Vous êtes atteinte d’un cancer du sein triple négatif. Comment avez-vous réagi à l’annonce de la suspension de l’accès à la seule immunothérapie actuellement autorisée en France, l’atezolizumab ?
Peggy : Oui, j’ai un cancer du sein triple négatif avec une atteinte ganglionnaire. Il a été diagnostiqué en novembre. J’ai reçu 2 chimiothérapies, une tumorectomie et un curage axillaire. Aujourd’hui, je suis sous radiothérapie et chimiothérapie orale.
Je savais que l’immunothérapie représentait un espoir. Quand j’ai été diagnostiquée, j’ai d’ailleurs demandé à mon oncologue si je pouvais en bénéficier mais les inclusions n’avaient pas démarré dans mon centre et il fallait que je commence les traitements au plus vite. Il s’est passé seulement 2 semaines entre mon diagnostic et le début de mes traitements.
Quand j’ai appris cette nouvelle sur les réseaux sociaux, je me suis dit que ce n’était pas possible…
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Cette nouvelle a généré un mouvement de colère dans certaines communautés de patientes triple négatives…
Beaucoup de malades étaient déjà en colère parce qu’elles n’ont pas pu être incluses dans des essais cliniques testant une immunothérapie. Certaines vont en Allemagne pour recevoir ces traitements et ne comprennent pas pourquoi elles ne peuvent pas les avoir en France. Cette annonce a été l’étincelle qui a mis le feu à la poudrière. Une pétition a été mise en ligne et elle a récolté déjà plus de 10 000 signatures !
Sur les réseaux, on parle d’un abandon pure et simple de l’immunothérapie en France. Mais en lisant posément votre article et en complétant par des publications scientifiques, je me suis aperçue qu’en fait toutes les immunothérapies n’étaient pas abandonnées en France. Une seule combinaison était concernée : l’atezolizumab associé au paclitaxel. Et si les oncologues ne peuvent plus la prescrire parce que l’ATU a été suspendue, il est toujours possible de bénéficier d’autres traitements d’immunothérapies via des essais cliniques. Et si ceux-ci sont positifs, ces immunothérapies pourront être proposées plus largement.
Du coup, je suis à fond avec mes sœurs de combat mais je sais aussi que la recherche ne nous a pas abandonnées. L’immunothérapie est toujours un espoir mais pas dans cet essai spécifique.
Pourtant vous comprenez cette colère ? Il faut préciser que vous avez une vision particulière des choses car vous êtes à la fois malade et chercheuse…
Oui, je suis docteur en biologie. Je suis chercheuse INSERM dans le domaine de la génomique appliquée au cancer. Évidemment, je ressens cette colère. J’ai conscience que, si je récidive, l’immunothérapie pourrait me sauver la vie. Si cet espoir m’est retiré, j’aurai envie de me battre.
Pour ce qui est des essais cliniques, si on me refuse leur accès parce que j’aurais déjà eu d’autres lignes de traitements, ça va m’énerver. Mais je sais, en tant que scientifique, que pour qu’un essai clinique fonctionne, il faut respecter certains critères d’inclusion. Ce n’est qu’à cette condition qu’il pourra bénéficier à d’autres femmes dans l’avenir. Je sais qu’actuellement la méthode scientifique est beaucoup discutée. On l’a vu avec le débat autour de l’hydroxychloroquine et du COVID-19. C’est vrai que ces précautions et cette lenteur sont agaçantes mais c’est la seule façon de ne pas faire courir de risques aux malades.
Idem pour l’Allemagne. J’ai lu et entendu des témoignages de guérison mais j’avoue que sans chiffres, je reste sceptique sur cet Eldorado… J’ai quand même du mal à croire que l’Allemagne ait une solution miracle que la France refuserait de proposer. C’est peut-être de la naïveté de ma part ou une trop grande confiance dans le système français. Je ne sais pas. Je ne condamne pas la décision de ces femmes de partir, bien au contraire, il est question de survie pour elles, et probablement que le jour où je n’aurai plus de solution en France, je partirai moi aussi.
Entre mon statut de malade et celui de scientifique, c’est un peu le combat du coeur contre le cerveau.
Propos recueillis par Emilie Groyer