Devant l’épidémie de coronavirus, le ministère de la Santé a demandé, jeudi 12 mars, la déprogrammation immédiate des interventions chirurgicales non urgentes. Pourquoi ? Les chirurgies sous anesthésie générale nécessitent des réanimations post-opératoires et occupent donc des lits de réanimation. Lits qui sont redéployés en priorité pour les patients atteints de forme sévères du coronavirus.
« Plan Blanc Hôpital » activé pour faire face à l’épidémie de Covid-19
Un courrier dans ce sens a été envoyé par le ministère de la Santé à toutes les Agences régionales de santé (ARS). L’ARS, Ile de France précise que cette activation du niveau 2 du Plan Blanc, avait été préparée en amont avec tous les hôpitaux et cliniques pour libérer des salles de réveil, des lits de réanimation et le personnel correspondant. « On avait préparé cette opération avec tous les établissements, en particulier ceux qui ont des réanimations qui vont accueillir des patients positifs au Covid-19. Les autres hôpitaux devront aussi faire de la place, ce qui suppose une fluidité totale, d’où une mécanique de dominos que nous avons organisée depuis plusieurs semaines et qui va mobiliser toutes les équipes« , a précisé Aurélien Rousseau, le directeur général de l’ARS d’Île-de-France.
Des hôpitaux préparés face au coronavirus
De nombreux hôpitaux avaient pris les devants depuis plusieurs jours. A Bordeaux, l’Institut Bergonié, centre de lutte contre le cancer, était prêt à déprogrammer les reconstructions mammaires et augmenter de 10% le nombre de lit d’hospitalisation afin d’accueillir les malades venus des CHU.
« On navigue à vue, jour par jour. Heure par heure »
Le Dr Séverine Alran est chirurgienne, coordinatrice du centre du sein de l’Hôpital Saint Joseph à Paris. Elle nous répond tout en informant les autres chirurgiens, vérifiant son WhatsApp, aérant sa salle de consultation. Chaque seconde compte.
« A Saint-Joseph toutes les chirurgies « non urgentes » sont annulées. Cela représente environ 40% des opérations prévues. La chirurgie « non urgente » est la chirurgie qui n’a pas de retentissement sur la survie. Donc finalement, le choix du maintien de l’opération se fait au cas par cas, en jugeant avec les informations dont on dispose aujourd’hui. On évalue le bénéfice/risque pour chaque patient. Par exemple, j’ai annulé aujourd’hui l’opération d’une dame de plus de 80 ans qui vient d’être diagnostiquée d’un cancer peu agressif. Pour elle, le risque éventuel d’une contagion au coronavirus est plus dangereux que sa tumeur. En fait, on navigue à vue, jour par jour et heure par heure. Il y a l’aléa de ce virus pour les patients bien sûr – mais aussi pour les équipes soignantes qui peuvent également tomber malade et cesser de travailler. Donc on ne cesse de ré-évaluer les situations, les critères sont très mouvants. D’ailleurs on a créé des groupes WhatsApp par équipe afin de se tenir au courant en temps réel. »
Un « cordon sanitaire » autour des patients en chirurgie
Les malades de cancer dont les chirurgies ont été confirmées ont dû s’adapter à une organisation chamboulée. C’est le cas de Delphine qui est entrée ce vendredi 13 mars à la clinique Tivoli, une clinique bordelaise pour une hystérectomie. La jeune femme diagnostiquée d’un cancer du col de l’utérus fait partie des patients dont les chirurgies, curatives, ne peuvent pas être reportées. Elle nous raconte: « Hier, donc la veille de mon intervention, j’ai reçu l’appel d’un infirmier pour me poser des questions sur mon état général. Il voulait savoir si j’étais enrhumée, fiévreuse ou si j’avais côtoyé des personnes malades. Comme j’ai eu il y a quelques semaines un curage ganglionnaire, j’ai du mal à me déplacer et je suis restée chez moi…« . Delphine est donc arrivée à 10H30, comme prévu, pour son admission. Là, dans le hall de la clinique, les mesures d’urgence pour la mise en place d’un « cordon sanitaire » étaient en voie d’installation : des barrières et des plots aux admissions afin que les patients restent relativement éloignés des uns des autres. Une « distance de sécurité » de 1 mètre entre chaque personne était requise.
« On doit se montrer solidaires »
Et surtout les accompagnants étaient priés de ne pas dépasser le « hall d’entrée. « Mon mari n’a pas pu monter avec moi dans la chambre. Pour moi, ça va, en revanche pas mal de personnes âgées râlaient. C’est pour leur sécurité mais elles étaient un peu paniquées… En arrivant, je me suis rendue compte que j’étais en chambre double, alors que j’avais réservé une chambre individuelle. Les infirmières m’ont expliqué que l’on était en phase 2 du Plan Blanc Hôpital et que des lits devaient être laissés libre pour les cas plus graves qui pourraient arriver du CHR. On doit tous se montrer solidaires « .
Les soignants tiraillés entre des horaires XXL et leurs enfants déscolarisés
À l’Institut Curie de Paris, l’ensemble des équipes de direction sont en réunion de crise et suivent l’évolution heure par heure. Comme la totalité des hôpitaux de France, le grand centre parisien a annulé toutes les chirurgies « non urgentes » notamment les reconstructions mammaires. Le but ? Anticiper une tension prévue sur les postes de réanimateur, sur les blocs mais aussi, problème de plus à gérer, les familles des soignants. Eux aussi sont parents et en plus de journées non-stop doivent gérer leurs enfants déscolarisés à partir de lundi. Un problème supplémentaire pour des équipes déjà sur-sollicitées en temps normal: » On s’apprête à recevoir la vague du tsunami, confie Laurence, infirmière dans un CH parisien. Moi, j’ai trois enfants, dont un à la crèche. Mon mari est soignant en EPHAD. Je ne sais vraiment pas comment on va faire entre les horaires XL qui vont devenir XXL et la garde des enfants ».
Le chef de service d’un service d’oncologie de l’APHP résume la situation avec aigreur: « Cette crise du coronavirus est un crash test de nos hôpitaux et de notre système de santé. Mais un « crash test » en vrai. Ça passe ou ça casse. Je prie pour que ce que nous dénonçons, depuis des années, la tension sur les personnels, le délabrement de notre système de santé, ne nous explose pas à la figure. »
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Céline Lis-Raoux