Dès l’annonce du confinement, les équipes du service d’oncologie du centre hospitalier Paris Saint Joseph se sont mises en ordre de marche. L’enjeu était double : sanctuariser le service de cancérologie en limitant les allers-venues des malades. Mais aussi garder un œil sur ces patients considérés particulièrement vulnérables, face au coronavirus.
En cas de doute: test de dépistage et scanner thoracique
Pour protéger les patients en rémission, les oncologues les ont invités à rester chez eux. Que faire pour s’assurer à distance qu’ils n’ont pas contracté le virus ? « On profite des télé-consultations pour faire du dépistage, explique le Pr Eric Raymond, chef du service d’oncologie médicale. Si nous identifions un patient suspect, nous l’appelons tous les jours jusqu’à disparition des symptômes. Il est essentiel de s’assurer que nos patients en oncologie passent ce cap. Dans la majorité des cas, la maladie est bénigne, mais l’état d’un patient peut s’aggraver brutalement. Si c’est le cas, nous le faisons hospitaliser.»
« Lorsque nous identifions un patient suspect, nous l’appelons tous les jours jusqu’à disparition des symptômes. Si son état s’aggrave, nous l’hospitalisons dans notre « aile covid »»
Pour les patients encore sous traitement, « il est plus facile de détecter une infection Covid puisqu’ils viennent fréquemment à l’hôpital« , constate le Pr Raymond. En revanche, chacune de leur venue expose les patients et le personnel soignant à un risque de contamination. Pour le limiter, le service s’est organisé : distribution de masque dès l’entrée dans le bâtiment, lavage de mains avec du gel hydroalcoolique sous le contrôle du personnel hospitalier, lui-même protégé. À la moindre suspicion d’infection, le malade est sorti du service d’oncologie pour réaliser un test de dépistage et un scanner thoracique. « “Suspect” ça veut dire infecté jusqu’à preuve du contraire » rappelle le Pr Eric Raymond. Si l’infection est confirmée, le malade est placé dans “l’aile Covid” de l’hôpital.
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Gustave Roussy consacre 90 lits aux patients covid-19
Gustave Roussy a mis en place les mêmes règles sanitaires. Et comme le centre est uniquement dédié aux malades de cancer, il devrait envoyer ses patients testés positifs au coronavirus vers les urgences des hôpitaux voisins. Gustave Roussy a pourtant fait le choix de garder ses malades de cancer infectés par le coronavirus dans ses murs.
« Gustave Roussy consacre actuellement près de 90 lits à la prise en charge de patients atteints de Covid avec cancer. Cette crise sanitaire exceptionnelle nous a obligé à changer notre organisation et la prise en charge des patients atteints de cancer. C’est en reportant les traitements qui pouvaient l’être, en décalant les chirurgies programmées, que Gustave Roussy a pu continuer à assurer la prise en charge de nouveaux patients ainsi que l’urgence chirurgicale et en radiothérapie. Notre priorité est double : assurer la continuité des soins urgents cancérologiques avec un niveau de sécurité maximum pour nos patients et nos soignants tout en apportant aux patients Covid graves le meilleur de notre excellence clinique », explique le Pr Jean-Charles Soria, directeur général de Gustave Roussy.
Une décision délicate que le Dr Fanny Pommeret, oncologue médical dans l’aile Covid de Gustave Roussy, explique simplement : “En région parisienne, on est en situation d’épidémie gravissime. La capacité des Centres Hospitalo-Universitaires et des hôpitaux généraux commencent à être dépassée. Gustave Roussy est une très grosse structure : c’est le premier centre européen de lutte contre le cancer. On a une réanimation et des infectiologues sur place. Il était normal qu’on en prenne notre part.”
Arrêt des traitements pendant l’infection
“L’aile Covid”, késako ? Concrètement, il s’agit d’un étage entièrement réservé aux personnes porteuses, ou suspectées d’être porteuses, du coronavirus. Trente chambres individuelles pour le centre hospitalier Paris Saint Joseph. Quarante du côté de Gustave Roussy.
« On arrête les chimiothérapies à cause du risque aplasique et aussi les thérapies ciblées chez les patients infectés par le Covid-19 »
Les malades de cancer y sont pris en charge, comme les autres personnes infectées par le virus, par des infectiologues et des pneumologues. Seule différence : des oncologues sont également à leur chevet. « On cesse tous les traitements contre le cancer mais on poursuit ou on adapte les traitements symptomatiques : douleur, nausées, angoisses… » explique le Dr Pommeret. Et les risques liés au retard de traitement ? Le Pr Raymond se veut rassurant : « Avant l’épidémie de coronavirus, nous suspendions déjà les traitements lorsque nos patients contractaient une infection bactérienne ou virale. Il faut attendre que l’épisode aiguë soit passé avant de reprendre les soins. Dans le cas du Covid-19, cela dure environ une semaine à 15 jours. En oncologie des tumeurs solides, cela n’entraîne pas de perte de chance. Et de toute façon, les patients seraient trop fatigués pour recevoir leurs traitements. Il faut être raisonnable et faire prendre de bon sens. »
Comme toujours en médecine, tout est question d’équilibre entre le bénéfice et le risque. « On arrête les chimiothérapies parce qu’il y a un risque d’aplasie [baisse du taux de globules blancs, NDLR] surajouté. On arrête aussi les thérapies ciblées car il y a des interactions très nombreuses avec les traitements antiviraux qu’on utilise. Pour les hormonothérapies, le cas ne s’est pas encore présenté à Gustave Roussy mais on en discuterait », précise le Dr Pommeret.
Moins de patients d’oncologie que prévu
L’aile Covid du centre hospitalier Paris Saint Joseph compte actuellement 5 patients avec un cancer. Une trentaine du côté de Gustave Roussy. Les ailes Covid ne sont donc pas “submergées” de patients touchés par un cancer. « Nous avons encore quelques lits de libres », confirme le Dr Pommeret.
Une situation “paradoxale” de l’avis même du Pr Raymond : « Parce qu’ils sont à risque, on s’attendait à avoir plus de patients venant d’oncologie. Mais un de mes patients m’a dit que, parce qu’il se sait vulnérable, il fait plus attention. » Depuis le début de l’épidémie, l’oncologue a hospitalisé une quinzaine de patients avec un cancer : « Nous avons signé pas mal de sorties aujourd’hui et nous n’avons à déplorer aucun décès jusqu’à présent. Je touche du bois. »
À Gustave Roussy, le bilan est moins idyllique mais pas catastrophique. « Nous avons perdu 4 patients parmi les 94 que nous avons traités jusque-là, confirme le Dr Pommeret. Il s’agissait de personnes en fin de vie ou avec de multiples comorbidités1. »
Ne pas stigmatiser davantage les malades cancer
Âge avancé, diabète, obésité, hypertension… Voilà donc où résideraient les véritables risques de complications face au coronavirus, selon le Pr Raymond : « Les patients qui sont le plus à risque sont ceux qui ont une comorbidité. Le cancer est un facteur de comorbidité mais ce n’est pas le seul. Un patient qui n’est pas obèse, qui n’a pas de problèmes respiratoires surajoutés, qui n’a pas d’hypertension ou de maladies cardiovasculaires, qui n’a “que” le cancer comme facteur de risque, finalement, ce n’est pas un patient tant à risque que ça. Prenons l’exemple du cancer du sein : la plupart des patientes n’ont pas de comorbidités associées et finalement leur surrisque est probablement plus modéré. »
Le Pr Raymond et le Dr Pommeret n’ont qu’une inquiétude : que les malades soient sous-traités en raison de l’étiquette “cancer” qui leur colle à la peau s’ils sont pris en charge dans des urgences bondées. Le Pr Raymond le clame : « Il ne faut pas stigmatiser davantage les malades de cancer ».
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Emilie Groyer
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Maladies qui accompagnent une autre maladie. Dans le cas du cancer, il peut s’agir du diabète, de l’obésité, de l’hypertension…