« Mon cancer, c’est moi qui me le suis provoqué, affirme Isabelle. Avant, je vivais dans une angoisse permanente : je m’inquiétais pour mes enfants, pour mon mari, pour les uns et pour les autres… En 2006, ce cancer a été un signal d’alarme, j’en suis sûre. » Heidi, de son côté, considère qu’elle « vivait à 300 à l’heure : j’étais fière de pouvoir tout gérer. J’étais constamment sous pression mais je me disais “je me reposerai plus tard”. Je crois que c’est ce qui m’a rongée ». D’après une enquête coordonnée par l’Inpes et l’Inserm en 2005, 28 % des Français pensent que « subir le stress de la vie moderne » constitue un facteur cancérigène majeur. Et, pour 24 % des personnes interrogées, « avoir été fragilisé par des expériences douloureuses » favorise également le développement de la maladie.
Du côté des scientifiques, en revanche, rien n’est moins sûr. « Aucune étude sérieuse ne permet d’affirmer qu’il existe un lien entre stress psychologique et cancer », martèle le Dr Stéphane Locret, directeur du collège scientifique de la Fondation Ramsay Générale de Santé. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir cherché : « De très nombreuses études prospectives ont été menées dans les pays scandinaves et anglophones. Sur ces dix dernières années, 51 % d’entre elles ont même spécialement cherché une relation de cause à effet entre le cancer du sein et le stress quotidien. Rien n’a été trouvé. » En avril 2009, par exemple, une revue scientifique a publié une gigantesque synthèse de 32 études antérieures, « Existe-t-il un lien entre un événement psychique et le risque de survenue d’un cancer ?1 ». Son verdict ? « Dans l’état actuel des connaissances, il paraît difficile de conclure à la responsabilité des événements stressants de la vie, d’un type de personnalité particulier ou d’une dépression dans l’apparition de certains cancers. »
“Pourquoi ça m’arrive ?”
Si aucune « preuve » n’existe, d’où vient alors cette certitude populaire selon laquelle le stress pourrait provoquer le cancer ? « Lorsque la maladie survient, les patients ont besoin d’identifier un coupable, ils ont besoin de comprendre “ce qui se passe” afin de mieux traverser cette épreuve ; c’est un réflexe parfaitement normal, explique le Dr Sylvie Dolbeault, psychiatre à l’institut Curie. Or, il faut bien comprendre que, dans la majorité des cas, la médecine est incapable d’expliquer “d’où vient” le cancer. Du coup, les questions des patients (“Pourquoi ça m’arrive ?” “Pourquoi à ce moment de ma vie particulièrement ?”) restent sans réponse et ces derniers se tournent donc vers la dimension psychique. Tout d’un coup, le cancer devient le reflet d’un stress ou d’un choc psychologique – ce qui est pratique, puisque ce sont deux facteurs sur lesquels on peut agir, ce qui donne donc l’impression de “reprendre le contrôle” sur une vie brutalement bouleversée. En consultation de psycho-oncologie, tout le travail consiste justement à transformer un “pourquoi ça m’arrive ?” en un “qu’est-ce que je peux faire pour aller mieux ?”. »
Sans compter que les chiffres eux-mêmes renforcent l’idée reçue. Selon ceux de Santé publique France, 78 % des cancers du sein sont diagnostiqués chez des femmes de 50 ans et plus. Or, avec l’âge, les chocs psychologiques deviennent plus fréquents : ainsi, les Françaises divorcent en moyenne vers l’âge de 42 ans, l’âge moyen de cessation d’activité professionnelle est de 60 ans pour les femmes et 30 % des Français environ subissent le deuil de l’un de leurs parents vers l’âge de 60 ans. Du coup, la tentation est grande d’associer le choc psychologique avec la survenue du cancer : en langage mathématique, on dit que l’âge constitue ici une « variable de confusion ». Mais, en réalité, si la causalité semble évidente, les deux événements ne sont pas liés… Une illusion d’optique statistique, en quelque sorte !
Le stress, un facteur cancérigène secondaire
Alors, aucun rapport avec la maladie, le stress ? Pas exactement. Car, s’il ne provoque (probablement) pas directement le cancer, il pourrait constituer un facteur cancérigène secondaire : « le stress chronique favorise les comportements à risque : le tabagisme, l’alcoolisme, les fringales sucrées et/ou salées… confirme le Dr. Stéphane Locret. Et eux auront un impact direct sur le risque de développer un cancer. » Un exemple : en entraînant la production d’une hormone particulière (le cortisol), le stress quotidien favorise l’accumulation des graisses, notamment au niveau de l’abdomen chez les femmes – sans oublier le grignotage lié à l’anxiété. L’indice de masse corporelle (IMC) augmente alors progressivement… tout comme le risque de développer un cancer – de l’œsophage, du pancréas, du sein ou de l’endomètre, en particulier.
Pire : chez les personnes atteintes du cancer, le stress pourrait aggraver les effets secondaires des traitements. Spécialiste des neurosciences au sein de l’Unité 1077 (INSERM, EPHE, UNICAEN) qui collabore avec le centre François Baclesse de Caen, le Dr. Joy Perrier nous explique : « le cortisol, cette “ hormone du stress ” produite au niveau des glandes surrénales, pourrait exacerber les effets secondaires liés à la chimiothérapie au niveau comportemental et structurel. » De manière très concrète, cela signifie qu’un stress vécu pendant la période du traitement peut amplifier d’éventuels troubles de la mémoire, de la planification et de l’apprentissage liés à la chimiothérapie. Ces patients risquent donc un temps de récupération cognitive plus long que la moyenne…
Mais ces explications sont loin de convaincre Isabelle : « je pense que le corps médical a tendance à écarter un peu rapidement l’hypothèse du stress générateur de cancer. Personnellement, je reste intimement convaincue que ce facteur a été crucial dans l’apparition de ma maladie. Et ce n’est pas parce que rien n’a été prouvé que l’éventualité doit être dénigrée… »
1. Revue d’épidémiologie et de santé publique, vol. 57 n° 2, 2009.
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