8 heures : l’arrivée
L’air est encore vif lorsque Noëlle, 59 ans, franchit le seuil du centre Paul-Papin avec son mari, Jacki. Inséparables depuis quarante et un ans, ils viennent de Chalonnes, un petit village situé à une trentaine de kilomètres. Ce matin, elle vient se faire opérer d’une tumeur au sein de 10 mm, découverte il y a quinze jours. Tandis qu’elle se dirige vers l’accueil, Sophie, l’infirmière du service de chirurgie ambulatoire, l’intercepte : « Je vous accompagne à votre chambre », glisse-t-elle, dynamique.
Derrière les petites lunettes rouges, le regard se veut rassurant. Pas suffisamment néanmoins pour tranquilliser Jacki, visiblement très angoissé. Noëlle, elle, se laisse porter. « Quand le Dr Raro, mon chirurgien, m’a proposé d’être opérée le matin et de sortir le soir, je n’ai pas hésité une seconde. J’ai tellement hâte que ce soit terminé! »
Le trio s’engouffre dans le couloir pour emprunter l’escalier. « Voilà, vous avez la chambre 245. Je vous laisse enfiler cette jolie tunique pour le bloc, avec la charlotte. Préparez-vous, je reviens dans quelques minutes pour faire le point. »
La porte se referme. Noëlle, venue la veille pour une mammo et un repérage, a respecté toutes les consignes. Douchée à la Bétadine, à jeun, elle est prête!
10 heures : en route pour le bloc
On frappe à la porte. « Bonjour, je suis votre chauffeur! » Alexia, la jolie brancardière, enveloppe Noëlle dans un drap jaune avant de pousser le fauteuil roulant. D’ici quelques jours, c’est à pied que les patients se rendront au bloc. La démarche, engagée depuis 2010 au centre Léon-Bérard, à Lyon, renforce l’autonomie, la dignité et la participation de la personne malade. À Angers manquent juste les chemises de nuit non fendues dans le dos pour que les malades puissent déambuler sans gêne dans l’hôpital… Les couloirs défilent.
Dans moins de deux heures, Noëlle fera le chemin inverse, soulagée d’un poids. Ce soir, elle retrouvera son mari. Dans ce centre, l’ambulatoire, c’est un peu « la routine »: « 52 % de nos interventions sont pratiquées ainsi, précise le Dr Pedro Raro, chef du département d’oncologie chirurgicale. Avec le diagnostic rapide, « l’ambu » constitue une véritable culture de la prise en charge chez nous, depuis de nombreuses années. Nous proposons cette technique dès que c’est possible, en faisant en sorte que le délai entre le diagnostic et l’intervention ne dépasse pas dix à quinze jours. Outre les économies que cela entraîne pour la Sécurité sociale, cela permet de dédramatiser l’acte chirurgical, et par extension la maladie, tout en préservant la vie de famille. Le tout avec une qualité comparable des soins, moins d’infections nosocomiales et de complications. »
Dans ce service, tout est minuté. C’est le job de Linda, cadre infirmière, dans la maison depuis quinze ans. Véritable tour de contrôle, les yeux rivés sur son planning informatisé, elle organise les entrées et les sorties et la gestion du planning des lits, le tout en temps réel. Sa botte secrète? De la réactivité et beaucoup de rigueur… liées à une grande souplesse.
10 h 10 : arrivée dans la salle de réveil
Un poste de radio diffuse de la musique pop. « Bonjour, vous allez bien ? » Stéphane, l’infirmier, prend le relais avec le sourire. Ses gestes sont aussi doux que sa voix enjouée. L’équipe du bloc surgit dans la pièce. « Maïté, on fait suivre la perf ? » Ni une ni deux, voilà Noëlle installée comme une princesse sur son chariot.
Elle essuie discrètement une larme. « J’ai été forte jusqu’à présent. J’ai tenu depuis que le Dr Raro m’a annoncé mon cancer. Mais depuis hier, avec tous ces examens, la mammo, le repérage et l’installation du harpon, je craque un peu », avoue-t-elle. « C’est normal, lui répond l’infirmière anesthésiste, en lui caressant la joue. C’est le stress qui s’évacue. Vous avez vu La Famille Bélier ? Moi, j’ai adoré! » Et d’entonner Je vole, de Sardou, en se dirigeant vers le bloc.
10 h 20 : au bloc
Les clichés de Noëlle sont affichés au mur. Le Dr Raro les examine un par un. Il connaît chaque recoin, chaque ombre, chaque relief. Silencieux, il semble répéter les gestes qu’il s’apprête à faire. L’anesthésie commence : « Inspirez et soufflez. Continuez… » Noëlle sourit, malgré le masque à gaz sur le visage. Avec un peu d’hypnose conversationnelle, Maïté réussit à l’entraîner sur une plage de la Réunion. Dernière image avant que Noëlle ne sombre.
Check list. Décompte des instruments, de la moindre compresse. « Bistouri ! » Le Dr Raro incise la poitrine de Joëlle. Il règne un grand calme. Le produit bleu, qui doit révéler si les ganglions situés à proximité du sein sont touchés, fait son chemin. Tout en surveillant l’écran, le chirurgien prélève le ganglion sentinelle, coloré par le marqueur bleu. Une infirmière le place dans un tube pour l’apporter rapidement à l’équipe d’anapath. Le Dr Raro poursuit l’intervention. « Ah, la voilà! » dit-il en retirant la tumeur, qui suivra le même chemin que le ganglion.
11 h 15 : le ganglion est positif
Un quart d’heure plus tard, le téléphone sonne : « Docteur, c’est positif. » « J’avais un mauvais pressentiment, reconnaît le chirurgien, il y a un envahissement ganglionnaire. Malgré tout, Noëlle n’aura pas de curage axillaire. Inscrite dans l’essai Serc, elle fait partie du groupe de patientes tirées au sort qui conserveront leurs ganglions, « ce qui évite le risque de gros bras« », précise le Dr Raro.
Il est encore trop tôt pour savoir si Noëlle recevra une chimiothérapie. Il faudra attendre le reste des résultats et la réunion de concertation pluridisciplinaire. Pour préparer au mieux le réveil de Noëlle, Olivier Rivault, l’anesthésiste, introduit des médicaments contre la douleur et les nausées dans la perfusion.
11 h 45 : fin de l’intervention
Le chirurgien referme. Pendant que l’infirmière panseuse recompte les compresses, Noëlle est ramenée en salle de réveil, où l’attend Stéphane.
Si tout va bien, elle sera de retour dans sa chambre à 14heures. En attendant, pause déjeuner pour l’équipe. Les rires fusent dans la cafèt ensoleillée. C’est le moment de recharger ses batteries. Linda se pose enfin.
14 h 30 : retour au premier étage
Noëlle aurait dû remonter de la salle de réveil. Jacki est inquiet. Songe-t-il à ses belles-sœurs, elles aussi touchées par un cancer du sein et aujourd’hui disparues $? Ou à sa belle-mère, décédée elle aussi? Il refuse que le cancer du sein devienne une histoire de famille. De celle dont on hérite bien malgré soi. Le test génétique n’a pas encore été fait… Plongé dans ses pensées, il n’a pas vu Hélène, l’infirmière, arriver. « Ne vous inquiétez pas, lui murmure-t-elle. Votre femme n’est pas encore tout à fait réveillée, mais elle ne devrait pas tarder. »
Toujours en salle de réveil, Noëlle a eu une petite complication. Il a fallu lui poser un drain de Redon et lui donner un sédatif léger. Elle remontera une heure plus tard, un peu dans les vapes. Une fois la brancardière et l’infirmière sorties de la chambre, Jacki referme la porte. Il a besoin de se retrouver avec sa femme. La vie bruisse dans le service. Pendant que les aides-soignantes distribuent les collations, le Dr Raro et le Dr Rivault se concertent. « Difficile d’envisager une sortie ce soir. La patiente est encore trop fatiguée », expose le chirurgien.
Le Dr Rivault approuve. Linda pianote sur son clavier. Il faut vite trouver une chambre pour Noëlle. Ce sera la 110. Maud et Hélène vont s’occuper du transfert. C’est aussi cela, la chirurgie ambulatoire, le « prendre soin ». Rien à voir, ni de près ni de loin, avec de la chirurgie au rabais. « Ambulatoire ne veut pas dire faire vite, moins bien, moins cher, insiste le Dr Raro, en se dirigeant vers la chambre de sa patiente. Le confort du malade et sa sécurité sont notre priorité. »
17 heures : s’adapter, le mot clef
Donc, contrairement à ce qui était initialement prévu, Noëlle ne sortira pas à 18 heures avec une ordonnance d’antalgiques, le compte-rendu opératoire destiné à son médecin traitant, un numéro de téléphone pour pouvoir joindre l’hôpital en cas de problème (douleur, saignement, hématome…). Elle ne recevra pas non plus l’appel du lendemain de l’infirmière, conformément au protocole de suivi postopératoire, extrêmement rigoureux.
« Nous préférons vous garder avec nous cette nuit, lui explique gentiment le Dr Raro. Comme nous avons dû vous poser un drain, il faut attendre que le niveau de liquide soit revenu à zéro. Ce devrait être le cas demain matin, après une bonne nuit. »
Contre toute attente, Noëlle est soulagée. « Je suis contente que ce soit fini, mais j’aurais été incapable de me retrouver à la maison ce soir », avoue-t-elle au médecin. Après un dernier baiser, Jacki, lui aussi rassuré de voir sa femme si bien entourée, s’apprête à retrouver leur maison. « N’oublie pas d’appeler les enfants pour leur donner des nouvelles », lui glisse Noëlle.
18 heures : collation
Toc toc ! « Auriez-vous une petite faim ? » demande Arnaud, l’aide-soignant, un plateau à la main. « Pas trop, murmure Joëlle, mais je boirais bien un peu d’eau. » Avec beaucoup de délicatesse, le jeune homme l’aide à se redresser. Pendant ce temps, dans le bureau des soins, Gigi, l’aide-soignante, et Ghislaine, la brancardière, papotent autour d’un café. L’activité se relâche. La tension aussi. Bientôt le moment des transmissions. L’heure où l’hôpital bascule dans une autre dimension. Celle de la nuit.
Quand le silence et la solitude pèsent parfois plus lourd. Dans sa chambre, Noëlle sent le sommeil la gagner peu à peu. Demain, elle sortira avec la date de son prochain rendez-vous avec le Dr Raro. Avant de fermer les yeux, elle ne peut s’empêcher de penser à sa fille, Prisca, 38 ans, et à ses deux petites-filles, de 8 et 10 ans. « J’aimerais qu’elles soient suivies de près. C’est tellement important! Aujourd’hui, on prend les choses à temps. Tout va très vite, et c’est tant mieux! »