Vous venez de présenter au congrès de l’ESMO les résultats d’une étude visant à évaluer l’impact de la pandémie sur la prise en charge des malades de cancer et leur pronostic. Pouvez-nous expliquer comment vous avez procédé ?
Aurélie Bardet : Pour avoir des données fiables, nous nous sommes basés sur les chiffres de la base du PMSI [Programme de médicalisation des systèmes d’information, NDLR] qui enregistre le flux de patients. Nous avons récupéré les données des patients de Gustave Roussy sur les 2 dernières années que nous avons ensuite entrées dans un modèle algorithmique qui permet de simuler leur parcours de soin. En fait, c’est comme si on faisait entrer ces patients dans un Gustave Roussy virtuel.
Cela nous a permis d’évaluer le nombre théorique de patients qu’on aurait dû prendre en charge, selon l’organe touché, le stade de la maladie… Nous avons comparé ces chiffres théoriques aux chiffres réels de la base PMSI. Nous avons ainsi pu calculer combien de patients manquaient à l’appel.
Notre modèle permet aussi de prédire l’évolution du flux de patients.
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Et quel a été le résultat ?
Nous avons estimé que les retards de prise en charge causeront à 5 ans une surmortalité de 2%. En d’autres termes, d’ici la fin de l’année, environ 5000 patients seront pris en charge à Gustave Roussy. On sait que dans 5 ans, 2000 d’entre eux seront décédés de leur cancer. Parmi ces 2000 décès, 50 seront dû aux retards de prise en charge en raison de la pandémie.
Il faut noter que la mortalité est importante à Gustave Roussy car, en tant que centre de référence, le taux de patients avec des stades avancés ou des cancers rares est élevé.
Ce chiffre a été obtenu à partir d’une hypothèse posée en août. La situation a-t-elle changé depuis ?
Malheureusement, oui. Notre modèle tablait sur un retour massif des patients en septembre et une absence de nouvelle vague. Nous avions tout de même envisagé une hypothèse plus pessimiste dans laquelle les patients seraient revenus plus tardivement. Selon ce nouveau scénario, la surmortalité atteindrait 4,6 %.
« À Gustave Roussy, 50 décès par cancer seront dus à un retard de prise en charge en raison de la pandémie. »
Il apparaît que ce dernier scénario était encore trop optimiste puisque, aujourd’hui, non seulement la pandémie reprend, mais nous n’avons pas récupéré le flux historique de nos patients. Cela signifie que non seulement nos patients diagnostiqués ne sont pas tous revenus pour démarrer ou continuer leurs traitements. Mais nous n’avons pas non plus accueillis les patients qui auraient dû être diagnostiqués depuis.
Peut-on transposer ce chiffre à d’autres hôpitaux ?
Ces chiffres sont valables pour Gustave Roussy et ne sont pas forcément extrapolables. Gustave Roussy est un centre de référence. Les patients qui y sont traités vivent souvent loin et ont des contraintes en terme de transport. Ce qui n’est pas le cas de tous les hôpitaux.
Il est toutefois probable qu’on obtiendrait le même chiffre dans des centres de lutte contre le cancer situés dans des régions où il y a eu la même dynamique épidémique et les mêmes contraintes. En revanche, le chiffre est sans doute plus élevé dans les CHU car leur activité n’est pas dédiée aux seuls malades de cancer. Le retard de prise en charge risque d’y être plus important en cas de nouvelle vague.
Mais pour le vérifier, nous allons étendre notre modèle dans les mois à venir à d’autres centres de référence en France et en Europe.
Quelle leçon peut-on tirer de cette simulation pour améliorer la situation ?
Trois raisons expliquent les retards dans la prise en charge des patients. La première c’est que Gustave Roussy a dû adapter les traitements, et en décaler certains, pour suivre les recommandations des sociétés savantes et éviter que les malades de cancer ne soient exposés inutilement au virus.
La deuxième raison est liée au fait qu’un certain nombre de malades n’ont pas pu être diagnostiqués car les centres de radiologies étaient fermés ou parce qu’il était compliqué d’obtenir une consultation chez le généraliste.
« Si vous avez le moindre doute, allez consulter »
Enfin, la dernière raison est liée aux malades eux-mêmes. Beaucoup de patients ont décidé de leur propre chef de ne pas venir à Gustave Roussy, soit après leur diagnostic, soit pour leur suivi. Il semblerait que ce facteur soit la principale cause des retards.
Aujourd’hui, la prise en charge des patients de Gustave Roussy est revenue à la normale. Nous avons aussi appelé nos patients, dès le début du confinement, pour les inciter à revenir. En revanche, nous n’avons aucun levier sur les malades qui n’ont pas encore été diagnostiqués. Sauf à adresser des messages de prévention par le biais des médias : si vous avez le moindre doute, allez consulter. D’ailleurs, il faut signaler que Gustave Roussy a ouvert ses consultations aux patients dont le diagnostic n’a pas encore été confirmé mais chez qui on suspecte un cancer.
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