Le cancer du sein triple négatif est le sous-type de cancer du sein le plus agressif. Et les oncologues manquent de traitements. L’immunothérapie représente un réel espoir. Mais depuis le retrait de l’ATU1 de l’atezolizumab en août 2020, les patientes françaises n’avaient plus accès à cette thérapie innovante (en dehors d’un essai clinique).
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Première immunothérapie à améliorer la survie globale
Les choses pourraient bien changer avec la publication il y a quelques jours d’un communiqué de presse du laboratoire MSD, propriétaire du pembrolizumab (Keytruda) : « Le Keytruda est la première thérapie anti-PD1 en combinaison à une chimiothérapie à démontrer un gain significatif sur la survie globale des patientes atteintes de cancer du sein triple négatif en condition métastatique ».
Cette annonce était attendue depuis un an. En 2020, le laboratoire présentait les premiers résultats de cette immunothérapie sur la progression de la maladie au congrès international de cancérologie de l’ASCO (étude Keynote 355). Administré en première ligne de traitement en condition métastatique, en combinaison à une chimiothérapie, le pembrolizumab retardait les rechutes de 4 mois. Aujourd’hui, les résultats en survie globale confirment l’intérêt de cette immunothérapie (les chiffres précis n’ont pas encore été communiqués et devraient être présentés au prochain congrès européen de cancérologie de l’ESMO). Et cela change la donne pour les oncologues et pour les « Triplettes ».
Des prescriptions possibles sous conditions
Bien que le pembrolizumab n’ait pas encore d’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le cancer du sein triple négatif métastatique, ces résultats positifs vont en effet permettre aux oncologues de prescrire le précieux médicament. Comme nous explique le Pr Saghatchian, oncologue à l’hôpital américain de Paris : « Le pembrolizumab est accessible commercialement parce qu’il a déjà obtenu des AMM dans certaines indications : le mélanome, le poumon… On peut donc le prescrire dans d’autres indications, hors AMM, à partir du moment où on peut justifier 2 choses : qu’il n’y a pas d’alternative thérapeutique et qu’il y a un bénéfice prouvé par des publications scientifiques. » Concernant ce dernier point, c’est désormais chose faite depuis l’annonce de Merck.
Un risque financier – mesuré – pour les hôpitaux
Si théoriquement les oncologues peuvent à présent prescrire le pembrolizumab aux Triplettes en condition métastatique, la mise en pratique pourrait s’avérer compliquée. « Il faudra, pour chaque prescription, justifier que la patiente est en impasse thérapeutique et qu’elle correspond bien aux critères de l’étude » précise le Pr Saghatchian. Il convient ici de rappeler que le bénéfice du traitement n’a en effet été prouvé que chez des femmes dont les tumeurs expriment le marqueur PDL12.
Sans ces preuves, le centre hospitalier prescripteur prend le risque de ne pas être remboursé du coût du traitement. À savoir, plusieurs milliers d’euros par cure de pembrolizumab. Les services d’oncologie prendront-ils ce risque ? Pour le Pr Blay, président d’Unicancer, « le bénéfice thérapeutique justifie une telle prescription/exception » pour les femmes qui ne pourraient pas avoir accès au pembrolizumab via un essai clinique par exemple. Le Collectif #MobilisationTriplettes, qui défend les femmes atteintes d’un cancer du sein triple négatif, s’est par ailleurs assuré auprès du Ministère des Solidarités et de la Santé « qu’il n’y aura aucun blocage administratif ou financier ».
Une demande d’AMM et d’accès précoce en cours
Pour que l’accès au pembrolizumab soit simplifié à l’avenir, le laboratoire MSD a entrepris des démarches auprès des autorités de santé comme nous l’a confirmé Audrey Raverdy, responsable de la communication du laboratoire : « Dans le cancer du sein triple négatif au stade métastatique, l’évaluation de la demande d’AMM est en cours et nous travaillons sur un dossier de demande d’accès précoce. »
Dans les 2 cas – AMM ou accès précoce3 – le pembrolizumab devra encore passer la barrière de la Haute autorité de santé (HAS) avant d’obtenir un remboursement pérenne. Et la partie n’est pas gagnée selon le Pr Saghatchian : « Il faut être prudent car les résultats de l’étude Keynote 355 n’ont pas encore été publiés. La HAS pourrait rendre un avis défavorable si elle considère que la méthodologie de l’essai clinique est critiquable ou que le bénéfice n’est pas suffisamment important pour justifier une prise en charge. » Comme cela a récemment été le cas pour une autre immunothérapie, l’atézolizumab.
« La bataille n’est pas finie » conclut le Pr Saghatchian.
BON À SAVOIR : Depuis novembre 2021, le pembrolizumab est accessible aux patientes françaises dans cette indication (en association à une chimiothérapie dans le traitement des patients atteints d’un cancer du sein triple négatif métastatique, dont les tumeurs expriment PD-L1 et qui n’ont pas reçu de chimiothérapie antérieure pour la maladie métastatique).
Pour en savoir plus, lisez notre article « Cancer du sein triple négatif métastatique : 2 traitements innovants en accès précoce »
1. Autorisation temporaire d’utilisation qui permet l’accès à un traitement innovant avant l’obtention de son autorisation de mise sur le marché.
2. Plus précisément, le bénéfice a été prouvé chez des femmes dont le score CPS (Combined Positive Score) est supérieur à 10. Ce score étant calculé en divisant le nombre de cellules exprimant le PDL1 (cellules tumorales et cellules immunitaires) par le nombre total de cellules tumorales viables, et en le multipliant par 100.
3. L’accès précoce remplace l’ATU depuis le 1er juillet 2021 et permet notamment à un médicament n’ayant pas encore obtenu une AMM d’être automatiquement remboursé par l’assurance maladie.