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À lire. Cynthia Ka : « On néglige trop la santé mentale des malades de cancer »

{{ config.mag.article.published }} 20 novembre 2023

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Avec près de 500 000 abonnés, Cynthia Ka cartonne sur les réseaux sociaux. La créatrice de contenu, formée à la naturopathie, y prodigue ses recettes de santé naturelle et ses conseils bien-être. Ex-malade de cancer, elle publie son premier livre, riches d’infos et de témoignages de patientes, de soignants et de proches. Un kit de survie pour accompagner les femmes pendant et après les traitements. Rencontre.

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Rendez-vous à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). C’est là que vit et travaille Cynthia Ka. Naturopathe et prof de yoga certifiée, la jeune femme s’est lancée dans la création de contenu digital en septembre 2021. Avec succès. Ses vidéos, axées sur la prévention du cancer du sein, le bien-être et la santé naturelle, cumulent des milliers de vus sur les réseaux sociaux et ses comptes fédèrent près de 500 000 abonnés ! La trentenaire vient de publier son premier livre : Le guide du cancer du sein pour les débutantes et leurs proches (éditions Hachette Pratique). Elle y évoque son parcours de malade, de l’annonce, il y a sept ans, à l’après cancer. L’auteure y soulève aussi des problématiques souvent peu abordées comme la santé mentale des personnes dans la maladie, et l’absence de prise en compte des spécificités des femmes noires.

On l’attend sur la place de l’Eglise, au café restaurant le Beauharnais, hommage à Joséphine, épouse de Napoléon 1er qui avait fait de Reuil son refuge. C’est jour du marché et Cynthia arrive, toute souriante, tirant un chariot de courses. Elle commande une verveine et un croissant. On observe une phrase tatouée à l’intérieur de son avant-bras droit en anglais : In case of emergency use other arm (En cas d’urgence, utiliser l’autre bras). On songe à une référence obscure de pop culture, mais non, la phrase est à relier à un moment de son histoire avec le cancer. « J’avais repris le travail. Je voyageais tout le temps, toute seule, j’étais toujours entre deux hôtels, et je me sentais au plus bas. J’appréhendais souvent de m’évanouir dans ma chambre, de me blesser et d’être inconsciente à l’arrivée des secours. Je ne voulais pas qu’on touche à mon bras droit, du côté du sein opéré, et sous lequel on avait prélevé des ganglions. Pour prévenir un risque de lymphœdème autant donner d’emblée les bonnes instructions ! » Prévoyante, pragmatique, très organisée : cela correspond au portrait qu’elle trace d’elle dans son guide lorsque le cancer a déboulé dans sa vie. Cette Cynthia-là n’est plus tout à fait la Cynthia d’aujourd’hui. Son livre raconte cela, aussi : ce que la maladie modifie dans le corps et la tête, et la naissance d’une nouvelle femme. Entretien.

Pourquoi publier ce livre sept ans après votre cancer ?

 Cynthia Ka : Comme son titre l’indique, mon livre est un guide réconfortant pour les patientes du cancer sein et leurs proches : un peu de témoignages, des tips santé et bien-être, avec des conseils recueillis auprès de professionnels de santé, et de la rigolade (rires).  Un peu dans la continuité de ce que je fais sur Instagram. En même temps, c’est une chronique de mon parcours. J’ai voulu y consigner tout ce que, moi, j’aurais voulu savoir dès la découverte de ma tumeur, à 31 ans, et évoquer, avec le recul que j’ai aujourd’hui, l’après cancer.  A la fin des traitements, on est livrée à soi-même, et c’est là que l’on se dit « oh pu…ain ce que j’ai vécu, c’était énorme ! ».

À l’annonce de votre diagnostic, en 2016, vous parlez de « déflagration », de phénomène traumatique. C’est fort…

C’est lié à la manière dont on m’a annoncé mon cancer. J’avais beau être jeune, j’étais déjà très concernée par les questions de prévention, et je pratiquais régulièrement l’auto-palpation de mes seins. C’est comme ça qu’un matin de août 2016, sous la douche, j’ai senti une petite boule. J’ai consulté mon gynécologue qui m’a prescrit des examens complémentaires. Quand les résultats lui ont été transmis, il m’a d’abord dit qu’ils étaient négatifs. Mais quelque chose en moi, une intuition, me soufflait que ça n’allait pas. J’ai insisté pour qu’il les regarde une seconde fois. En fait, il les avait survolés et c’est par mail qu’il est revenu vers moi avec cette phrase : « ils ne sont pas bons ». Le lendemain dans son cabinet, il m’annonce que j’ai un cancer du sein de grade 2. Et c’est tout…

C’est-à-dire ?

Entre le moment où je me suis assise dans son bureau et celui où je me suis retrouvé sur son palier, en sanglots dans les bras l’amie qui m’accompagnait, il s’est écoulé environ 5 minutes. Ressenti : 30 secondes ! Cette annonce déjà catastrophique n’a été par ailleurs été accompagnée d’aucune autre information. Où aller ? Que faire ? À quoi s’attendre ? Rien. Cela a été très violent. Depuis, j’ai reçu le témoignage de femmes qui ont elles aussi reçu leur annonce par mail. Pour certaines, c’est le radiologue qui leur a fait passer leur mammo qui leur a lâché en direct : « c’est un cancer » !

En quoi ce choc a influencé la suite de votre parcours ?

J’ai perdu confiance dans les équipes médicales. Tout ce que l’on me disait, j’allais le re-checker. J’étais tellement bloquée.. Pour choisir le lieu de ma prise en charge, j’ai fait cinq hôpitaux avant de me décider. Pour ma reconstruction, je voulu sept avis différents ! Si j’avais écrit le livre un an après être tombée malade, j’aurais publié un pamphlet contre le système médical français, et le ministre de la santé ! Avec le recul, je comprends mieux le système et je n’ai pas d’animosité. Le problème c’est le temps qui manque aux soignants et le manque de moyens. Le résultat c’est que nous, on a l’impression d’être juste un numéro, pas tenus par la main d’un point de vue psychologique. On se sent comme des enfants de 4 ans à qui on demanderait d’aller chercher du pain tout seuls. Mais, il faut reconnaitre que depuis 2016, les choses ont évolué, il y a un peu plus d’accompagnement aujourd’hui, notamment grâce à la présence des infirmières d’annonce.

Vous incitez les lectrices à prendre en main leur parcours de soin. Cette attitude pro-active, cet empowerment, c’est la solution pour vous ?

Oui, parce que justement, le système de santé ne nous y encourage pas. Or pour que l’on puisse faire tel ou tel choix, il faut pouvoir se poser les bonnes questions et oser les poser à son équipe soignante ! Ça nécessite de prendre un temps d’introspection. Exemple : la reconstruction post mastectomie. La veut-on vraiment ? Immédiate ou différée ?  L’hormonothérapie : elle s’est mal passée pour moi, mais je sais aussi qu’elle est très bien tolérée par plein d’autres femmes… Alors, on la prend ou pas ? Quels sont ses risques et bénéfices exactement ? Pendant la maladie, on est fatiguée, et aller chercher les informations à droite à gauche, épuise encore plus. La plupart de celles que je donne dans le livre, je ne les avais pas. Il m’a paru important d’en rassembler un maximum pour que les lectrices aient toutes les cartes en mains pour agir en leur âme et conscience.

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La question de la santé mentale traverse tout l’ouvrage. Vous l’évoquez pour les patientes, les aidants…Un autre corollaire du cancer que l’on a tendance à oublier ?

C’est la raison pour laquelle j’en parle ! On ne m’a pas proposé de psychothérapie, c’est moi qui l’ai demandée. Avec la première praticienne ça n’a pas fait « tilt ». Pas d’échange… Je suis allée en voir une autre personne qui prenait des notes… et mes chèques, et c’était tout. J’ai donc arrêté, jusqu’à la Covid-19 et le confinement. Là, en pleine l’hormonothérapie, face à moi-même, j’ai sombré. D’un coup. Je vivais alors en Hollande, j’étais en couple. Chaque matin je me demandais pourquoi je me réveillais. Je ruminais des pensées sur la récidive et sur la mort. C’est mon compagnon qui m’a convaincue d’aller parler à quelqu’un. En Hollande, on vous fait passer le test du DSM 5 (manuel diagnostique et statistique des troubles mentauxde l’Association Américaine de Psychiatrie, ndlr) avant de vous référer à un spécialiste. Le résultat de cet examen a révélé que j’étais atteinte de dépression, d’anxiété, de stress post-traumatique et de dissociation. En lisant ces mots noirs sur blanc, j’ai compris que j’avais vraiment besoin d’aide ! Sans cette thérapie, je ne sais pas si je serais encore là.  On néglige trop la santé mentale des malades. Elle n’est pas assez prise en compte, notamment dans l’après cancer.

 Vous abordez aussi le cancer chez les femmes noires, quelles sont les principales difficultés qu’elles rencontrent ?

Le rapport aux cheveux est très important dans la communauté. C’est lié à des rites de passage. Cela fait partie de nous, or on ne trouve pas facilement de perruques afro. Les prothèses de sein noires, ça existe mais les délais pour les obtenir sont plus longs que pour les blanches. Les mamelons, je n’en n’ai jamais trouvé de la bonne couleur, juste marron très foncé. Nous ne cicatrisons pas non plus de la même façon… Alors quelle crème choisir ? Tout ça n’est pas pris en considération. L’association des Amazones de Martinique (association dont Miss France, Indira Impiot, est la marraine, ndlr) m’a alerté sur les cas de lymphœdèmes plus nombreux aux Antilles en raison de l’humidité et de la chaleur. Et les kinés là-bas ne sont pas formés. Il y a moins de prévention aussi, alors qu’il en faudrait plus !

C’est dû à leur invisibilité ?

On ne les voit jamais prendre la parole dans les médias. On est absentes des publicités, on n’apparait pas dans les visuels des campagnes anti-cancer ! Miss France (Indira Ampiot) a été interviewée sur sa grand-mère qu’elle a accompagnée dans la maladie, mais sinon ? Quelle autre femme noire a intéressé les médias ? J’ajoute que dans notre culture, cancer et maladie sont tabous. Au Cameroun, d’où vient ma famille, soit c’est de la sorcellerie, soit on pense s’attirer le mauvais œil en en parlant… Or, parler de la maladie permet de la démystifier. Autrement, cela crée de l’isolement.

La Cynthia de 2023 est-elle très différente de celle d’avant le cancer ?

Avant, j’étais responsable événementiel pour de grandes enseignes de mode. Je bossais beaucoup, j’étais souvent en voyage, je ne m’arrêtais jamais pour regarder en arrière. Je n’étais pas du genre à parler de mes problèmes ou à demander de l’aide parce que pour moi, c’était un signe de faiblesse. Maintenant, j’accepte mieux ma vulnérabilité et les émotions, les miennes comme celles des autres. Avant je ne changeais pas d’opinion, même si j’écoutais l’autre. Aujourd’hui, les opinions qui diffèrent des miennes, je les prends en compte. Je me connais mieux car j’ai pris le temps de l’introspection. C’est une phase tellement importante. Nécessaire. Elle permet de faire des choix pour soi, et pas en fonction des autres. Pour tout ça, je remercie ma thérapie !

Le guide du cancer du sein pour les débutantes et leurs proches, éditions Hachette Pratique, 376 p. Parution : le 22 novembre 2023.

 


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Christelle Laffin

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