«Non, mais attends, moi, je suis blonde normalement…» La jeune femme scrute avec étonnement son reflet dans le miroir: une mèche rouquine balaie désormais son front. Derrière elle, Julie répond du tac au tac, dans un éclat de rire: «Mais tu t’en fous… T’as plus de cheveux, de toute façon!»
Chaque mois, dans les locaux de la Ligue contre le cancer, à Nice, Julie Meunier anime un atelier «unique en son genre sur le territoire, à ma connaissance», dit-elle. À 28 ans, ancienne cadre dans l’immobilier, la jeune femme – atteinte d’un cancer du sein – déboule avec ses sacs de foulards, chapeaux, barrettes, fleurs artificielles et autres fausses franges. Objectif: aider les femmes ayant perdu leurs cheveux en raison de la chimiothérapie à réapprendre le plaisir de se coiffer.
Nouer son foulard, une thérapie
Debout devant la dizaine de participantes du jour, Julie – jean pattes d’eph, chemise à carreaux, maquillage soigné et tchatche pétillante – martèle: « Nouer votre foulard, ça doit être une thérapie. Exactement comme si vous vous coiffiez chaque matin. »
Autour de la longue table, Armelle, Françoise, Andrée, Fabienne, Agnès, Joséphine, Denise, Corinne, Julie et Nathalie sont assises face à face. Dix femmes de 21 à 69 ans, de tous milieux. Étudiante, mère au foyer, informaticienne, commerciale… elles forment une communauté de destins, réunie là par la maladie.
«Quand on n’a plus ni cheveux, ni sourcils, ni cils, on se ressemble toutes.» Julie
Au début de l’atelier, toutes abandonnent perruque, bonnet et foulard, laissant leur crâne à l’air libre. Agnès a ôté son sobre petit foulard marron. Elle soupire: «On a beau m’avoir prévenue, me voir avec une tête vierge, ça a été très dur. Ce moment où tu croises ton visage dans le miroir quand tu sors du bain… J’ai pleuré longtemps. »
Julie virevolte de l’une à l’autre, raconte son histoire. « Je suis comme vous. Je suis traitée et j’ai perdu mes cheveux. Ils repoussent tout juste », dit-elle en dénouant le tissu qui jusqu’alors couvrait l’hésitant duvet.
Au printemps 2015, Julie a commencé son traitement et vu ses premiers cheveux tomber. Elle a alors contacté l’enseigne American Vintage et exposé son projet d’ateliers. «J’aimais leurs longs foulards en coton crêpé. Parce que sur un cuir chevelu à vif il ne faut pas mettre n’importe quoi…»
Emballée, la marque marseillaise lui fait don de 250 chèches. « Participer à un atelier, c’est bien, sourit Julie. Mais repartir avec son foulard, c’est mieux. »
Nœuds savants
Cet après-midi de janvier, un petit air doux souffle sur Nice. Ambiance chaleureuse dans l’atelier aussi, où chacune pioche dans le stock de chèches et choisit sa couleur: violet, gris, camel ou vert anis. Selon sa carnation, la teinte de ses yeux, son look… « Quand on n’a plus ni cheveux, ni sourcils, ni cils, on se ressemble toutes », s’émeut Julie. Dans cette salle de réunion, tout converge d’abord vers un même but: rester soi malgré les dommages collatéraux de la chimio.
Quand Julie accueille les visiteuses, la tête ceinte d’une écharpe prune d’où s’échappent des mèches fauves, impossible de voir en elle une cancéreuse. « En un an, jamais personne ne m’a dit: “Qu’est-ce que tu as, Julie, tu es malade?” Au contraire, j’entends: “J’adore ton look!” »À coups de nœuds savants et d’astuces toutes simples, la jeune femme s’emploie à casser les marqueurs de la maladie: le crâne « moulé » sous un foulard trop plaqué en est un. « Il faut donner du volume », explique-t-elle en torsadant son chèche sur le côté de sa tête.
Ces précieux conseils, Julie les distille aussi sur Internet. En bonne blogueuse, elle poste tutos et photos des nouages qu’elle a inventés. Six, un pour chaque jour de la semaine. « Et le dimanche, à chacune d’entre vous de tenter ses propres expériences ! » complète-t-elle.Face aux miroirs ronds disposés devant les participantes, Julie insiste: « N’ayez pas peur! C’est le moment ou jamais d’oser des choses! Vous pouvez changer de tête tous les jours. »
Sur son blog très girly, la jeune femme fait la promo des fausses franges qui se glissent, ni vu ni connu, sous un beau nouage. Pourtant, rares sont les perruquiers à les mettre en avant. « Certains ne sont pas mes copains. Ils oublient volontairement de les mentionner et vous orientent vers des perruques qui coûtent un bras, un œil, un sein… » s’agace Julie, qui envisage de lancer sa propre ligne de franges.
Autour de la table, peu de femmes ont déjà testé ces petits postiches. « Mais comment tu l’installes ? J’ai peur que ça glisse sous mon foulard », s’inquiète Joséphine. Pas de souci. À chaque obstacle, l’experte dégaine une parade. Comme découdre les clips des fausses franges – qui d’ordinaire s’agrippent aux cheveux – et les remplacer par un fin serre-tête métallique cousu main.
« Osez des choses ! Vous pouvez changer de tête tous les jours ! » Julie
Julie est bienveillante et drôle. À son contact, le petit groupe se détend. La pesanteur de départ cède la place à des échanges joyeux. « Oh, un œuf de Pâques ! » s’esclaffe Corinne, devant le nœud volumineux dont sa voisine s’est coiffée. « J’ai l’impression de ressembler à un des Teletubbies, non? » rétorque l’intéressée, hilare. Au bout de la table, la maîtresse de cérémonie enchaîne les démonstrations. Ici, un turban qui donne un air de pin-up fifties; là, un foulard noué façon hippie, dont les pans cachent le boîtier du cathéter; ou encore un Borsalino sous lequel on glisse une couronne de cheveux synthétiques, opportunément baptisée par Julie la « Chaussée aux moines » !
Agnès s’applique à reproduire un nouage inspiré des coiffes martiniquaises. Pas facile. C’est son troisième atelier: « Avant de rencontrer Julie, j’étais allée chez un marchand de tissus. J’avais pris des morceaux qui me plaisaient. Mais il n’y avait rien à faire… Une fois sur ma tête, ça faisait malade. » Comme les autres, Agnès se sent tiraillée entre l’envie que la coiffure se voie le moins possible et celle de l’assumer totalement. Sur la table, elle a répandu le contenu d’un sachet en plastique: head bands, couronnes de fleurs, barrettes colorées, élastiques froufrouteux. Sous le trait de crayon qui lui dessine de fins sourcils arqués, elle sourit : « Ici, on se pomponne. Ces ateliers m’ont redonné du plaisir à me regarder. » Le chemin est ardu. Quand l’une craque, lâche « je déteste mon visage » devant ce miroir qui lui renvoie son épuisement, sa douleur et sa peur, Julie sait trouver les mots.
« Ici, on se pomponne. Ces ateliers m’ont redonné du plaisir à me regarder. » Agnès
Au passage, elle masse les épaules engourdies et les bras crispés, vite fatigués à vouloir reproduire les coiffures.
Une autre Julie participe ce jour-là à l’atelier. À 21 ans, elle vient d’apprendre qu’elle est atteinte d’un lymphome hodgkinien. Elle n’a d’yeux que pour l’animatrice et boit son énergie gourmande. « Merci pour tout… Je veux être comme toi ! » lui glisse-t-elle avant de repartir sous son bonnet mauve pailleté. Denise, la petite soixantaine, n’a pas perdu ses cheveux, encore: « Mais d’ici trois semaines, je n’en aurai plus. » Elle sait ce qui l’attend. Déjà atteinte d’un cancer il y a six ans, elle est en rechute. Et son visage, fermé au début de la réunion, s’ouvre peu à peu. « Les ateliers sont toujours bénéfiques. On se rend compte qu’on n’est pas toute seule et ça donne la pêche, autant par l’aspect pratique que par l’ambiance conviviale… »
Julie regarde ses élèves d’un jour partir une à une. Elle embrasse Agnès qui file à un vernissage. Avant de s’en aller, cette dernière hésite devant le miroir. Puis remise son petit foulard marron dans son sac à main et part tout sourire. Coiffée d’un chèche gris perle, relevé en un gros nœud bouffant dans lequel elle a piqué deux fausses fleurs bleu électrique.
Coralie Bonnefoy
Pratique Infos, tutos, vidéos…
Les ateliers de Julie ont lieu une fois par mois dans les locaux de la Ligue contre le cancer, à Nice. Infos au 04 93 62 13 02 ou auprès de Julie, par mail : laptitsjulie@gmail.com
Les nœuds de foulard imaginés par Julie sont également détaillés, en photos
Enfin, un tuto vidéo sur son blog.