Parmi tous les aliments réputés avoir des propriétés anti-cancéreuses, le curcuma occupe une place de choix. “Il y a quelques années, nous avions interrogé de plus de 600 de nos patients concernant leur consommation de compléments alimentaires et autres aliments, le curcuma arrivait en tête” confirme le Dr Véronique Pélagatti, pharmacienne à l’Institut universitaire du cancer de Toulouse Oncopole.
Une épice loin d’être inoffensive
Employée par les médecines traditionnelles chinoises et indiennes pour ses vertus digestives, anti-oxydantes et anti-inflammatoires, cette épice est pourtant loin d’être inoffensive. C’est ce que révèle un rapport que vient de publier par l’Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (Anses). Suite à une centaine de signalements d’effets indésirables, dont 15 hépatites, l’agence s’était auto-saisie afin d’établir enfin clairement les risques liés à la consommation curcuma et de sa substance active, la curcumine.
Ses conclusions quant à la consommation de curcuma sous forme classique (voir encart) sont plutôt rassurantes. En France, avec 27 mg par jour, même les plus grands consommateurs d’aliments à base de curcuma ne dépassent pas la dose journalière admissible (DJA)1 de curcumine fixée à 153 mg par jour pour un adulte de 60 kg,
« Le consommateur ne sait pas forcément que la dose qu’il prend est potentiellement toxique. »
Alerte sur les compléments alimentaires
En revanche, l’histoire est différente en ce qui concerne les compléments alimentaires à base de curcuma. Les industriels ont développé de nouvelles formulations (voir encart) pour améliorer la biodisponibilité de la curcumine qui est normalement éliminée très rapidement par l’organisme. Non sans risques. “Ces nouvelles formules permettent d’augmenter considérablement le passage de la curcumine dans le sang : jusqu’à 185 fois pour certaines d’entre elles ! Les effets du curcuma et donc sa potentielle toxicité sont augmentés d’autant. Pour ces formules, la DJA peut donc être largement dépassée” alerte la pharmacologue.
Quelle DJA respecter pour ces compléments alimentaires ? Impossible à dire. « [ … ] l’étiquetage ou l’emballage ne comporte pas ou rarement d’indication ou de précision sur ces formulations spécifiques » rappelle l’Anses dans son rapport. La législation n’impose en effet pas aux industriels de préciser leur formulation ou la composition exacte de leurs compléments alimentaires. « Le consommateur ne sait donc pas forcément que la dose qu’il prend est potentiellement toxique » explique le Dr Pélagatti.
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Des interactions possibles avec certains traitements
Au-delà de leur toxicité, les compléments alimentaires à base de curcuma posent un autre problème : en modifiant l’activité de certaines enzymes du foie, ils peuvent augmenter, ou au contraire, diminuer l’efficacité de certains médicaments. C’est notamment le cas pour les anticoagulants, les immunosuppresseurs et les anticancéreux. « Les données in vitro et in vivo chez l’animal mettent en évidence des risques d’interactions avec certains traitements contre le cancer. Elles sont encore mal définies mais, dans l’attente de nouvelles études, il est préférable d’éviter la consommation de curcuma sous forme de compléments alimentaires » conseille le Dr Pélagatti.
Formulation classique v. formulation « boostée »
Formes classiques : poudre de rhizome de curcuma ou extraits de curcuma enrichis ou non en curcumine.
Formes nouvelles qui augmentent la biodisponibilité de la curcumine : associations de curcumine et de pipérine ou d’huile essentielle de curcuma, complexe phytosomal, micelle, nanoparticules colloïdales, encapsulation par cyclodextrines…
Emilie Groyer
1. La dose journalière admissible est la quantité estimée d’une substance présente dans les aliments ou dans l’eau potable qui peut être consommée quotidiennement pendant toute la durée d’une vie sans présenter de risque appréciable pour la santé.