Si les tumeurs prolifèrent dans notre corps, c’est parce que nos globules blancs ne parviennent pas à les identifier comme cible à détruire. Alors les chercheurs ont eu l’idée de leur donner un coup de pouce en leur fournissant un détecteur de cellules cancéreuses.
Les CAR-T cells et leur détecteur à cellules cancéreuses
Pour cela, ils isolent les globules blancs du patient, plus précisément ses lymphocytes T, des cellules immunitaires capables de tuer les cellules anormales. Ils manipulent ensuite leur ADN en laboratoire pour les doter de ce fameux détecteur. Les lymphocytes ainsi armés, les « CAR-T cells », sont enfin multipliés in vitro avant d’être réinjectés au patient. Une fois dans l’organisme, les CAR-T cells passeront au crible les cellules qu’ils croiseront sur leur chemin. Quand ils entreront en contact avec une cellule cancéreuse, leur détecteur s’activera et leur enverra le message qu’il faut la détruire.
Les CAR-T cells, efficaces dans les cancers hématologiques
Sur le papier, l’idée paraît simple. Mais en pratique, il faut relever plusieurs enjeux de taille.
Le premier est de trouver une cible qui soit exprimée uniquement (ou en plus grande quantité) à la surface des cellules cancéreuses pour éviter que les CAR-T cells s’en prennent à des cellules saines et provoquent des effets secondaires. Les 4 CAR-T cells autorisés en 2024 en France sont tous dirigés contre la même cible : le CD19, un récepteur exprimé à la surface de certains lymphomes et de certaines leucémie. Leurs petits noms : Yescarta© (axicabtagène ciloleucel), Kymriah© (tisagenlecleucel), Tecartus© (brexucabtagène) et Abecma© (idécabtagène vicleucel).
Le CD19 n’est pourtant pas exprimé exclusivement par ces cancers, il se trouve également à la surface des lymphocytes B, les cellules de notre système immunitaire capables de produire des anticorps. Les CAR-T cells anti-CD19 provoquent donc malheureusement un déficit immunitaire chez les patients traités. Pourquoi ces CAR-T cells ont tout de même été autorisés ? « Parce que ces « dommages collatéraux » – appelés effet off-target – sont acceptables au regard du cancer, explique le Pr Boissel, hématologue à l’hôpital Saint Louis (Paris). Il s’agit en effet d’un déficit que l’on sait gérer. Le plus souvent il est transitoire, car les CAR-T cells vont finir par disparaître et le patient va se remettre à produire des lymphocytes B. Et s’il persiste, on pourra apporter aux patients des anticorps. »
La difficulté liée aux cancers solides
La second obstacle à l’efficacité des CAR-T cells concerne surtout les cancers solides. Les tumeurs qui se développent dans des organes se trouvent en effet dans un environnement dit immunosuppresseur. En d’autres termes, les cellules cancéreuses parviennent à endormir notre système immunitaire. Donc, même si le CAR-T cells parvient à reconnaître la tumeur, il ne sera pas en mesure de la tuer. Certains essais cliniques cherchent donc à combiner les CAR-T cells avec d’autres immunothérapies de type « inhibiteur de checkpoint » – par exemple, les anti-PD1 et PDL1 – qui sont capables de lever ce frein exercé par la cellule tumorale sur nos défenses immunitaires.
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Une utilisation encadrée des CAR-T cells
Seuls une quarantaine d’établissements, répartis sur l’ensemble des régions de France, sont habilités à administrer ce traitement en 2024. On peut citer par exemple les Hospices civils de Lyon, l’hôpital Saint-Louis à Paris ou encore l’Institut Paoli-Calmettes à Marseille.
Ces centres répondent aux critères établis par le ministère des Solidarités et de la Santé qui assurent la sécurité des patients. Ils doivent notamment disposer d’une unité de soins intensifs d’hémato-oncologie, d’un service de neurologie et d’un service de réanimation médicale sur place et en permanence.
Les CAR-T cells peuvent en effet provoquer des effets indésirables peu communs. Les équipes soignantes doivent donc être en capacité d’en reconnaître les premiers signes pour réagir efficacement. C’est le cas notamment du « syndrome de libération des cytokines » aussi appelé orage cytokinique, dont les symptômes sont plus ou moins sévères : depuis une forte fièvre pour les cas bénins, jusqu’à une insuffisance respiratoire pour les plus graves. Heureusement, un traitement existe.
Des moyens importants doivent donc être mis en œuvre par les hôpitaux pour assurer le suivi et la surveillance des patients pendant les semaines qui suivent l’injection.
Les CAR-T cells en pratique
Et côté patient ? Dans un premier temps, son sang est prélevé par aphérèse pour en isoler les lymphocytes T. Ces derniers sont ensuite envoyés au laboratoire qui les transforme en CAR-T cells. Avant leur administration, le patient reçoit pendant quelques jours une chimiothérapie dite « lymphodéplétive ». Son but : éviter que son système immunitaire ne rejette les CAR-T cells.
Le traitement par CAR-T cells ne nécessite qu’une seule injection. Toutefois, le patient restera à l’hôpital pour vérifier qu’il ne développe pas d’effets secondaires. En 2022, la durée moyenne d’hospitalisation était de 23,5 jours.
Les CAR-T cells, une thérapie onéreuse
Enfin, reste la question cruciale du prix. Même si le traitement par CAR-T cells ne nécessite qu’une seule injection (a priori), son coût est extrêmement élevé : le prix du Yescarta a ainsi été fixé à 327 000 euros par le Comité économique des produits de santé. Un montant qui s’explique par la complexité de la production qui demande une expertise et des infrastructures spécifiques.
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Dans un communiqué datant de 2019, la Haute Autorité de Santé rappelle que « La Commission d’évaluation économique et de santé publique a, quant à elle, exprimé de nombreuses réserves concernant l’efficience de ces spécialités : le coût est très élevé, et les incertitudes sur le prix à payer pour obtenir un bénéfice clinique sont nombreuses. » Les études cliniques actuelles ont peu de recul sur l’efficacité et le maintien de la réponse à ces traitements à long terme. La HAS a annoncé par conséquent qu’elle réévaluerait les cellules CAR-T à partir de données en vie réelle : « Ces données en vie réelle issues d’un registre commun aux CAR-T cells permettront de vérifier l’efficacité, la tolérance et la qualité de vie à moyen puis à long terme de ces traitements. Ces données permettront également d’évaluer l’efficience et l’impact organisationnel dans les conditions réelles d’utilisation de ces deux traitements, enjeu majeur pour la fixation ou la réévaluation du prix. »
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 15, p. 32)