En février 2022, j’ai appris l’excellente nouvelle pour tous les malades de cancer : le droit à l’oubli passait de 10 à 5 ans. Et, désormais, plus de questionnaire médical à remplir ! Quelle chance ! Que je n’ai pas eue. Moi, ma maison, je l’ai acquise de haute lutte, au bout d’un long parcours. Flash-back, retour à la case cancer… Septembre 2010, j’ai 28 ans, un job, un mari, une petite fille de 2 ans. Je suis en bonne santé, mais je ressens des douleurs diffuses à la poitrine. Je consulte, et on me prescrit une échographie mammaire. À l’issue de l’examen, le radiologue, m’annonce : « Vous avez un cancer, et un beau ! »
Certains médecins ont un pathétique sens de la formule… On est en octobre, et à partir de là tout s’enchaîne ; d’abord des examens complémentaires, puis les traitements : chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie. Un temps de souffrance au sens propre comme au figuré, avec un mari qui n’accepte pas que je sois malade. Je ne lâche rien, je continue de travailler, je me bats. L’essentiel est de vaincre. L’ombre du cancer s’éloigne peu à peu, et je reprends le cours de ma vie ; mais je me sens différente, à la fois vulnérable et riche de nouvelles ressources.
Octobre 2013, j’ose divorcer. Impossible de continuer de vivre avec un homme qui ne voit en moi qu’un être marqué par la maladie. « Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une ! » J’aime cette formule. Alors j’avance, libre et sans entraves. Les années passent. Mon suivi médical m’indique que tout va bien. Je croise à nouveau l’amour, mais trop de compromis à la clé, autant vivre seule, avec ma fille, dans un endroit qui me ressemble.
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Le questionnaire de santé… l’épreuve décisive
Mars 2021. Plus de 10 années ont passé depuis mon cancer. Cet épisode est derrière moi. C’est le moment de « m’établir », d’assurer mon avenir. Oui, mais… vais-je pouvoir bénéficier de ce droit à l’oubli, inscrit dans la loi en 2016 et qui me permettrait d’accéder à la propriété ? Rien n’est moins sûr. Le questionnaire de santé lié à la demande d’un crédit peut anéantir mon rêve. Encouragée par mes proches, je me renseigne – merci RoseUp pour la clarté de vos informations à ce sujet ! – et je prends rendez-vous avec une courtière en immobilier. Je m’y rends en espérant qu’elle me confirme que je suis dans les clous pour devenir propriétaire. Il semblerait que oui.
« Je m’étais mis en tête que jamais je ne pourrais avoir quelque chose à moi »
L’horizon s’ouvre ! Ma fille et moi visitons des maisons. Le 29 juin, c’est le coup de foudre pour le bien parfait, avec jardin. Je veux y croire. J’appelle ma courtière, qui me conseille de faire une offre. « On y va, ça va passer ! » Le lendemain, la réponse du propriétaire tombe : il est d’accord ! C’est la première étape, reste maintenant à obtenir le crédit. À la banque, lors de mon premier rendez-vous, je parle de mon passé médical en toute transparence. Je récolte un « Ah ! » qui me glace. Je ne me décourage pas et je passe à l’étape décisive : remplir ma demande de crédit. Pas question de mentir, je renseigne toutes les cases du questionnaire de santé. J’imagine déjà un refus, voire une surprime.
En apnée, une semaine durant, j’attends la réponse de la banque. Elle arrive : une « étude de dossier complémentaire » a été demandée. Cet ascenseur émotionnel m’épuise. Et, enfin, la libération : c’est gagné, j’ai mon crédit, et sans surprime ! Je m’étais mis en tête que jamais je ne pourrais avoir quelque chose à moi, que la trace de la maladie, indélébile, me l’interdirait toujours. Et voilà que j’appose mon nom sur un acte notarié ! Quelle victoire !
Novembre 2021, quelque part près de Castres (Tarn). À l’extérieur, c’est la grisaille, mais mon cœur est en joie ! J’emménage enfin dans ma maison, en mère solo, avec ma fille, Emma, qui a 13 ans. Depuis, je cultive chaque jour mon jardin et mon bonheur tout neuf. Entourée d’un chat, de poules et de poissons rouges, je me dis que la vie est belle ; et l’avenir, plein de promesses.
À VOIR
Notre webinaire Emprunt bancaire – Le droit à l’oubli réduit à 5 ans, ça veut dire quoi pour moi ?
Illustration de Bénédicte Muller
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 22, p. 128)