« Ici, la maladie passe au deuxième plan », lance avec un grand sourire Carole. Élève assidue des cours de danse adaptée dispensés par Aude Michon, présidente de l’association parisienne Elles dansent, la jeune femme, qui affronte un cancer depuis 2016, a trouvé dans cette pratique un exutoire bienvenu. « J’ai tout de suite senti que les femmes qui viennent danser recherchent de la joie, de la bonne humeur. Il y a des filles de tous les niveaux, et chacune avance à son rythme, sans jugement. » « Tout le monde peut danser ! » précise en effet Valérie Petit, fondatrice des Baléries’, qui anime des sessions de danse adaptée à Chatou (Yvelines). « Il n’y a aucune contre-indication, il faut juste adapter la pratique à l’état de fatigue, aux traitements, aux douleurs et aux opérations. »
Pourtant, savoir synchroniser son corps au rythme de la musique n’est pas une chose innée pour tout le monde. Parfois, la timidité prend le dessus. La peur d’échouer ou de ne pas y arriver, aussi. Et la maladie n’arrange pas les choses, érodant chaque jour un peu plus la confiance de celles qui y sont confrontées. Pour aider les patientes à retrouver leur estime d’elles-mêmes, Valérie Petit a sa méthode : « Il y a un miroir dans ma salle. Au début, les filles fuient leur image. Petit à petit, étape par étape, au fil des séances et des exercices, je les amène à se regarder, à accepter ce qu’elles dégagent. » Il faut, en général, 4 à 5 séances pour qu’elles arrivent à évoluer devant la glace, signe qu’elles sont parvenues à dépasser l’image négative qu’elles avaient d’elles.
« La danse déverrouille toujours quantité d’émotions » – Aude M.
Pour en arriver là, l’échange reste un élément fondamental. « Nous prenons en compte leur état du moment, leurs douleurs. Comme un couturier qui ajuste le vêtement à son modèle, je m’adapte aux capacités de chacune à l’instant T, explique Valérie Petit. Je suis là pour accompagner les filles vers le plaisir, dans le mouvement. Contrairement à un cours de danse classique, la danse adaptée ne comprend aucune recherche de performance. »
Force, équilibre et souplesse
En général, les séances s’articulent avec des phases de danse libre mais guidée et des enchaînements chorégraphiés. L’apprentissage d’une succession de mouvements simples, naturels, fondés sur le balancement, la marche, favorise la rééducation fonctionnelle. Et, si l’on s’adonne à une pratique régulière, certaines séquelles fréquentes des traitements, comme les douleurs articulaires ou musculaires, la perte de mobilité, s’estompent. « J’ai moi-même subi l’ablation des seins, révèle Valérie Petit. Cela rendait certains mouvements difficiles au début. Pourtant, j’ai fini par retrouver toutes mes capacités. Je m’appuie sur mon expérience pour proposer une pratique très progressive. On entre dans le mouvement en connexion avec la respiration. Si besoin, je guide les danseuses avec mon corps. »
Les cours permettent de retrouver souplesse et amplitude, tout en douceur, mais pas seulement. « À travers des exercices d’ancrage, de centrage, de coordination, on apprend à accepter le déséquilibre. La danse ramène la conscience de son corps dans l’espace, mais elle fait ressentir aussi le lien entre le corps et l’esprit », détaille Aude Michon, qui constate également les formidables progrès que certaines de ses élèves réalisent sur le plan cognitif. « La maladie et les traitements peuvent altérer la concentration, ou la mémoire à court ou à long terme. Parfois, les filles répètent 50 fois le même mouvement et, d’un coup, l’oublient. Le simple fait de danser remet en marche des connexions dans le cerveau* qui ne se faisaient plus. »
DANSE THÉRAPIE OU ADAPTÉE ?
La danse adaptée s’ajuste aux capacités et limitations physiques de chaque danseur. Mouvement et plaisir sont au cœur de cette pratique dispensée par un professeur de danse.
La danse thérapeutique utilise les mouvements du corps comme un outil de médiation entre un danseur-thérapeute et son patient.
Un antidépresseur naturel
Tout se fait, évidemment, en musique. Les percussions sont très prisées. Salsa, airs afro-caribéens, mélodies tribales apportent une touche de légèreté et d’exotisme aux mouvements. De sensualité aussi. Un aspect trop souvent oublié par des femmes dont le corps a été modifié par l’épreuve du cancer. D’un coup, ce corps n’est plus seulement une enveloppe qui porte ou qui pèse, il est le prolongement de l’âme qui se dévoile. On le déforme et on s’en amuse, sur tous les tons. Danser permet de redevenir complice avec soi-même, et de (re)gagner en légèreté. Parfois, une séance suffit à libérer les angoisses, les tensions, les inhibitions. Parfois, il en faut 2 ou 3. Mais, toujours, « la danse déverrouille quantité d’émotions, assure Aude Michon. Il y a souvent des larmes avant les sourires. Comme si, d’un coup, on ne pouvait plus passer à côté de soi ». Et Valérie Petit d’ajouter : « C’est un vrai antidépresseur ! »
Bref, le remède parfait pour faire valser les pensées négatives en même temps que le ressenti des effets secondaires. « Quand on danse toutes ensemble devant la glace, c’est beau à voir, se réjouit Carole. On a l’impression d’avoir réussi quelque chose. Ça fait du bien, il n’y a que du positif. » Et pour prolonger à la maison cet effet « booster » sur le moral, Carole a pris l’habitude de glisser des moments de danse dans sa vie quotidienne. Sa scène ? Sa salle de bains, sa chambre, son salon, où, devant son mari, elle enchaîne à l’envi les chorégraphies. « La maladie ayant évolué favorablement, je me suis même inscrite à des cours plus classiques, avec des femmes qui ne sont pas malades. Ces rencontres me donnent de l’énergie pour toute la semaine ! »
INFO +
Où danser ?
Île-de-France. À Chatou (Yvelines) avec Les Baléries’.
Rens. : page Facebook ou par mail à contact@lesbaleries.fr
Tél. : 06 08 30 71 33
Bretagne. À Vannes grâce à l’association Faire face ensemble.
Rens. : www.faire-face-ensemble.com
Tél. : 02 97 47 45 77
Provence. À Aix-en-Provence, au centre Ressource du Pôle d’activités d’Aix.
Rens. : www.association-ressource.org
Tél. : 04 42 22 54 81
* Lire à ce sujet : Lucy Vincent, Faites danser votre cerveau, Odile Jacob, 2018
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 19, p. 140)