mis un sacré coup d’arrêt au dépistage. Nous rencontrons également des difficultés à trouver des relais de terrain : il est de plus en plus difficile de trouver un gynécologue en France et les médecins généralistes, qui ont déjà fort à faire, n’ont pas le temps à relayer les messages de prévention.
« Le message est simple : prenez du temps pour vous ! »
Vous ajoutez à cela le contexte socio-économique d’augmentation du coût de la vie, du prix de l’essence… Et vous obtenez ce résultat : la santé n’est plus considérée comme prioritaire par les populations cibles.
Ces enjeux de santé sont particulièrement importants dans votre région, Les Hauts-de-France ?
En effet, le Centre Oscar Lambret est le seul centre de lutte contre le cancer de cette grande région où la situation socio-économique est difficile et qui cumule les « mauvais » indicateurs de santé : l’obésité y est 30% supérieure à la moyenne nationale et l’incidence du cancer, de 15%. Nous devons donc adapter nos messages à la population de notre territoire que nous connaissons bien et qui n’a pas l’habitude d’effectuer de telles démarches.
Parlez-nous justement de la campagne de sensibilisation que vous avez lancée. En quoi est-elle différente des autres ?
Parce qu’on ne les culpabilise pas, comme c’est malheureusement souvent le cas. On ne leur dit pas : « Oh, c’est pas bien, vous n’êtes pas allée vous faire dépister, le cancer vous guette ». J’exagère un peu mais c’est ce que les femmes ressentent.
Les femmes savent qu’il est important de se faire dépister. Mais elles ne le feront pas parce que c’est le médecin qui leur a dit de le faire. On sait que cela ne fonctionne pas. L’idée était donc d’inverser le message et de leur dire : faites-le pour vous ! On ne va pas vous répéter ce que vous savez déjà, on vous dit juste de trouver un peu de temps dans votre agenda, que l’on sait surchargé, pour prendre un rendez-vous. Même si c’est dans six mois, l’important c’est que vous l’ayez pris. Le message que l’on veut faire passer, et que nous avons incarné par des femmes, c’est de prendre du temps pour vous !
Propos recueillis par Emilie Groyer