« Je trouve que le sujet est encore trop peu abordé. » Hédi Chabanol est podologue et responsable de l’Espace soin et étude de la peau à l’Institut Curie. Et ce sujet qui lui tient à cœur n’est pas dans l’intitulé de son poste : il s’agit des ongles. La peau et les cheveux ne sont en effet pas les seuls à souffrir des chimiothérapies. Les ongles subissent aussi la toxicité de ce traitement.
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Des soins à continuer après l’arrêt des traitements
Et cette toxicité, qui touche principalement les malades traités par taxanes, peut survenir après quelques cures mais aussi apparaître tardivement, comme le précise Hédi Chabanol : « Elle peut arriver jusqu’à 3 mois après l’arrêt des traitements. C’est pourquoi il est important de commencer les soins dès la consultation d’annonce et de les continuer 6 mois après la fin des traitements. »
Pour prévenir ces effets délétères de la chimiothérapie, les médecins ont le plus souvent recours à des dispositifs réfrigérants (gants pour les mains ou chaussons pour les pieds). En rétrécissant les vaisseaux sanguins des extrémités, le froid va limiter l’afflux de produits toxiques véhiculés par le sang. « Mais certains patients souffrant de problèmes de vascularisation, comme le syndrome de Raynaud, ne peuvent pas en bénéficier » explique Hédi Chabanol. Heureusement, ils existent d’autres moyens de se prémunir.
Des huiles pour nourrir
Il est tout d’abord important d’apporter des corps gras aux ongles pour les nourrir. « Il existe des huiles, des crèmes et des baumes de soin pour les ongles. Les baumes sont généralement riches en beurre de karité. On les applique sur les cuticules en massant. Il faut les mettre sur des ongles sans vernis sinon celui-ci va empêcher le produit de pénétrer l’ongle » explique Hédi Chabanol. Certaines huiles végétales sont également efficaces comme les huiles de bourrache ou de ricin.
Du vernis pour protéger
Il est aussi primordial de protéger l’ongle fragilisé. Le vernis est un allié de choix. « C’est un bon moyen de prévention contre les agressions extérieures comme les microchocs. Il va agir un peu comme un bouclier » explique la podologue. Pour maximiser son effet, on privilégiera les vernis au silicium. « Les vernis enrichis en silicium vont contribuer à renforcer l’ongle en agissant sur la kératine, le composé principal de l’ongle. Ces vernis peuvent être utilisés comme base. Une couche de base suffit généralement. Ensuite vous pouvez mettre votre vernis habituel. Quelle que soit sa couleur. On évite en revanche les vernis nacrés ou irisés car ils sont plus difficiles à retirer. » Pour les femmes (ou les hommes) qui souhaitent quelque chose de plus discret, des solutions fortifiantes incolores mat existent.
Les produits trop agressifs pour l’ongle sont à bannir. « Les durcisseurs notamment car ils peuvent contenir du formol » recommande Hédi Chabanol. Et lorsque vient l’heure de retirer son vernis, des précautions sont là aussi à prendre. « Il ne faut pas utiliser de dissolvants classiques. Ils sont trop agressifs. Même ceux sans acétone. On va préférer des huiles ou les crèmes dissolvantes car leurs propriétés nourrissantes vont contrecarrer l’effet du solvant. Je conseille de retirer le vernis tous les 3 ou 4 jours pour observer l’état de son ongle et pouvoir intervenir au plus vite si des signes de toxicité apparaissent. »
Des lotions asséchantes pour traiter
Sensations douloureuses au niveau des ongles, changement de couleur, suintements, décollement, sont autant de symptômes d’une toxicité. « Si l’on observe des exsudats au niveau de l’ongle, accompagnés d’une odeur désagréable, pas d’inquiétude, il est toujours temps d’agir. Le but va être d’assécher » explique Hédi Chabanol. Pour ce faire, on commence par bien se laver les mains au savon. Puis, on se sèche consciencieusement en veillant à presser l’ongle pour évacuer l’eau qui pourrait stagner en-dessous en raison de son décollement. « Au besoin, on peut utiliser un sèche-cheveux » conseille la podologue. Il sera parfois également nécessaire de désinfecter. Dans ce cas, on appliquera une compresse d’antiseptique, comme l’hexomédine, qu’on laissera agir 10 minutes. « C’est préférable aux bains prolongés » précise Hédi Chabanol. Le produit doit être rincé avant d’appliquer une lotion asséchante en tamponnant à la jonction entre l’ongle et la peau. « Cette action mécanique est importante parce qu’elle va permettre au produit de se mettre en place ». Enfin, on protège l’ongle avec un pansement. Le traitement est à répéter tous les jours jusqu’à disparition des écoulements.
LES CHOUCHOUS DE HÉDI CHABANOL
Les produits de soin des ongles adaptés aux personnes atteintes de cancer se démocratisent. Il est à présent possible d’en trouver en dehors de la pharmacie, dans les grandes enseignes d’alimentation ou de produits bio. Les chouchous de Hédi Chabanol ? « Les marques Même, Kure Bazaar et Nailmatic. »
Des faux ongles pour remplacer
Dans certains cas, l’ongle peut aller jusqu’à tomber. La podologue se veut toutefois rassurante : « Même si c’est impressionnant, ce n’est pas douloureux. Un nouvel ongle est présent en dessous. D’ailleurs c’est souvent lui qui, en poussant, est responsable de la chute de l’ongle précédent. » Si cela se produit, il faudra simplement protéger l’ongle qui repousse avec un pansement. Il est également possible d’avoir recours à des faux ongles. Mais pas n’importe lesquels : « À l’Institut Curie, on réalise des onychoplasties [faux ongles,NDLR] avec des résines dentaires spécifiques. Ces dispositifs peuvent aussi être faits par certains podologues. Ils permettent de redonner un aspect esthétique à l’ongle mais également de guider la repousse. » Les faux ongles, type capsule, posés en salon de beauté sont contre-indiqués.
Les gestes à éviter
Bien entendu, on évitera les gestes quotidiens susceptibles de fragiliser les ongles. On les coupera courts. On privilégiera le crayon au clavier d’ordinateur : l’impact sur les touches est traumatisant pour les ongles. Pour faire la vaisselle, on pensera à porter des gants : le produit vaisselle est très astringent. « En ces temps de Covid, nos ongles sont aussi mis à rude épreuve avec les gels hydroalcooliques : parce qu’ils contiennent de l’alcool qui va assécher la peau et fragiliser les ongles. Quand cela est possible, il vaut mieux se laver les mains avec du savon. Et, contrairement aux idées reçues, le savon de Marseille n’est pas idéal car son pH est beaucoup plus élevé que celui de notre peau : il est de 10 alors que notre peau est plus acide avec un pH entre 5,5 et 6,5. Il vaut mieux utiliser des savons “neutres”.»
Emilie Groyer