CE QU’IL FAUT RETENIR :
- Le programme Compass s’adresse aux femmes atteintes d’un cancer du sein triple négatif présentant une rechute dans l’année qui suit l’arrêt des traitements.
- Il testera l’efficacité de traitements innovants comme les ADC et les CART-cells.
- Les femmes correspondant aux critères d’inclusion de l’étude peuvent déposer leur demande de participation sur une plateforme dédiée, qu’elles vivent ou non à Paris.
Les cancers du sein triple négatifs, qui représentent environ 20% des cancers du sein, sont particulièrement agressifs et restent difficiles à soigner. Contrairement aux 2 autres sous-types de cancers du sein (hormonodépendants et HER2+), ils ne présentent en effet pas à leur surface de biomarqueurs connus qui pourraient servir de cibles à des traitements. Gustave Roussy lance le programme Compass (boussole en Anglais) pour combler ce désert thérapeutique. Le Dr Barbara Pistilli, cheffe du comité de pathologie mammaire de Gustave Roussy et porteuse du projet, nous explique en quoi consiste ce programme et à qui il s’adresse.
Pouvez-vous nous expliquer à quelle problématique le programme Compass essaie de répondre ?
Dr Barbara Pistilli : Chaque année en France, 7 000 femmes sont touchées par un cancer du sein triple négatif. Il s’agit la plupart du temps de femmes jeunes : 40% d’entre elles ont moins de 40 ans. Et comme elles ne sont pas ciblées par les campagnes de dépistage organisé, qui s’adresse aux femmes de plus de 50 ans, elles sont souvent diagnostiquées tardivement. Par ailleurs, on sait qu’une patiente sur 5 fera une rechute métastatique précocement, un an après la fin de ses traitements.
Pour ces femmes, c’est un peu la double peine : non seulement elles répondent mal aux traitements actuels, par chimiothérapie notamment ; mais en plus, elles peinent à intégrer des essais cliniques sur de nouveaux médicaments car elles ne respectent souvent pas les critères d’inclusion, justement parce qu’elles ont rechuté.
Nous avons donc décider de créer un programme dédié spécifiquement à cette population de femmes atteintes d’un cancer du sein triple négatif ayant rechuté dans l’année qui suit l’arrêt de leurs traitements curatifs.
En quoi consiste ce programme ?
Pendant 3 ans, nous allons mener une série d’essais cliniques visant à tester, chez ces patientes, l’efficacité de traitements innovants. Pour les obtenir, nous contactons les laboratoires pharmaceutiques qui développent des molécules qui nous paraissent intéressantes et nous leur demandons de nous les fournir. Mais je tiens à souligner qu’il s’agit d’un programme entièrement académique financé par Gustave Roussy et par les dons récoltés lors des dernières campagnes d’Octobre Rose.
De quel type de traitement s’agit-il ?
Nous allons commencer avec des ADC (antibody-drug-conjugate, NDLR1) nouvelle génération, seuls ou en combinaison avec une immunothérapie. Nous prévoyons également de tester des thérapies cellulaires comme les CART-cells2.
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Pour que ces traitements de précision soient efficaces, il faut avoir identifié un marqueur présent sur les cellules tumorales qui leur servira de cible. Or, c’est bien ce qu’il manque dans les cancers triple négatifs. Comment allez-vous faire ?
Toutes les patientes qui intègreront le programme effectueront une biopsie avant et pendant le traitement et, si le traitement ne fonctionne pas, pendant la phase de progression de la maladie. Nous rechercherons sur ces prélèvements de tissus tumoraux des biomarqueurs qui pourront servir de cibles pour les traitements. Nous souhaiterions également développer un modèle mathématique, grâce à l’intelligence artificielle, qui nous permettrait, à partir de ces biomarqueurs, d’identifier rapidement les femmes atteintes d’un cancer triple négatif susceptibles de faire une rechute précoce pour leur proposer un traitement adapté.
Qu’en est-il de la vaccinothérapie. Prévoyez-vous également de tester ce type d’approche ?
Il s’agit en effet d’une demande récurrente de la part des patientes touchées par un cancer du sein triple négatif. Notamment parce que certains centres en Allemagne la proposent comme une stratégie efficace alors qu’on ne dispose pas de données vraiment solides pour le prouver. Pourquoi pas tester les vaccinothérapies dans le futur mais pour le moment, on se focalise sur les thérapies cellulaires et les ADC car les recherches sur ces traitements sont plus avancées.
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Quand les femmes pourront-elles accéder à ce programme ?
Nous allons commencer3 les 2 essais cliniques portant sur l’ADC, en combinaison ou pas avec une immunothérapie, d’ici quelques mois. Chaque essai inclura environ 25 patientes. Nous devrions avoir les premiers résultats dans le courant du 2ème trimestre 2024. Les autres essais suivront. Le programme durera 3 ans et devrait inclure 200 à 250 patientes au total.
Pour que les femmes y participent, qu’elles vivent à Paris ou non, nous allons mettre en ligne sur le site de Gustave Roussy une plateforme sur laquelle elles pourront vérifier qu’elles correspondent bien aux critères d’inclusion et d’exclusion. On leur proposera également une consultation en visio pour s’assurer, sans qu’elles aient besoin de se déplacer, qu’elles peuvent bien intégrer le programme.
Propos recueillis par Emilie Groyer
1. Chimiothérapie conjuguée à un anticorps dirigé contre un marqueur présent à la surface des cellules cancéreuses, permettant ainsi de la véhiculer au coeur de la tumeur.
2. Les CART-cells sont des cellules du système immunitaire (lymphocytes T) qui ont été modifiées en laboratoire pour les « entrainer » à reconnaître un marqueur présent à la surface des cellules cancéreuses et à les éliminer.
3. Le programme a ouvert le 11 juin 2024.