Vous m’avez peut-être déjà vu à la télé ou en photo dans la presse ? Non ?! Vraiment ? Alors, je me présente : je suis un setter anglais, j’ai 2 ans, et je travaille à l’Institut Curie à Paris en tant que chien de médiation. Mon adoption ici et le travail que je mène font l’objet d’une étude appelée M-KDOG1. À vue de truffe, je dirais que les résultats n’en seront pas publiés avant mes 5 ans.
J’ai ouï dire qu’il est tout à fait inédit qu’un hôpital, en France, se dote d’un chien à temps plein dans une unité de soins. Je suis donc un pionnier. La classe ! Vous dire que j’ai bossé comme une bête pour y arriver serait un peu exagéré. Disons que tout a commencé par un coup du sort.
On est en décembre 2022, et ce n’est pas la joie. Je me morfonds dans une des cages de la SPA de Pornic, en Loire-Atlantique. Juste avant Noël, je comprends que ma vie va bientôt changer : on m’adopte ! Mais n’allons pas trop vite… Revenons tout d’abord à mon nom, Snoopy. Il m’a été donné par l’équipe de la SPA quand elle m’a recueilli. Ce nom, je l’adore ! Je trouve qu’il sonne bien.
Il paraît qu’un de mes congénères l’a rendu mondialement célèbre. Je crois que ça joue pas mal sur mon capital de sympathie auprès des humains ! Comme lui, je suis doux et amical, doté d’un bon caractère. On m’a raconté que ma taille moyenne mes oreilles tombantes, mon œil vif et mon pelage ébouriffé – ma bonne tête quoi ! –, en plus de mes qualités d’adaptabilité, ont été des éléments clés pour qu’un célèbre établissement parisien de lutte contre le cancer, l’Institut Curie, me choisisse, moi, parmi un catalogue de quelque 2 000 chiens abandonnés !
Pour quoi faire ? Pour accompagner des patients et apaiser leur anxiété, mais aussi pour alléger la « charge émotionnelle » des soignants. Une mission au poil pour moi parce que, les humains, je les sens bien. Le seul défaut que je leur trouve ? Ils sont complètement nuls en langue canine. Mais bon ! l’essentiel, c’est que moi je comprenne tout ce qu’ils me disent…
Quand je suis arrivé à l’Institut Curie, après un long voyage en voiture, je n’étais pas en grande forme. Plutôt maigre et en manque d’activité, j’avais un air de chien battu qui ne m’allait pas du tout. Aujourd’hui, j’ai repris du poil de la bête, et surtout de la masse musculaire ! Les croquettes sont bonnes et les portions généreuses ! Autour de moi, que de la bienveillance et de nouveaux copains pour me dorloter. Je fais maintenant partie d’un projet d’équipe, et m’adapter à mon nouvel environnement est mon premier challenge. M’accompagnent pour m’aider une vétérinaire, grande spécialiste du comportement animalier ; une ergothérapeute, experte en sciences de la rééducation et de la réadaptation ; et une éducatrice canine, qui a bien cerné ma personnalité de jeune chien joyeux, plein d’enthousiasme et d’énergie !
J’ai un e-mail et un badge
Me voilà parachuté dans un service de soins. Il y a Marguerite, mon infirmière référente, mais aussi Élodie, Maxime et Isabelle, également infirmiers. Ma nouvelle famille ! Pour m’accueillir, ils ont dû suivre une formation et obtenir un certificat d’aptitude, l’Acaced (Attestation de connaissances pour les animaux de compagnie d’espèces domestiques).
Pas de blouse pour moi, je porte un harnais sur lequel est indiqué : « Ne pas toucher sans autorisation » ; mais, pour mon plus grand plaisir, il y a de nombreux contrevenants à cette règle ! Pour les caresses, je suis toujours prêt !
Comme mes collègues, j’ai un badge à mon nom. On m’a attribué un chouette « coucouche » panier, situé dans le bureau infirmier. Très confortable, il dispose aussi de quelques jouets pour assurer mon bien-être au quotidien. Et j’ai même une adresse e-mail. Pas de dressage prévu pour mater la souris… on répond aux messages pour moi. Royal !
Tout au long de ma journée de travail – oui, j’ai un planning – je m’applique, puisqu’on me le demande si gentiment, à être doux et attentif avec les personnes que je croise. Je suis encore en formation, donc peu en contact avec les patients pour l’instant. « Patients » et « soignants », une distinction qui m’indiffère, tout comme le cancer ! Les jugements de valeur, très peu pour moi ! La présence d’un chien auprès d’un public « fragilisé » a, semble-t-il, de nombreuses vertus: le chien apaise, fait sourire. Dans un univers médicalisé, sa présence détourne l’attention ou les pensées, et il peut ainsi améliorer la réceptivité aux soins. Ce sera à moi de le prouver à l’avenir. Mais je pense être assez doué pour réussir. J’ai naturellement un petit talent pour faire en sorte qu’on ne voie que moi et que tout le reste passe au second plan ! Mon petit truc en plus : je sais sourire. Mes éducatrices m’entraînent à bien me tenir, à composer : ne pas monter sur le lit, mettre ma truffe sur la main du patient si celui-ci la tend, poser ma tête sur sa cuisse, attendre sa caresse, rester à ses pieds comme un garde bienveillant. Ce comportement n’est pas inné de ma part, mais l’apprentissage s’apparente finalement à un drôle de jeu, avec des gourmandises à la clé ! Le réflexe pavlovien, ça vous parle ? Je vous explique : quand on me donne un ordre et que je fais ce que l’on me demande, un petit clic signe ma réussite, immédiatement suivi d’une croquette pour me récompenser.
J’ai des jours de congé
Du côté des blouses blanches, j’ai la cote ! Dans les couloirs, c’est Snoopy par ci, Snoopy par là, et: « Comment vas-tu ? », « Comme tu es beau! », « Comme on a de la chance de t’avoir » et « Tiens ! je t’ai apporté une friandise », « Et si tu venais faire un petit tour avec moi ? », etc. Ma présence agit comme une bulle d’oxygène. Comme si j’apportais un peu de fantaisie dans la journée de travail, dont le rythme est, je le vois, plus que soutenu ! Dans le bureau infirmier, l’atmosphère semble plus détendue quand je suis là, les rires fusent, et cette petite musique me comble ! J’ai le don de mettre le temps entre parenthèses. Le chien d’arrêt, c’est moi ! Tous les jours, j’arpente les couloirs de l’institut – en laisse, bien sûr – et j’en fais, des kilomètres! Les escaliers ont été difficiles à prendre au début, dans le sens de la descente surtout. Je stressais. Peut-être le souvenir d’une cave où j’aurais été enfermé dans les premiers mois de ma vie…?
J’ai droit aussi à des moments de pause, à des jours de repos et même à des vacances. Et, pour ça, je bénéficie d’une belle organisation ! On me promène plusieurs fois par jour dans le jardin de l’institut, où je suis même autorisé à courir en toute liberté afin de me dégourdir les pattes. Et, pour mes petits besoins, j’ai mes habitudes et je sais me faire discret !
Petit aparté : moi, je suis à jour de mes vaccins. Et, côté « gestes barrières », je fais ce qu’il faut : je ronge consciencieusement des os qui favorisent une bonne hygiène buccale, et je prends régulièrement du vermifuge (essentiel pour me protéger des parasites et protéger aussi mon entourage des contaminations) !
S comme soignant !
Mes nuits et mes week-ends, je les passe chez un de mes collègues infirmiers. Je suis en garde alternée. Je le vis bien, car ils sont vraiment sympas. Grâce à eux, j’ai déjà passé des vacances à la mer, et aussi à la montagne. Petite anecdote : à mon arrivée à Paris, j’aimais bien courser les pigeons, mais quand j’ai vu pour la première fois des canards, en bon chien de chasse que je suis, il a fallu me rattraper par la peau du cou pour que je ne plonge pas dans le lac du parc de Sceaux !
Bon ! aujourd’hui, je sais me contrôler… Chien de médiation de plus en plus qualifié, je crois pouvoir dire que je me suis bien adapté à mon nouvel environnement. Tout le monde apprécie ma compagnie. J’apaise, je divertis, je change la donne. Je fais du bien. Certains m’ont très vite donné un diminutif : Snoop. Ça claque ! Snoopy ça commence par un S, comme soignant, et ça me plaît bien d’être un chien qui soigne! Et pourquoi pas, un de ces quatre, Docteur Snoop ?
LA TEAM SNOOPY : Chien de médiation et mascotte de l’Institut Curie, Snoopy est accompagné au quotidien par les membres de l’unité de recherche en plaies et cicatrisation, dirigée par Isabelle Fromantin, infirmière et docteur en science. Sa référente est Marguerite Nicodème, infirmière en pratique avancée (IPA). Son intégration est suivie par trois spécialistes : Caroline Gilbert, vétérinaire éthologue à l’École nationale vétérinaire d’Alfort ; Cynthia Engels, ergothérapeute et maître de conférences à l’université Paris-Est – Créteil ; Aurélie Nuzillard, éducatrice canine.
Photo : Meyer/Tendance Flou
Retrouvez cet article dans Rose magazine numéro 25.
1. L’objet de l’étude est d’évaluer le bénéfice de la présence d’un chien de médiation à l’hôpital : bien-être au travail ressenti par les soignants, effets sur la communication, le stress et l’anxiété des patients et de leur famille…