Je m’appelle Fanette.
J’ai 43 ans. Le cancer est entré dans ma vie quand j’avais 37 ans. Mais sans surprise. Je m’y attendais.
Ma sœur avait déclaré un cancer du sein triple négatif à l’âge de 32 ans. C’est comme cela que j’ai appris que, moi aussi, j’étais porteuse du gêne BRCA 1. J’étais donc suivi au plus près, ce qui permettrait de dégommer l’éventuel envahisseur dès son apparition. Pour moi, la question n’était pas le « si » mais le « quand ».
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Le « quand », ce fut en 2014. Six mois après des contrôles pourtant tip top, je l’ai senti. Il faisait déjà près de 3 cm. Grade 3, triple négatif. Artillerie lourde, direct : chimio, radiothérapie et opérations. J’ai attaqué très rapidement la chimio Fec 100. Dans un premier temps, je ne l’ai pas trop mal supportée – à part quelques nausées. C’est avec taxotère que tout s’est gâté. J’ai eu un peu tous les effets secondaires possibles et je me suis retrouvée dans un brouillard permanent. Et durable.
La découverte de cet ennemi que personne ne savait nommer: le chemofog
Avant le taxotère, j’étais cadre dans la communication. Après le taxotère, je ne savais plus écrire sans faire de fautes. Compter me demandait beaucoup d’efforts tout comme tenir une conversation. En parcourant quelques forums, j’ai constaté que je n’étais pas seule dans ce cas (j’ai découvert le terme chemofog sur le site de RoseUp) – mais personne ne signalait des effets secondaires sur le long terme. J’étais confiante, il semblait donc que ce ne serait que passager – c’est d’ailleurs ce que m’avait annoncé mon oncologue lorsque je l’ai interrogé sur le sujet.
« Avant la chimio j’étais cadre dans la comm’. Après la chimio, je ne savais plus écrire sans fautes »
J’ai enchainé avec la tumorectomie puis la radiothérapie, et parallèlement j’ai renoué les liens avec la nature. Plus que jamais, je me sentais en accord avec elle. Je finissais mes traitements alors que le printemps s’éveillait ; je passais beaucoup de temps au jardin, j’avais l’impression que nous étions sur un même rythme. Très souvent, après une séance de radiothérapie, j’allais visiter un jardin, me ressourcer dans un parc ou faire une balade en forêt. Tout ce que je ne voyais plus ces dernières années m’émerveillait à nouveau !
Parfois, épuisée, je me faisais violence pour sortir et faire quelques pas dans la nature ; finalement comme portée par celle-ci que je me retrouvais à marcher pendant une heure et je me sentais revivre.
Les traitements finis, je ne me sentais pas du tout capable de reprendre le travail. Mon entourage et mes médecins s’inquiétaient de mon état physique : j’étais très maigre et mes analyses de sang encore faiblardes. Pourtant, le vrai souci pour moi restait cognitif.
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Lorsqu’on me parlait, j’avais des « blancs » dus à mon temps de compréhension et de recherche de réponses. Je ne trouvais plus mes mots, ni les dates de naissances de mes enfants ou encore mon code carte, moi qui avais toujours eu des facilités à mémoriser les chiffres !
J’oubliais les cadeaux de Noël de mon neveu, je passais pour une tête en l’air alors que ça n’avait jamais été mon cas. L’oncologue m’a alors préconisé de reprendre le travail au plus vite afin d’avoir une activité cérébrale susceptible d’améliorer les choses. Désormais, il me parlait d’effets secondaires possibles, susceptibles de durer jusqu’à un an en s’estompant progressivement. Sacré changement de discours !
La solitude et la souffrance du retour au travail
J’ai repris à mi-temps et là, ça a été la douche froide : je ne parvenais plus à nommer les gens de mon équipe. Lorsque je traversais un bureau, je ne savais plus qui j’avais salué précédemment et surtout j’avais un mal fou à me concentrer sur mon travail : j’étais devenue lente, je faisais beaucoup d’erreurs et bien souvent, en fin de journée, je retrouvais à l’écran des mails commencés et non terminés que j’avais complètement zappés. Le plus dur, ce furent les réunions dans lesquelles je commençais parfois avec entrain mais très rapidement, je décrochais ; je ne parvenais pas à prendre des notes, tout s’embrouillait je n’avais plus la moindre spontanéité. Je ne savais plus répondre aux questions non préparées.
J’ai tenté de contrecarrer ces difficultés en m’organisant au mieux et en développant des stratégies : je ne me suis plus déplacée d’un bureau à un autre qu’avec mon cahier / stylo. J’ai arrêté d’appeler mes collègues par leurs prénoms. J’ai fait des listes et des listes…
Pertes cognitives et culpabilité
Je suis restée longtemps à mi-temps, mais je repartais toujours avec mon PC et je traitais les sujets demandant le plus de concentration lorsque j’étais à la maison. Pour tenir le coup, je ne prenais plus mon déjeuner devant l’ordinateur comme avant, mais je sortais systématiquement me vider la tête dans les bois. C’est devenu un véritable besoin, un incomparable « désembrouilleur » de cerveau.
Il me semblait que mes difficultés n’étaient pas trop visibles mais parfois j’ai été « démasquée » – et ça fait mal. Ainsi, le Président de ma boîte m’a contacté à la sortie d’une réunion en me demandant si je comprenais ce qui se disait. Ou encore le pédiatre de mon fils qui s’est inquiété de ma santé le jour où je n’ai pas su répondre aux nombreuses questions qu’il me posait concernant le développement de mon fils depuis sa naissance.
A force de me plaindre de ces différents problèmes au centre de cancérologie, j’ai fini par obtenir rendez-vous en centre de réadaptation. Autant dire que j’ai dû insister et que le centre n’avait pas l’habitude de ce type de pathologie. Le bilan a mis en évidence – entre autres – des difficultés d’attention en particulier en attention partagée (c’est certain, je n’ai plus la fonction « multi-tâches ») et une fatigabilité cognitive. Cette reconnaissance m’a fait du bien, peut-être plus même que la prise en charge.
Ce bilan m’a surtout permis de faire un point, et de me tourner vers un nouvel avenir. J’ai « tenu » quelques années très difficiles au travail, mais savoir que mes capacités cognitives ne seraient plus jamais les mêmes qu’ « avant » m’a permis de franchir une étape.
Retour à la nature
J’ai décidé de me réorienter et de « changer de branche » : naturellement, je me suis tournée vers Dame Nature qui m’avait tant apporté durant les périodes les plus difficiles.
Aujourd’hui, je commence la création d’un jardin d’ornement qui sera ouvert au public : j’ai appris à connaître de nombreuses plantes ces dernières années. C’est grâce au métier d’horticultrice et la création d’une pépinière que j’envisage mon avenir.
J’ai quitté récemment mon poste dans la comm’ en me disant que je n’avais pas vraiment le choix, que l’on m’aurait forcément poussée dehors à plus ou moins long terme. De mon côté, je ne trouvais plus de légitimité à occuper ce poste. Aujourd’hui, je démarre un diplôme en horticulture. C’est un vrai changement de vie. Je suis très confiante car je vais pourvoir suivre la formation à mon rythme, dont une partie à distance.
Je sais que je suis encore capable de beaucoup, il faut juste que tienne compte de mes nouvelles difficultés et sans doute serai-je encore plus heureuse en vivant de cette passion. En quittant mon emploi, j’ai aussi laissé derrière moi les fréquentes migraines qui me gâchaient les journées, sans doute occasionnées par la fatigue liée aux efforts cognitifs. Quel soulagement !
La vie est pleine de rebondissements, le cancer peut en être un tremplin.
Fanette