« Je me suis inscrite dans un groupe de gospel quand j’ai appris, à 29 ans, que j’avais un cancer du sein, raconte Elvire More. La maladie isole, désocialise. Nos nouvelles rencontres se font souvent à l’hôpital, “entre cancéreux”. Je n’avais pas envie de réduire ma vie à mon cancer, de ne parler que de lui, de ne voir que des malades. J’avais besoin d’être portée par des projets positifs pour mieux sentir la vie en moi. Le chant m’a donné cette possibilité. Grâce à lui, j’ai rencontré des personnes formidables. Aujourd’hui, mon corps vibre à nouveau, il n’est plus un ennemi qui m’a trahie, mais une source de joie. Entre le gospel et le psy, je choisis le premier sans hésiter ! Même fatiguée, je ne rate aucune séance. Le chant est devenu mon exutoire. » D’ailleurs, pas un jour ne passe sans qu’Elvire pousse la chansonnette. Et, une fois par mois, elle réunit ses amis autour d’un karaoké.
Les bénéfices du chant pour le corps et l’esprit sont aujourd’hui avérés (cf. « Le saviez-vous »). Professeur de chant au Centre Ressource, un lieu d’accueil et de suivi thérapeutique contre le cancer, à Aix-en-Provence, Anne-Marie Castanet a d’abord expérimenté sur elle-même la dimension libératrice de cette activité. S’y étant mise tardivement, elle a longtemps été complexée par son manque d’expérience, avant de tomber sur un maître qui lui a donné confiance et envie de transmettre sa passion. Pour adapter ses cours hebdomadaires aux patientes souffrant d’un cancer, elle invite ses élèves à improviser des chants, à exprimer leur bonheur et leurs peines, à se concentrer sur leur souffle, source de vie. Elle les aide à retrouver de l’énergie au son de la voyelle « I », à s’apaiser grâce à des « O »… Leur estime de soi se renforce, leur corps se détend, leur respiration s’améliore. Une grande joie en ressort.
Le chant est thérapeutique, il permet de s’ouvrir à l’autre
« Quand la voix prend toute son ampleur, on respire avec la totalité de ses cellules, assure Anne-Marie Castanet. On s’ouvre à soi, on gagne en liberté… Tout devient harmonieux, avec soi-même et avec les autres. » Les élèves insistent toutes sur l’importance du groupe comme vecteur d’enthousiasme et d’énergie, sur la force des liens qui se tissent dans cette bulle de sons. D’autant qu’avec la résonance les voix s’harmonisent naturellement, les cœurs vibrent à la même fréquence. « Dans cette communion, les barrières tombent. On s’ouvre totalement à l’autre, ce qui est incroyablement thérapeutique », ajoute Anne-Marie Castanet. C’est spécialement vrai des patientes pour lesquelles le chant constitue la seule activité physique possible.
Bien souvent, ces malades vivent là leur unique occasion de retrouver des sensations positives des pieds à la tête. Sabine convoque son désir de vie en hurlant Résiste de France Gall. Simone ose enfin dire sa vérité depuis qu’elle laisse sa voix s’exprimer pleinement. Carine se réconcilie avec elle-même et renoue avec sa créativité au fil de ses improvisations. Ursula, elle, chantait comme elle était. « Elle a failli tout arrêter le jour où elle a appris qu’il lui restait trois mois à vivre, raconte son professeur, Jean-Louis Serre. Je lui ai dit que quoi qu’il arrive elle participerait à la fête de fin d’année. Sauf en cas de fortes fièvres, elle n’a jamais manqué un cours. Elle anticipait en préparant une chanson d’une semaine sur l’autre et on s’adaptait à son état du moment. Ursula a été une merveilleuse leçon de vie1. Parfois, elle craquait, mais le chant l’aidait toujours à se détendre et à évacuer son trop-plein d’émotions. »
« C’est un ancrage émotionnel très puissant qui fait oublier la maladie »
La voix – surtout la voix chantée – ne ment jamais. « Elle nous met à nu, révèle le plus profond de notre être : nos fragilités et nos peurs, nos angoisses et nos empêchements, résume Jacques Bonhomme, formateur en expression vocale et musicothérapeute certifié. Grâce à la respiration, elle se régule, s’ajuste et se pose. Les blocages se libèrent en douceur. La voix draine la matière émotionnelle et va chercher de vieilles mémoires cellulaires et corporelles. Comme le corps est relâché et oxygéné, les vieilles mémoires sont délogées. » Si bien que des crises de larmes libératrices surviennent souvent pendant les cours. Jérôme Madesclaire en sait quelque chose. Musicien et chanteur, il a décidé d’aider les gens à découvrir leur voix quand lui-même a perdu la sienne à la suite d’une grave maladie. « Comme je ne pouvais plus chanter, j’ai voulu aider les gens à se révéler grâce à leur voix. En permettant un accès direct à l’émotionnel, la voix offre un réel potentiel thérapeutique. Et comme elle se nourrit du souffle, elle oblige à travailler sa respiration et ainsi à changer son état émotionnel : on ne respire pas de la même manière si on est stressé, heureux ou fatigué. C’est un ancrage émotionnel très puissant qui fait oublier la maladie, modifie l’humeur, procure de l’allégresse et de la jubilation, diminue la peur et l’anxiété si présentes quand on affronte un cancer. »
Vibration salvatrice
Jérôme Madesclaire a beaucoup exploré les pouvoirs apaisants du chant chez les patients en fin de vie à la Maison médicale Jeanne-Garnier, un établissement de soins palliatifs, à Paris. Il a également créé les stages « Explorer l’Enchanté » avec Catherine Gaytte, qui a raconté dans son livre Renaître par la voix2, comment le chant lui a permis d’affronter son cancer : « J’ai eu peur, j’ai eu mal, je me suis sentie seule et abandonnée. Le désespoir m’attendait sournoisement (…) J’ai regardé “mon cancer” droit dans les yeux et j’ai choisi de le “combattre”… avec amour (…) La vibration salvatrice du chant est devenue ma seule certitude. Puis, avec sagesse, j’ai mis des notes à mes tourments, j’ai réveillé mes cellules endormies, purifié mon corps et libéré ma vie en chantant. »Professeurs et chanteurs amateurs évoquent tous la joie que procure cette expérience sensorielle qui sollicite les cinq sens, oblige à être à l’écoute de soi tout en étant relié aux autres, à profiter pleinement de l’instant présent. Ici et maintenant.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Selon des scientifiques suédois de l’université de Göteborg, comme le Dr Björn Vickhoff, les battements de cœur de personnes chantant à l’unisson se synchronisent, grâce à la respiration.
Une équipe de scientifiques de l’Institut d’éducation en musique de l’université de Francfort, en Allemagne, a montré que le taux d’immunoglobuline (une protéine fonctionnant comme un anticorps) était beaucoup plus élevé chez les individus à la sortie d’une répétition de chant.
Joke Bradt, du département des arts thérapies de l’université Drexel, à Philadelphie, a étudié 1 891 personnes atteintes de cancer. Ses conclusions : écouter ou faire de la musique réduirait l’anxiété et la douleur des patients, améliorerait leur humeur, leur respiration et leur qualité de vie.
Maya Lebas
(1) Le 30 janvier 2016, salle Gaveau, à Paris, le chœur OTrente organise un spectacle en hommage à Ursula, l’une de ses chanteuses, et au profit de l’institut Curie, qui la suivait. Infos sur otrente.org
(2) Éditions A.L.T.E.S.S., Paris.