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Covid & oncologie : une crise et des opportunités

{{ config.mag.article.published }} 1 décembre 2021

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Illustration : Alice Des

La pandémie de Covid-19 nous a tous forcés à nous adapter. Le monde médical en premier lieu, qui a dû trouver à la vitesse grand V des solutions dont l’oncologie, en particulier, pourrait bien bénéficier.

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Voilà un an maintenant que nous affrontons la pandémie de Covid-19. Il est l’heure de faire le bilan. Pour les malades de cancer, il est lourd. Annulation des chirurgies, reports de traitement, effondrement des dépistages… Les pertes de chance, accumulées au fil des mois, font déjà craindre une hausse sensible de la mortalité par cancer dans les années à venir. Si cette crise a révélé les failles de notre système de soins, l’urgence qui l’a accompagnée a aussi poussé les acteurs de santé à se remettre en question, à s’adapter et à déployer des solutions jusque-là balbutiantes, voire à se réintéresser à des traitements auparavant délaissés, un peu trop vite peut-être… Des ajustements restent à faire et la recherche doit continuer, mais déjà, en cancérologie, de nouvelles perspectives de traitement et de prise en charge s’ouvrent pour les malades. à brève ou moyenne échéance, ceux-ci peuvent légitimement espérer que du bon sortira de cette situation sans précédent. La preuve par trois…

Télémédecine, un vrai +, mais…

Le 17 mars 2020, la France découvre le confinement. Et les généralistes, l’intérêt des consultations à distance. Les chiffres en attestent. Durant les six mois suivant le confinement, 4,5 millions de téléconsultations ont été réalisées via Doctolib, alors que ce chiffre peinait à atteindre les 100 000 depuis le lancement de cette application, un an plus tôt.

La crise du Covid a permis le développement de la télémédecine - roseupassociation - rosemagazine
Illustration : Alice Des

L’oncologie n’est pas étrangère à ces nouveaux outils de suivi à distance. Elle a même une longueur d’avance en la matière. Depuis le virage ambulatoire encouragé par le troisième plan cancer, en 2014, et le recours croissant aux thérapies orales, des solutions ont été conçues pour suivre les malades en dehors de l’hôpital. Moovcare en est certainement le meilleur exemple. Cette application de télésurveillance, dont le développement a débuté précisément en 2014, est destinée aux patients touchés par un cancer du poumon. Elle envoie chaque semaine un questionnaire aux malades. En fonction de leurs réponses, un algorithme est capable de détecter le risque de rechute et d’alerter l’oncologue. Une réactivité qui permet de prolonger la survie de ces malades de manière significative et qui a valu à l’application d’obtenir son remboursement par l’Assurance maladie en 2019. Une première pour un logiciel. Depuis, de nombreuses applications destinées à surveiller les effets indésirables des traitements anticancer administrés à domicile ont vu le jour. « Tout le monde avait conscience que l’objectif était de développer la téléconsultation et de minimiser le déplacement des patients », reconnaît le Pr Barlesi, directeur médical de Gustave-­Roussy, plus grand centre européen de lutte contre le cancer.

Avec la pandémie, l’occasion se présentait de tester ces nouveaux outils sur une grande échelle. En théorie. « Je m’étais dit qu’avec la crise la télémédecine allait prendre tout son sens, parce qu’on était déjà prêts. Mais, pendant la première vague, la sidération a été telle que les soignants n’ont pas sollicité ces outils », analyse le Dr Antoine Lemaire. Face à un quotidien bouleversé par une situation inédite, la télémédecine a été vécue comme un fardeau supplémentaire par les personnels soignants. Les applications et autres objets connectés demandent un minimum de temps pour les appréhender. Temps dont ces personnels ne disposaient pas. Alors, plutôt que de choisir l’innovation, les oncologues ont préféré faire avec les moyens du bord. Et la télémédecine s’est limitée souvent à des coups de téléphone, à la communication via des messageries instantanées ou, dans le meilleur des cas, à des visioconférences. Avec parfois un résultat catastrophique pour les patients. Comme cela a été le cas pour Marie. En avril 2020, deux mois après sa reconstruction mammaire, son sein change de couleur et devient dur. Inquiète, elle obtient une consultation… par téléphone. « Le chirurgien m’a demandé de lui envoyer une photo et a conclu qu’il s’agissait d’une simple inflammation », explique la jeune femme. Un mois plus tard, malgré le traitement prescrit, Marie ne note aucune amélioration. Cette fois, elle obtient un rendez-vous « en présentiel ». Le couperet tombe : le cancer a récidivé. « Dès que le médecin a posé les mains sur mon sein, il a compris ce qu’il en était. Je ne peux pas m’empêcher de penser que, s’il m’avait vue plus tôt, j’aurais pu éviter tout ce qui s’en  est suivi. » Chimio, rayons, thérapie ciblée…

Quelle leçon peut-on tirer de cette confrontation à la « vie réelle » ? Que le recours à la télémédecine ne s’improvise pas. Et doit être encadré. Cela n’a pas échappé aux sociétés savantes qui analysent actuellement les retours d’expérience des praticiens afin d’émettre des recommandations. « Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y aura pas de marche arrière, affirme le Pr Barlesi. La téléconsultation, oui, mais il faudra identifier les situations dans lesquelles on pourra la proposer. Par exemple, pour les patients qui ont un risque minime de rechute. En revanche, les consultations d’annonce et de progression devront continuer à se faire en physique. »

+ de lien entre la ville et l’hôpital

Au printemps 2020, pendant des semaines, nous avons applaudi à nos fenêtres tous les soirs à 20 heures les soignants hospitaliers, véritables héros de cette pandémie. Une reconnaissance bien méritée. Il ne faudrait pas pour autant oublier d’autres acteurs cruciaux dans la gestion de cette crise : les généralistes. Sans leur mobilisation, les hôpitaux, saturés, n’auraient pas pu faire face. Près de 80 % des personnes infectées par le coronavirus, ne nécessitant pas une hospitalisation, ont ainsi été prises en charge en ville.

Pour Guillaume Gaud, l’oncologie ferait bien de s’inspirer de cette collaboration : « Notre système est trop hospitalo-centré. Les oncologues hospitaliers ont tendance à travailler directement avec le patient. Ils oublient la ville. On voit bien avec cette crise que ce n’est plus possible. » Ce pharmacien de formation est aussi fondateur de la société Continuum+. Il propose depuis deux ans des applications de télésuivi pour les malades de cancer qui mettent en lien oncologues, pharmaciens, médecins traitants et infirmières libérales. Le Dr Paul Frappé, président du Collège de la médecine générale, partage cette analyse et espère que cette crise sera l’occasion pour chacun de retrouver sa place et de faire reconnaître sa valeur ajoutée : « Les médecins généralistes ont peu de relations actuellement avec les oncologues. On n’est même pas informés lorsqu’un malade sort de l’hôpital. Pourtant, le médecin traitant peut apporter sa connaissance du contexte familial, de l’environnement et de la situation professionnelle du patient… Il y avait eu des expérimentations pour que les généralistes soient présents aux réunions de concertation pluridisciplinaire [RCP, NDLR], mais on n’a pas réussi à mettre en place cette pratique. Peut-être que cela va changer avec la crise. J’ai ressenti une volonté de l’hôpital d’essayer d’améliorer les choses, mais je ne vois pas encore d’avant/après. »

Heureusement, des initiatives contredisent le pessimisme du médecin. Depuis juin, le centre Léon-Bérard expérimente ainsi un parcours de soins dont l’objectif est clairement établi : suivre à distance les malades sous immunothérapie. Pour ce faire, l’étude repose sur une collaboration avec des acteurs souvent oubliés par les hôpitaux : les infirmières libérales. Mais sa mise en place a demandé du temps. « Le problème, c’est que nous n’avions pas la liste des infirmières libérales du secteur », explique Pascale Sontag, adjointe à la direction des soins sur les parcours du centre Léon-Bérard. « Jusqu’à présent, on demandait aux patients s’ils avaient une infirmière. Et quand ils en avaient une, ce qui n’était pas toujours le cas, si elles étaient formées aux immunothérapies. Pour notre projet, nous avons donc dû commencer par les répertorier. Puis nous leur avons fait suivre une formation à l’éducation thérapeutique 1 pour qu’elles soient en mesure d’apprendre aux patients comment reconnaître les signes d’une toxicité. » L’expérimentation ne démontrera pas son efficacité avant cinq ans, mais d’autres hôpitaux se sont d’ores et déjà montrés intéressés.

+ d’espoir avec le retour de la vaccinothérapie

ARNm. Cet acronyme (ARN pour acide ribonucléique, et m pour messager) est depuis quelques mois présent sur toutes les lèvres. Indissociable de la vaccination anti-Covid, et synonyme d’efficacité. Mais, lorsqu’il a surgi dans les médias, l’ARNm a d’abord suscité quelques interrogations, voire des inquiétudes, du fait de sa nouveauté. Une nouveauté toute relative.

La crise du Covid a permis le retour des vaccins à ARNm dans le domaine de l'oncologie - rosemagazine - roseupassociation
Illustration : Alice Des

L’intérêt des chercheurs pour les vaccins à ARNm remonte en effet à plus de vingt ans et il est né dans le domaine de l’oncologie. Cette approche suscitait alors beaucoup d’espoir. L’idée était d’utiliser le principe de la vaccination, non pas à des fins préventives, mais à visée thérapeutique, notamment dans le traitement du mélanome, en entraînant le système immunitaire à reconnaître la tumeur pour qu’il s’attaque à elle et la détruise. Simple. Sur le papier. En pratique, les chercheurs ont été confrontés à un problème de taille : « Les vaccins à ARNm n’étaient pas très efficaces parce que l’ARNm se dégrade très vite. Il est dégradé par des enzymes, les RNases. Et quand on l’injecte dans l’organisme il est reconnu par le système immunitaire, qui le dégrade aussi. Le concept était séduisant, mais ça ne marchait pas », reconnaît le Pr éric Tartour, chef du service d’immunologie biologique à l’hôpital européen Georges-Pompidou. Les vaccins à ARNm ont donc été abandonnés… Jusqu’à l’arrivée des vaccins à ARNm contre le Covid.

Pourquoi les vaccins contre le Covid ont réussi où les vaccins contre le cancer avaient échoué ? Question de « timing ». « Juste avant la pandémie, des travaux ont montré qu’il était possible de stabiliser les ARNm en modifiant des nucléotides [composants de l’ARNm, ndlr]. Cela les rend moins reconnaissables par notre système immunitaire. On a aussi découvert qu’en les encapsulant dans des nanoparticules lipidiques, on les protégeait des RNases. Ces publications sont passées inaperçues. Jusqu’à ce qu’elles trouvent une application avec le Covid », explique le Pr Tartour. Comme un juste retour des choses, l’efficacité des vaccins anti-Covid pourrait bien bénéficier finalement aux vaccins contre le cancer. « On note une augmentation importante des essais cliniques sur des vaccins ARNm anticancer, avec une trentaine d’études en cours de phases 1 et 2 », a remarqué le Pr Tartour, qui travaille lui-même sur un vaccin thérapeutique contre les cancers liés aux papillomavirus (HPV). Les mélanomes, glioblastomes (tumeurs cérébrales) et cancers du poumon font aussi, actuellement, l’objet d’essais cliniques de phase 2.

Cette approche pourrait par ailleurs potentialiser l’effet d’autres traitements innovants. L’immunothérapie d’abord. « Des études dans les cancers ORL ou du col de l’utérus 2 ont montré par exemple que la combinaison d’une immunothérapie et d’une vaccinothérapie permet de réduire le volume de la tumeur chez respectivement 30 % et 42 % des malades traités. C’est deux fois plus que les résultats obtenus pour chacun des traitements pris séparément ! » s’enthousiasme le Pr Tartour.

Les CAR-T cells ensuite. Pour rappel, cette technique consiste à prélever des cellules du système immunitaire du patient, à les modifier en laboratoire pour les entraîner à reconnaître la tumeur, avant de les réinjecter au patient. « Le problème des CAR-T cells, c’est qu’elles ont tendance à disparaître après l’injection », explique le Pr Tartour. Pour qu’elles se maintiennent dans l’organisme, il faut qu’elles soient stimulées par la cible tumorale contre laquelle on les a entraînées. « Et la tumeur n’est pas un bon stimulus, précise le Pr Tartour. En revanche, une étude a montré qu’un vaccin à ARNm pourrait l’être. Il permettrait de faire persister les CAR-T cells plus longtemps et d’obtenir une efficacité thérapeutique plus grande 3. »

Emilie Groyer
Illustration : Alice Des

Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 20, p. 44)

1. L’éducation thérapeutique s’adresse à des personnes atteintes de maladies chroniques. à travers des ateliers, elle permet aux malades de s’informer sur leur maladie, leurs traitements et leur prise en charge, et ainsi de devenir autonomes et acteurs de leur santé.

2. Massarelli et al., « Combining immune checkpoint blockade and tumor-specific vaccine for patients with incurable human papillomavirus 16 –related cancer : a phase 2 clinical trial », JAMA oncology, 2018 ; et Youn et al., « Pembrolizumab plus GX-188E therapeutic DNA vaccine in patients with HPV-16-positive or HPV-18-positive advanced cervical cancer : interim results of a single-arm, phase 2 trial », The Lancet, 2020.

4. Reinhard et al., « An RNA vaccine drives expansion and efficacy
of claudin-CAR-T cells against solid tumors », Science, 2020.


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Emilie Groyer

Rédactrice en chef du site web de Rose magazine. Titulaire d'un doctorat en biologie, Emilie a travaillé 10 ans dans le domaine des brevets en biotechnologie avant d'opérer une reconversion dans le journalisme. Elle intègre la rédaction de Rose magazine en 2018. Sa spécialité : vulgariser des sujets scientifiques pointus pour les rendre accessibles au plus grand nombre.

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