Le cannabis à usage thérapeutique pourrait-il être prochainement autorisé en France ? Rien de tel pour l’instant. Mais « j’ouvre le débat », a ajouté la ministre.
16 mars 2018, tribunal correctionnel de Moulins, dans l’Allier : « J’entends les justifications médicales données sur votre usage de cannabis à but thérapeutique. » Cette phrase étonnante a été prononcée par le procureur, lors d’un procès mettant en cause un homme de 40 ans, accusé d’avoir fait pousser six plants de cannabis – saisis par la gendarmerie – dans une petite serre bricolée de son jardin. Le prévenu ne s’en cachait pas. Pas même aux médecins qui le suivent à Villejuif. En invalidité depuis trois ans, il souffre d’un mélanome et de vives douleurs consécutives aux opérations et rayons, contre lesquelles la morphine « ne (lui) fait presque plus rien ».
Pour s’offrir les 1 à 5 joints quotidiens qui le soulagent plus efficacement, il a préféré cultiver ses propres plants plutôt qu’acheter à des trafiquants. Seulement voilà, le procureur compréhensif est aussi représentant de l’Etat dans un tribunal. Et comme il l’a fait observer, « en France, il n’est pas permis aux personnes atteintes de maladies graves de prendre du cannabis. » Le tribunal, magnanime, a dispensé le prévenu de peine. Mais le fait demeure. Dans la « start-up nation » française, l’usage médical, sous quelque forme que ce soit, reste soumis, comme la fumette récréative, au risque de poursuites pénales. Donc au trafic illicite de produits sans traçabilité, ni dosages contrôlés… La filière, elle, se porte comme un charme, faisant toujours plus de ravages chez les jeunes et alarmant les addictologues. La France a pourtant l’une des législations les plus répressives en la matière. Preuve, décidément, que la prohibition n’est pas le meilleur gage d’efficacité…
La France isolée
En matière d’usage thérapeutique, l’Hexagone est aussi de plus en plus isolé. Chaque mois, la liste des pays s’ouvrant au cannabis médical s’allonge. Israël, persuadée comme jamais qu’il s’agit d’un nouvel or vert, caracole en tête des pays producteurs et distributeurs. Dernier en date, la Grèce a rejoint le club le 1er mars, légalisant la fabrication de cannabis thérapeutique et de ses produits dérivés. Dans ces conditions, et sachant par ailleurs que les anti-douleurs à base d’opium, eux parfaitement légaux, peuvent avoir des effets secondaires ravageurs et même provoquer des overdoses, faut-il que nous continuions d’interdire le cannabis médical ? Le Comité éthique et cancer, présidé par Axel Kahn, a été officiellement saisi de cette question par une patiente en janvier. Il ne rendra son avis – strictement consultatif – qu’en octobre, et il a d’ores et déjà prévenu qu’il restreindrait son analyse au strict cadre médical : « intérêt de l’utilisation du cannabis pour soulager les douleurs et améliorer la qualité de vie et risques afférents à ce type de consommation dans le contexte actuel. »
Associations, patients et addictologues auditionnés
Le contexte justement, semble plus favorable qu’il ne la jamais été. Certes, en avril encore, le gouvernement a donné un signal plutôt conservateur en prévoyant une amende forfaitaire délictuelle de 300€ pour tout usage de cannabis par une personne majeure. Mais ce même mois d’avril, le médecin (neurologue du CHU de Grenoble) et député LREM Olivier Véran, rapporteur de la commission des Affaires sociales à l’Assemblée nationale, a passé toute une journée avec ses assistants à auditionner associations, patients, addictologues, juristes sur la question du cannabis thérapeutique. Le tout sans grand fracas médiatique, même s’il a prévu d’en faire un rapport. Son but : étudier la nécessité, ou non, de faire évoluer la loi. « Je voulais avoir une réponse que je me pose souvent en tant que médecin, a-t-il déclaré au journal La Croix. Régulièrement, je reçois des patients ayant de très fortes douleurs neuropathiques. Ils me disent qu’ils ont cessé de prendre de la morphine au profit du cannabis. Et ils posent la question: Docteur, comment continuer sans être dans l’illégalité ? »
« Une molécule qui peut être intéressante »…
Pour le Pr Nicolas Authier, psychiatre et addictologue au CHU de Clermont-Ferrand, la réponse est assez claire : en expérimentant le cannabis thérapeutique, de façon encadrée, comme le font d’autres pays. Une initiative qui « pourrait permettre de mieux accompagner des patients qui utilisent actuellement le cannabis sans contrôle médical, et d’évaluer les bénéfices et les risques de cet usage ». Signe particulier de ce médecin expert : Il préside la commission « stupéfiants et psychotropes » à l’agence du médicament ! C’est donc peu dire qu’il fait figure d’autorité ! Dernier signe encourageant ? Les déclarations de la ministre de la Santé, invitée de la matinale de France Inter le jeudi 24 mai, qui ont ensoleillé la journée de tous les militants du cannabis thérapeutique : « J’ai demandé aux différentes institutions qui évaluent les médicaments de me faire remonter l’état des connaissances sur le sujet, parce qu’il n’y a aucune raison d’exclure, sous prétexte que c’est du cannabis, une molécule qui peut être intéressante pour le traitement de certaines douleurs très invalidantes », a ainsi déclaré Agnès Buzyn.
Et oui, le cannabis médical « pourrait » donc arriver en France, sans « dire à quelle vitesse nous allons le développer ». Précision de l’entourage de la ministre, ce n’était pas une annonce. Juste une réponse à la question d’une auditrice, signifiant qu’elle ne fermait pas la porte au débat. Mais pour le voir inscrit en tête de l’agenda gouvernemental, il va encore falloir attendre un peu…