« Mon premier c’est désir… » de Véronique Jannot, nous connaissons tous la voix veloutée, ce minuscule tremblement en fin de phrase comme si un carillon d’enfance ponctuait toujours et encore la mélodie.
Le sourire restera sans doute dans nos souvenirs celui de Joëlle Mazart, l’assistante sociale de Pause Café, série qui, en 1981, propulsa la jeune actrice au panthéon des saintes télévisuelles. Et puis, aussi, indémodables, les mélodies amoureuses avec Laurent Voulzy.
Mon second? « Du plaisir« , assure la chanson. « Mon troisième, c’est souffrir. » A vingt-deux ans, Véronique Jannot subit une ablation de l’utérus et des ovaires. Une épreuve « qui change le regard sur la vie, sur les autres, sur la souffrance humaine ».
Les premières douleurs, les premiers examens… et le choc
Au début, des maux de ventre, violents, certes, mais parfaitement expliqués par un gynécologue se piquant de psychologie: « douleurs psychosomatiques, nerveuses « . C’est normal, on le sait bien, toutes ces actrices sont un peu dérangées de la tête, capricieuses, douillettes !
Les semaines passent. Puis les mois, jusqu’à ce Noël 1978 où, terrassée par une énorme fièvre, l’actrice consulte d’urgence à l’hôpital Tenon. Une cœlioscopie révèle des dizaines de minuscules tumeurs dans l’abdomen. On élimine les indésirables. Véronique se relève. Mais le refrain de la douleur continue.
Trois mois plus tard, les crises reprennent de plus belle. Cette fois, elle se rend directement auprès du Pr Salat-Baroux, à Paris. Re-cœlioscopie. Au réveil, le verdict tombe: ablation nécessaire d’un ovaire. « C’était violent, mais ma mère avait subi la même opération et cela ne l’avait pas empêchée de me donner naissance, après. »
La jeune femme réclame quelques jours de répit pour se préparer à l’épreuve. « La veille de mon admission, maman tournait et virait dans la chambre. Excédée, je l’interroge. C’est alors qu’elle me révèle l’impensable : ce n’était pas un ovaire, qu’on allait m’enlever, mais probablement les deux, plus l’utérus. »
Quand la vie vacille, quand le sol se dérobe, la colère devient une protection. « J’ai hurlé contre ma mère, je lui ai demandé de sortir de ma chambre. Aujourd’hui, je mesure quelle a été sa douleur de m’apprendre ce qui allait me dévaster. »
La recherche des solutions alternatives
Mais, face à l’envahissement des cellules « frontières », c’est-à-dire à haut risque, les solutions autres que l’ablation n’existent pas. Alors, ce sera la vie sans ovaires, ni utérus. Une vie sans enfant. Une vie sans mari, « parce que les maris veulent faire des enfants ». Une vie très différente de celle dont elle rêvait. Commence ensuite le parcours des soins. La chimiothérapie, la douleur têtue, la fatigue, les forces qui s’amenuisent.
« Ma mère m’a beaucoup aidée: très en avance sur son temps, elle était adepte de l’acupuncture. J’ai, bien sûr, suivi tout le protocole de la chimio. Mais en plus de cela, à Lyon, le Pr Nogier, père de l’auriculothérapie, m’a soignée en réharmonisant mes énergies. Ces médecines-là ne sont pas des gadgets: on ne soigne pas une pathologie, on respecte le « terrain » de chacun. Le patient devient responsable de sa santé. C’est à cette époque que j’ai pris conscience de la responsabilité que nous avons de nous-même, de notre vie. »
La jeune malade se remet de l’opération lorsqu’un coup de téléphone va à la fois lui sauver la vie et la placer face à un dilemme. Pierre Granier-Deferre la réclame pour les essais du Toubib, un film où Alain Delon tient le rôle-titre. Que faire? Dire sa maladie et risquer de se voir éconduire? Ne plus travailler? L’actrice se tait. Passe les essais avec succès.
Débute alors un éprouvant tournage où elle serre les dents, prend sur elle durant les prises qui s’éternisent, se refarde sans cesse car le maquillage « vire » au cours de la journée. Finalement, elle révèle sa maladie à Delon. Qui, délicat, gardera le secret. Un silence qui perdurera trente ans.
Pourquoi ne rien dire sur son ablation des ovaires et de l’utérus?
Parce que Véronique Jannot est l’image même de la santé, de la beauté, de la fraîcheur? Parce qu’on fait moins confiance à une « malade » – fut-elle guérie – pour un rôle-titre ? Parce que le mot « cancer » vous transforme en pestiférée? « Je me suis construite autour de ce non-dit. Parfois, la douleur morale était à la limite du supportable. Les journalistes me posaient la question du bébé. Que dire? Que cela me déchirait de ne pouvoir porter d’enfant, jamais? Je me suis tue. Trente ans de silence. »
Trente années pour apprendre à vivre avec sa souffrance. Pour la transformer. « L’épreuve nous offre une clairvoyance, elle nous ramène à l’essentiel. La vie est fragile. Beaucoup l’ignorent. Nous, les malades, le savons. Cela nous donne le courage de faire des choix de vie que nous n’aurions peut-être pas osés. Nous ne perdons pas de temps avec des choses superficielles. Pour ma part, j’ai compris la brûlante nécessité d’établir une harmonie entre mon mode de vie et mon être profond. »
Le coming out est venu en 2006 avec la parution de Trouver le chemin, témoignage de l’actrice sur sa rencontre avec le bouddhisme. « C’était pour moi le moment. Ce livre n’avait pas vocation à parler de cancer, mais je ne pouvais expliquer honnêtement mon cheminement spirituel en éludant cette épreuve qui a aussi marqué le départ d’une merveilleuse aventure intérieure. Lorsque j’ai rendu ce livre révélant ma blessure intime, je me suis sentie au bord d’un gouffre. Mais j’y suis allée. »
Le livre a été une déflagration. 300 000 exemplaires vendus. Des milliers de malades ont trouvé dans ce récit un écho à leurs peurs, leurs maux et, surtout, leurs espérances. Beaucoup ont découvert derrière le ravissant visage une femme entière. Entière, avec ou sans ovaires. Une très belle femme.
Céline Lis-Raoux