Lors du Forum économique de Davos, le patron de Publicis Groupe lançait son plaidoyer « Working with cancer » afin d’inviter ses homologues partout dans le monde à s’engager dans la lutte contre le tabou du cancer en entreprise.
Bravo à Arthur Sadoun d’avoir eu le courage de mettre sa notoriété au service de cette mise en lumière d’une problématique cruciale.
En effet, rien qu’en France aujourd’hui, le cancer touche 15% des actifs. Ce sera 25% en 2025. Une personne sur 5 en emploi au moment du diagnostic a perdu ou quitté son emploi 5 ans après et plus d’un quart d’entre elles ont vu leurs revenus baisser.
La route est encore longue pour briser le tabou du cancer dans le milieu professionnel.
« Nos vulnérabilités ne sont ni des hontes ni des fatalités »
La vulnérabilité, engendrée par la maladie reste encore difficilement compatible avec la valeur de performance qui domine très largement dans le monde de l’entreprise. Or, comme le soulignent Cynthia Fleury-Perkins et Antoine Fenoglio [1], « Nos vulnérabilités ne sont ni des hontes ni des fatalités ( …). Etre un humain suppose encore de naître et de mourir, de tomber malade et de s’en relever, avec plus ou moins de potentialités préservées. L’autonomie n’est pas un fait mais un processus qui part du fait vulnérable et qui grâce aux ressources portées par les milieux environnants et par soi-même, se dégage de cette vulnérabilité, la rend réversible et capacitaire. » Tout est dit. Le maintien et le retour à l’emploi des personnes atteintes de cancer est un enjeu systémique : personnes malades, entreprises de toutes tailles, pouvoirs publics mais aussi acteurs de terrain comme RoseUp Association, nous avons tous collectivement un rôle à jouer.
La priorité : informer
Pour briser les tabous et libérer la parole, l’information est nécessaire mais largement déficitaire. Pour que les salariés malades puissent en parler à leur employeur, encore faudrait-il que ce dernier soit en capacité d’apporter des réponses. Or, les managers sont souvent démunis : Qu’est-ce que je peux dire et ne pas dire sur le plan juridique en tant qu’employeur dans le respect de la confidentialité des données de santé ? Comment prendre des nouvelles sans être maladroit ? Quant aux salariés, comment les inciter à avouer sans honte que, malgré la fin des traitements, ils souffrent d’effets secondaires persistants tels que fatigue, difficulté de concentration et perte de mémoire qui sont autant d’aveux de faiblesse ? Encore faudrait-il qu’ils sachent eux-mêmes que c’est normal, temporaire et qu’il existe des solutions. RoseUp a mené une étude sur le « chemofog » en partenariat avec Kantar Health auprès des femmes touchées par le cancer. Les résultats sont éloquents : 75% des répondantes déclarent souffrir d’un trouble cognitif, le médecin n’a abordé le sujet qu’avec 28% d’entre elles et 80% déclarent être impactées dans leur vie professionnelle et sociale : prolongation des arrêts maladie, report du retour à l’emploi, recours accru au temps partiel thérapeutique, dépression, isolement social…
Libérer la parole suppose donc avant tout que salariés et employeurs soient déjà parfaitement informés et accompagnés. C’est précisément ce que nous proposons aux près de 9 000 femmes que nous accompagnons gratuitement chaque année au sein de nos Maisons RoseUp physiques de Paris et Bordeaux et plus récemment en distanciel partout en France : des conférences d’information et des ateliers de remédiation cognitive animés par un neuro-psychologue afin de retrouver plus rapidement mémoire et concentration et ainsi reprendre le travail plus sereinement. Ces activités s’inscrivent dans un accompagnement plus global et multidisciplinaire au maintien et/ou retour à l’emploi.
Des pistes intéressantes… pour les grandes entreprises
Le plaidoyer porté par Publicis comporte deux mesures phares : le maintien de salaire pendant un an et le financement d’un coaching. Ce sont des pistes intéressantes et adaptées aux grandes entreprises. Quid cependant des TPE et PME qui ne sont pas forcément en capacité de mettre en place de telles mesures ? Quid des travailleurs non salariés qui sont particulièrement vulnérables et précarisés ? Quid enfin des malades chroniques qui vivront de nombreuses années avec la maladie et qui sont contraints ou qui aspirent à continuer à travailler ?
Pour eux, il est indispensable que l’Etat joue son rôle d’amortisseur social. Or, force est de constater que le législateur n’a pas suivi l’évolution de la démographie du cancer mais aussi les progrès de la médecine. Comme l’explique Cynthia Fleury : « être malade signifie désormais plus souvent vivre avec un mal qu’y succomber directement, voire vivre mal avec un mal qui vit ».
Nos propositions
Beaucoup reste à accomplir tant sur le plan juridique que financier. Forte de son expérience de terrain, RoseUp a exposé plusieurs propositions au Gouvernement :
- assouplir le droit du travail et les droits sociaux ;
- étendre la prévoyance obligatoire à l’ensemble des salariés et aux travailleurs non salariés pour limiter la précarisation lié à la maladie ;
- élargir le panier de soins de support et en assouplir les modalités d’organisation pour permettre aux acteurs qui innovent au quotidien tels que RoseUp de travailler sereinement.
La route est certes longue mais le chemin est tracé. Ensemble, permettons aux actifs touchés par un cancer de conserver toute leur place dans la société et même de l’enrichir de leur expérience de la maladie.
INFO + : Pour en savoir plus sur les missions de RoseUp : www.rose-up.fr
Isabelle Huet, Directrice de RoseUp Association
Illustration Martin Jarrie
[1] Ce qui ne peut être volé, Charte du Verstolhen, Tracts Gallimard, 2022.