« Cannabis médical, ne vois-tu rien venir ? » C’est avec cette paraphrase de la pièce La Barbe bleue de Charles Perrault que 51 médecins et chercheurs titraient leur tribune publiée dans Le Parisien en septembre. Un texte court et incisif rappelant au gouvernement son engagement pris il y a 2 ans maintenant : celui d’autoriser l’expérimentation du cannabis thérapeutique en France « pour des malades chroniques peu ou pas soulagés de leurs souffrances par leurs traitements». Cette « étape cruciale de la sélection et de l’autorisation de ces médicaments qui seront prescrits aux patients ne peut être réalisée » se désespéraient les auteurs de la tribune. Pourquoi ? Parce que le décret permettant l’application de cette expérimentation n’avait toujours pas été publié.
Des centres à sélectionner et des médecins à former
Il semblerait que leur appel ait été entendu. Le décret tant attendu est enfin paru au Journal Officiel ce 9 octobre. Cela ne signifie pas pour autant que les malades en souffrance peuvent se procurer dès à présent la plante miracle. Pour éviter toute dérive, le texte prévoit en effet que le cannabis thérapeutique soit prescrit uniquement dans des centres justifiant d’une expertise, par des médecins et pharmaciens préalablement formés.
Or, ces centres n’ont pas encore été sélectionnés et le contenu de la formation n’a pas encore été validé. « L’Agence nationale du médicament (ANSM) a reçu la liste des centres volontaires. Elle doit à présent en sélectionner un certain nombre, répartis sur tout le territoire y compris dans les Dom-Tom. Concernant la formation des professionnels de santé, une réunion est prévue le 16 novembre à l’ANSM pour valider les modules de formation » reconnaît le Dr Ivan Krakowski, oncologue médical spécialiste de la douleur, président de l’Association francophone pour les soins oncologiques de support (AFSOS) et signataire de la tribune.
Une utilité probable en oncologie dans les nausées et les douleurs
Cette phase d’expérimentation vise à déterminer si l’usage médical du cannabis est généralisable à l’échelle du territoire. Elle portera sur un nombre maximal de 3 000 patients traités et suivis « pour certaines indications thérapeutiques ou situations cliniques réfractaires aux traitements indiqués et accessibles. » Celles-ci incluent notamment certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, de spasticité douloureuse de la sclérose en plaques.
Le cancer est également concerné. « En oncologie, l’efficacité du cannabis a été montrée dans les nausées. Toutefois, ces études datent un peu. Depuis, nous avons de nouveaux anti-nauséeux qui nous permettent de soulager 95% des patients. Malgré cela, le cannabis pourrait être utile pour les 5% restants » explique le Dr Ivan Krakowski. Les douleurs neuropatiques et les situations palliatives pourraient aussi profiter des effets de la plante. « Même si ce n’est pas l’objectif de cette expérimentation qui n’est pas, il faut bien le préciser, une étude clinique mais de faisabilité, elle nous permettra d’avoir une idée de l’efficacité du cannabis et d’orienter nos pratiques. C’est pour cela que nous avons voulu que l’expérimentation prévoit un suivi important des patients. Ce n’est pas le cas dans les autres pays où le suivi est parcellaire voire inexistant » ajoute l’oncologue.
Le décret prévoit d’autoriser cette expérimentation sur 500 patients en oncologie pour une durée de 2 ans. Celle-ci devra démarrer au plus tard le 31 mars 2021. Si le dispositif n’accuse pas de nouveaux retards…
LIRE AUSSI : Pourquoi la France est en retard dans l’usage thérapeutique du cannabis, où en sont les autres pays ? Lisez notre dossier complet pour en savoir plus sur le cannabis thérapeutique.
Emilie Groyer
Mis à jour le 27 octobre 2020