Les premiers résultats de l’essai clinique IMpassion130, présentés l’année dernière au congrès de l’ASCO, avaient fait renaître l’espoir chez les femmes atteintes d’un cancer du sein triple négatif métastatique : l’atezolizumab1, en combinaison avec la chimiothérapie nab-paclitaxel, permettait d’améliorer leur survie. Ces femmes pouvaient enfin avoir accès à cette immunothérapie puisque, chose rare en France, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) avait rapidement délivré une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) suite à ces résultats encourageants. Cette ATU était d’autant plus exceptionnelle qu’elle couvrait non seulement la combinaison atezolizumab + nab-paclitaxel mais également la combinaison atezolizumab + paclitaxel (le nab-paclitaxel n’étant pas utilisé en France car non-remboursé). Cette dernière combinaison n’avait pourtant pas encore démontré son efficacité.
L’accès à l’atezolizumab suspendu
C’était justement l’objet de l’essai clinique IMpassion131 dont les résultats ont été présentés par le laboratoire Roche la semaine dernière. Et c’est un échec : la combinaison atezolizumab + paclitaxel n’apporte aucun bénéfice du point de vue de la survie sans reprogression. Autrement dit, elle ne permet pas de retarder les rechutes ou la progression de la maladie.
Ces résultats sont lourds de conséquence pour les patientes françaises. L’atezolizumab est en effet à ce jour la seule immunothérapie à avoir obtenu une ATU pour une application dans le cancer du sein triple négatif. Ce précieux sésame permet à un médicament d’être prescrit précocement, en dehors d’un essai clinique, avant son autorisation finale de mise sur le marché. Le Pr Mahasti Saghatchian, oncologue spécialiste du cancer du sein à l’Hôpital Américain de Paris, en atteste : « En France, nous avons eu accès à l’atezolizumab grâce à une ATU, en attendant les résultats de IMpassion131. Du fait de ces résultats, nous avons été informés par le laboratoire que l’ATU est suspendue. Aucune nouvelle patiente ne pourra avoir accès à la molécule. Le traitement sera poursuivi pour celles qui en bénéficient déjà, s’il est jugé efficace, et c’est tout. »
Une immunothérapie pourtant efficace chez certaines patientes
De l’avis de l’oncologue, qui a participé à l’étude, cette décision n’est par ailleurs pas totalement justifiée. Si, lorsqu’ils sont regardés dans leur ensemble, les résultats sont négatifs, l’analyse fine des résultats montrerait que certaines sous-populations de femmes pourraient en tirer un bénéfice : « Il faut analyser les données en profondeur [à ce jour les résultats n’ont pas encore été publiés par le laboratoire, NDLR] et dans le détail, car il y a clairement des patientes pour lesquelles le traitement EST efficace, et apporte un gain de survie, en fonction du profil de leur cancer et de leur immuno-sensibilité. L’interprétation de ces résultats, et les conséquences de l’utilisation ces données brutes de non-significativité statistique, va bloquer définitivement l’accès à cette immunothérapie pour les patientes atteintes de cancer du sein triple négatif en France, et c’est inacceptable à mon sens. »
Une nouvelle exception française
Si les résultats de l’étude IMpassion131 sont considérés comme un échec, reste que l’étude IMpassion130 a montré l’intérêt de l’atezolizumab s’il est combiné au nab-paclitaxel. Cette combinaison est d’ailleurs approuvée et utilisée dans de nombreux pays depuis plusieurs mois. La France fait figure d’exception. « En mars 2020, la Haute Autorité de Santé (HAS) a rendu un avis défavorable au remboursement de l’atezolizumab en association au nab-paclitaxel dans le traitement du cancer du sein triple négatif localement avancé non résécable ou métastatique dont les tumeurs présentent une expression de PD-L1 ≥ 1 %. Et ce, malgré les résultats d’IMpassion130, du fait d’une interprétation stricte et purement méthodologique de l’étude, s’indigne le Pr Saghatchian. Ceci veut dire qu’en l’état actuel des choses il n’y aura dorénavant aucun accès possible à l’immunothérapie par atezolizumab pour les patientes atteintes de cancer du sein triple négatif en France. Et aucune autre immunothérapie n’est validée à ce jour. »
« L’accès à l’immunothérapie pour les patientes atteintes de cancer du sein triple négatif est bloqué en France. C’est inacceptable. »
Une perte de chance pour les malades françaises
L’oncologue ne décolère pas : « Ceci est extrêmement regrettable. Il y a clairement des patientes qui bénéficient de ces traitements, des patientes longues répondeuses, dont la maladie va être durablement contrôlée par l’immunothérapie. C’est une perte de chance pour ces patientes. » Elle s’inquiète également des conséquences néfastes que cette exception française pourrait avoir : « De plus en plus de femmes se ruinent pour aller à l’étranger, notamment en Allemagne, afin de recevoir ces immunothérapies extrêmement coûteuses, qu’elles payent de leur propre poche, dans des conditions difficiles, avec des allers-retours incessants entre les 2 pays, et avec des combinaisons de médicaments non validés. Cette situation n’est pas acceptable et l’absence d’accès à l’atezolizumab va aggraver cela. »
« Il faut une mobilisation des patientes, des associations et des professionnels pour offrir toutes les chances à nos patientes en France.»
L’atezolizumab n’est malheureusement pas le premier médicament novateur dont la France n’autorise pas l’accès alors que d’autres pays ont passé le pas. Prenant ainsi le risque de laisser ses malades dans une impasse thérapeutique. « D’autres traitements efficaces sont déjà validés et mis sur le marché aux États-Unis, confirme le Pr Saghatchian. C’est le cas par exemple du pembrolizumab, une autre immunothérapie validée dans les cancers avec charge mutationnelle élevée. Elle est en cours de validation par la FDA pour les cancers du sein triples négatifs, ou du sacituzumab govitecan (Trodelvy). Mais nos délais d’approbation à ces traitements innovants ne nous permettent pas d’offrir d’alternative thérapeutique à nos patientes et impactent gravement leur pronostic. »
Que faudrait-il pour que les choses changent ? Pour l’oncologue, la solution viendra des premiers concernés : « Il faut une mobilisation des patientes, des associations et des professionnels pour offrir toutes les chances à nos patientes en France. » En attendant que les autorités françaises reviennent sur leurs décisions quant aux combinaisons atezolizumab+paclitaxel/nab-paclitaxel, la recherche continue d’avancer. D’autres médicaments d’immunothérapie et d’autres combinaisons sont actuellement à l’étude, notamment l’association atezolizumab+capecitabine dans l’essai IMpassion132.
Emilie Groyer
1. L’atezolizumab (Tecentriq©) est un anticorps dirigé contre le marqueur PDL-1. Il fait partie des immunothérapies.