Un choc post-traumatique. Voilà ce dont souffrent les malades de cancer qui ont vu leur prise en charge modifiée en raison de la pandémie de Covid-19. C’est la conclusion de l’étude COVIPACT-1 menée par le Dr Florence Joly, oncologue et chef de service de l’unité de recherche clinique du centre François-Baclesse de Caen. “Au départ, cette étude avait pour objectif de suivre l’adaptation des traitements contre le cancer pendant la pandémie. Mais on s’est vite aperçu que les patients étaient très inquiets. Nous avons donc décidé d’ajouter un volet psychologique à l’étude” explique le Dr Joly.
La double peine
Deux semaines après le début du confinement, les patients des 2 centres de lutte contre le cancer normands – le Centre François Baclesse de Caen et le Centre Henri Becquerel de Rouen – ont été soumis à des questionnaires afin d’évaluer leur stress, leur qualité de sommeil, leur qualité de vie et leur cognition (mémoire, raisonnement…). “Il s’agissait de patients suivis en hôpital de jour, sous chimiothérapies, thérapies ciblées ou immunothérapies, précise le Dr Joly. Cette étude n’a pas concerné les patients sous radiothérapie ou devant subir une chirurgie”.
Environ un quart de ces malades ont vu leurs traitements ou leur suivi adapté en raison du contexte sanitaire : espacement des injections d’immunothérapie, suivi par téléconsultation des traitements oraux… Résultat de l’étude : 20% des patients dont la prise en charge a été modifiée souffrent de choc post-traumatique. Angoisse, cauchemars répétitifs, irritabilité… Des troubles qui impactent directement la qualité de vie des malades.
« L’annonce d’un cancer est déjà un traumatisme en soi »
“Ils avaient l’impression de vivre une double peine. Non seulement ils devaient lutter contre un cancer mais on leur répétait que, s’ils attrapaient le virus, ils risquaient d’en mourir. Pour certains, on leur a en plus annoncé qu’ils n’auraient pas le traitement prévu au départ. Ça fait beaucoup à gérer” reconnaît le Dr Joly. “L’annonce d’un cancer est en soi un événement traumatisant, ajoute Antony Narayanassamy, psychologue au Centre François Baclesse. C’est un événement imprévisible qui nous renvoie à notre finitude. Le psychisme est débordé et n’arrive pas à intégrer la nouvelle. Le mot “cancer” provoque une sidération. Parfois les personnes sont tellement choquées qu’elles sont incapables d’entendre ce qu’on va leur dire dans les minutes qui suivent. Si vous ajoutez à cela l’annonce du confinement, les annulations de rendez-vous… Tout cela se télescope.”
Deuxième confinement, deuxième choc
Trois mois plus tard, lors d’une nouvelle évaluation, le Dr Joly est toutefois soulagée de constater que l’état psychologique de ces patients s’améliore : “Nous étions alors en été. La France avait été déconfinée. Les patients allaient tous beaucoup mieux.” Un soulagement de courte durée. La 2ème vague réveille le traumatisme. “Un traumatisme est un changement brutal de situation qui peut être amené à se répéter dans le temps. C’est le cas des attentats. C’est aussi le cas avec cette pandémie et les confinements récurrents” explique le Dr Joly.
Avec l’émergence des nouveaux variants et la perspective d’un nouveau confinement, pas question pour le Dr Joly de se contenter d’observer sans rien faire : “Les malades de cancer n’ont pas besoin de gérer ça en plus. On a donc décidé de tester tous les malades pour un stress post-traumatique et, pour ceux qui en souffrent, de leur proposer un soutien psychologique pendant 6 mois afin de les aider à traverser cette période Covid qui n’en finit plus.”
Verbaliser pour se libérer
Cinq psychologues des centres normands dédient aujourd’hui une demi-journée par semaine au suivi de ces patients. Parmi eux, Antony Narayanassamy : “On demande aux patients de nous raconter chronologiquement l’événement traumatisant en y associant son ressenti. Souvent, il est aisé de relater l’enchaînement des faits mais ce qui est compliqué c’est d’y rattacher l’affect. Quand le patient se rappelle de l’événement, c’est comme s’il le revivait. L’inconscient ne connaît pas le temps. Ce sont des moments très forts émotionnellement parlant.”
Verbaliser son vécu. Auprès d’un professionnel formé. C’est ainsi que les malades de cancer traumatisés pourront se libérer de leur mal être comme l’explique Antony Narayanassamy : “Il est essentiel de mettre des mots sur des choses dont on ne parle pas habituellement, voire auxquelles on n’ose même pas penser. Le psychologue est alors un interlocuteur intéressant. On a tous des proches, des conjoints, des amis avec qui on peut discuter mais parfois il est plus facile de nouer un dialogue avec un étranger qui ne nous jugera pas. »
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Emilie Groyer