Le Centre Léon Bérard a annoncé le lancement de 3 nouveaux essais cliniques portant sur des personnes atteintes de cancer. Le premier, ONCOVID-19, a pour but de comprendre pourquoi ses patients sont plus fragiles face au coronavirus ?
Pr Jean-Yves Blay : En effet. Nous allons suivre le devenir des patients qui présentent des symptômes de COVID-19 et qui sont en cours de traitement contre le cancer. Quel que soit le traitement : chimiothérapie, radiothérapie, thérapie ciblée, immunothérapie, chirurgie… Cela nous permettra d’évaluer le taux de complications.
À ce jour, 2 études montrent que les patients atteints de cancer font partie des populations plus à risque de développer des complications mortelles. Ce n’est pas illogique puisqu’ils peuvent présenter une immunosuppression [baisse du système immunitaire, NDLR]. Mais on veut savoir si c’est le cas uniquement des patients sous chimiothérapie ou si c’est aussi vrai pour les thérapies ciblées ou les hormonothérapies. Aujourd’hui, même s’il n’y a pas de raison objective de penser que les hormonothérapies augmentent les risques de complication, nous n’avons pas de données qui nous permettent de l’affirmer. Cette étude permettra de l’évaluer.
Se pose aussi la question des patients sous immunothérapie. Ces données vont être très importantes. Pour le moment, les informations que nous avons sont disparates. Elles laissent penser que l’immunothérapie peut être associée avec un moins bon pronostic du COVID-19. Mais, en même temps, la plupart des patients traités par immunothérapie ont un cancer du poumon, ont subi une opération et sont fragiles sur le plan pulmonaire. Il est donc difficile d’en conclure quoi que ce soit. Notre étude permettra de démêler tout ça.
Le 2ème essai va tester 2 traitements qui pourraient éviter que les malades de cancer développent des formes graves de l’infection. L’un de ces traitements est dérivé de la chloroquine dont il est beaucoup question actuellement…
D’abord, il faut rappeler que les personnes atteintes d’un cancer ont plus de risques de développer des complications de COVID-19. Dans cette 2ème étude, on va donc essayer de les traiter avant qu’ils ne développent une forme grave, c’est-à-dire quand ils présentent des symptômes type fièvre, toux… On va évaluer s’il est possible d’éviter que ces symptômes n’évoluent. On va tester pour cela 2 traitements : un dérivé de chloroquine et une immunothérapie.
Dans le premier bras de l’étude – le principal -, on va proposer aux patients soit le traitement habituel – symptomatique1 – soit leur proposer en plus un dérivé de chloroquine. Il ne s’agit pas de l’hydroxychloroquine mais d’un dérivé qui est testé actuellement comme thérapie anti-cancer et pour lequel nous avons déjà des données sur sa toxicité et sa sécurité.
Dans ce 2ème essai, vous allez également tester des traitements capables de stimuler les défenses de l’organisme ?
Dans le second bras de l’étude, on va tester des inhibiteurs de checkpoint (type d’immunothérapie, ndlr) habituellement utilisés pour traiter certains cancers. Le but est en effet de mobiliser le système immunitaire.
On va être très prudents avec ce bras de l’étude parce qu’on ne connaît pas encore exactement le rôle du système immunitaire dans l’aggravation du COVID-19. Il y a 2 hypothèses qui ne sont pas tranchées. Soit les formes graves sont causées par une réponse excessive de certaines cellules du système immunitaire – les macrophages – qui sont responsables de ce qu’on appelle la « tempête cytokinique » (voir l’encadré). Et dans une certaine mesure on sait que c’est le cas. Soit l’aggravation est due à une réponse déficiente des lymphocytes2. Ce qui est corroboré par le fait que les patients gravement atteints sont tous lymphopéniques3 et que les poumons des patients décédés sont dénués de lymphocytes. Les 2 hypothèses ne sont pas exclusives. Avec les inhibiteurs de checkpoint nous espérons stimuler la réponse des lymphocytes.
LA TEMPÊTE CYTOKINIQUE, KÉSAKO ?
Lors d’une infection par un virus, les macrophages sont parmi les premières cellules du système immunitaire à se rendre dans l’organe touché (les poumons dans le cas du coronavirus). Toutefois, leurs capacités à détruire les cellules infectées sont limitées. Elles vont donc alerter d’autres cellules plus spécialisées, les lymphocytes. Pour ce faire, les macrophages vont libérer des messagers : les cytokines.
Dans les formes de graves de COVID-19, il semblerait que les macrophages sont « surexcités » par le virus et libèrent une quantité excessive de cytokines. Le système immunitaire s’emballe et devient incontrôlable, provoquant une réaction inflammatoire exacerbée. Cette dernière entraine une augmentation de la pression artérielle, une chute de l’oxygénation des tissus et une défaillance des organes.
Le dernier essai porte cette fois sur des patients présentant des formes graves de COVID-19…
Oui. Dans ce 3ème essai, nous proposerons aux patients le traitement standard, le dérivé de la chloroquine ou le tocilizumab.
Le tocilizumab est un anticorps qui bloque l’IL-6, l’une des cytokines impliquées dans la tempête cytokinique. On l’a retrouvée en concentration très élevée chez les patients souffrant de graves complications. Une étude chinoise portant sur 20 patients rapporte une amélioration avec le tocilizumab.
Mais à ce stade, il n’est pas possible de dire si tel ou tel traitement est prometteur : nous n’avons pas assez de données pour le dire. Il n’y a que la science rigoureuse qui permettra de trancher cette question. Et il faut la faire à toute vitesse.
LIRE AUSSI : Retrouvez tous nos articles sur la vaccination, l’impact de la pandémie sur les malades de cancer, les risques face au Covid-19, les pertes de chance… dans notre dossier complet Cancer et coronavirus.
Propos recueillis par Emilie Groyer
1. Qui traite les symptômes et non la cause de la pathologie
2. Cellules du systèmes immunitaires impliquées notamment dans la destruction des cellules infectées par un virus
3. Nombre anormalement bas de lymphocytes