La Haute Autorité de Santé (HAS) a publié aujourd’hui son rapport concernant les tests génomiques et leur utilité dans le choix d’administrer ou non, après la chirurgie, une chimiothérapie (dite adjuvante) à des femmes atteintes d’un cancer du sein précoce. Le rapport était attendu depuis des années par la société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP) et son président Pascal Pujol : « Nous avions saisi à plusieurs reprises la HAS et l’Institut National du Cancer (INCa) pour qu’ils révisent leurs recommandations. Les dernières datent de 2013 et il y a eu depuis des études cliniques majeures dans le domaine. »
La décision d’administrer une chimiothérapie adjuvante à une patiente dans le but de réduire son risque de récidive se base actuellement sur des critères clinico-pathologiques (âge de la patiente, taille et agressivité de la tumeur, envahissement ganglionnaire…). Toutefois, ceux-ci ne sont pas toujours suffisants comme le reconnaît la HAS : « Pour une part des patientes atteintes d’un cancer du sein de stade précoce, la chimiothérapie adjuvante n’est pas systématique en raison d’un bénéfice attendu relativement modeste lié à un pronostic naturellement favorable. En cas de risque intermédiaire de récidive au vu des critères clinico-pathologiques traditionnels, cette décision de chimiothérapie adjuvante resterait dans certains cas difficile et suffisamment hétérogène entre les centres pour en faire un sujet de préoccupation médicale. »
Des choix thérapeutiques hétérogènes
En 2013, une enquête1 a été menée auprès de 353 médecins intervenant dans la prise en charge des cancers du sein en France (oncologues, radiothérapeutes, chirurgiens). Les médecins se voyaient soumettre 4 cas cliniques et devaient indiquer s’ils auraient proposé une chimiothérapie adjuvante. Cette étude a révélé que, pour les cancers de stade précoce – exprimant les récepteurs hormonaux, négatifs pour HER2, d’une taille comprise entre 1 et 5 cm et sans envahissement ganglionnaire – la décision d’administrer ou non une chimiothérapie adjuvante variait considérablement. Pour certains des cas cliniques soumis, la moitié des médecins auraient prescrit une chimiothérapie alors que l’autre moitié ne l’aurait pas conseillé. Les auteurs estiment que 30% des cas des cancers du sein font l’objet de décisions thérapeutiques hétérogènes.
La HAS reconnaît donc que le recours à une signature génomique, en plus des critères clinico-pathologiques, pourrait contribuer à améliorer la pertinence de la décision thérapeutique soit :
« (i) en levant l’incertitude chez celles dont l’indication de chimiothérapie adjuvante (CTA) reste équivoque,
(ii) en désescaladant le traitement chez celles dont l’indication préalable de chimiothérapie adjuvante est pourtant établie. Dans l’idéal, les patientes pourraient, sans perte de chances, ne plus se voir proposer ce traitement générateur de complications (si score génomique faible), celui-ci restant réservé à celles pour qui le bénéfice serait suffisant. »
Pour rappel, 4 signatures génomiques sont utilisées en France : MammaPrint, Pam50-Prosigna TM, Endopredict et OncotypeDX (lire notre article “Notre check-list des tests à demander avant la chimiothérapie”). Pourtant, il n’existe aucune recommandation nationale sur le test à utiliser et les populations susceptibles d’en bénéficier.
Une population cible restreinte
Concernant la définition de la population cible, c’est désormais chose faite : « Pour la première fois la HAS définit précisément la population concernée : les femmes dont la tumeur mesure entre 1 et 5 cm, est sensible à l’hormonothérapie adjuvante [c’est-à-dire exprimant les récepteurs aux oestrogènes ou à la progestérone, NDLR], de statut HER2 négatif, de grade 2 et sans envahissement ganglionnaire ou avec un micro-envahissement » peut-on lire dans le communiqué de presse de la HAS. Ces patientes éligibles aux tests représenteraient entre 5 et 10% des femmes atteintes d’un cancer du sein infiltrant selon l’autorité de santé.
Un choix trop restreint selon Daniel Zarca, chirurgien-cancérologue à l’Institut Français du Sein et l’un des auteurs de l’enquête de 2013 : « La HAS a écarté d’emblée les femmes avec un grade 3 alors que les études montrent que, pour nombre d’entre elles, la chimiothérapie n’apporte aucun bénéfice et que le recours à la signature génomique pourrait permettre de le déterminer. »
Des études scientifiques jugées non pertinentes
La population est donc identifiée. Reste à choisir le test… Sur les 4 disponibles, la HAS n’en a retenu… aucun. Un comité d’expert a évalué les études cliniques dans le domaine et a conclu que « ces essais ne permettent pas de déterminer si, en contexte français, les signatures génomiques présentent une valeur ajoutée par rapport aux critères clinico-pathologiques existants. »
L’autorité a ainsi écarté une étude clinique de grande ampleur qui avait enthousiasmé les oncologues lors de sa présentation au congrès international de l’ASCO l’année dernière : l’étude TAILORx sur le test OncotypeDX. Un choix illogique pour Pascal Pujol : « Le rapport remet en cause une étude publiée dans la plus grande revue scientifique en médecine : The New England Journal of Medecine. Il s’agit d’une étude prospective randomisée à 4 bras menée sur 10 000 femmes pendant 9 ans. C’est le niveau de preuve le plus élevé que l’on puisse obtenir en clinique. Une étude qui a été financée, non pas par le laboratoire qui propose le test OncotypeDX, mais par le National Cancer Institute [équivalent de l’INCa aux États-Unis, NDLR] dans une démarche de désescalade de la chimiothérapie. »
L’exception française
L’un des arguments avancés dans le rapport de la HAS pour écarter l’étude américaine TAILORx est celui du « contexte français » : « Le contexte médico-légal très spécifique aux États-Unis conduit à traiter par chimiothérapie adjuvante des patientes qui seraient peu susceptibles d’en recevoir une en France : la mise en place de traitements adjuvants est plus fréquente, même pour des populations à faible risque de récidive. »
Une “exception française” qui, selon le Dr Daniel Zarca, ne repose sur aucun élément objectif : « Nous ne disposons pas de registre qui nous permettrait de savoir quelles femmes sont traitées par chimiothérapie en France. En revanche, si l’on suit les référentiels de centres de cancérologie comme Villejuif, Gustave Roussy ou ceux de l’AP-HP, sur lesquels les médecins s’appuient au moins en partie pour prendre leurs décisions, on s’aperçoit que beaucoup des femmes qui ont évité une chimiothérapie grâce au test génomique dans l’étude TAILORx auraient reçu ce traitement en France. »
Selon la HAS, la France pourrait donc se passer des signatures génomiques à l’heure où « l’ensemble des grandes recommandations internationales préconise actuellement l’option d’utiliser une signature génomique pour optimiser la décision de chimiothérapie adjuvante » de l’aveu même de l’autorité de santé. « Depuis la publication de l’étude TAILORx fin 2018, les référentiels ont changé. Et pas seulement aux États-Unis. En Allemagne aussi. Le référentiel anglais NICE va également être modifié. Il est assez curieux que la France fasse exception…» ironise le Dr Pascal Pujol.
Dans l’attente d’études complémentaires qui ne viendront pas
La HAS reconnaît toutefois l’intérêt « potentiel » des signatures génomiques et, même si elle considère qu’« en l’absence de données pertinentes, l’inscription au remboursement serait prématurée. », propose le maintien de son remboursement dans le cadre du RIHN2.
Pascal Pujol s’en réjouit : « Nous nous félicitons de la décision de la HAS de maintenir le remboursement de ces actes innovants mais c’est maintenant qu’il faut recommander les tests. Les études complémentaires, proposées par le groupe d’experts pour prouver la pertinence des tests génomiques, on peut les appeler de nos vœux mais c’est un peu illusoire. L’étude TAILORx a coûté 20 millions de dollars et les résultats ont été obtenus au bout de 10 ans. Il n’y aura jamais plus d’études de cette ampleur. Les experts du rapport de la HAS reconnaissent que, pour au moins 10 % des femmes en France, la décision de recourir à une chimiothérapie adjuvante est discutable. Alors on préfère tirer à pile ou face ou se référer à un élément pronostique aujourd’hui validé ? Il ne s’agit pas de faire les tests à tout le monde mais de les réserver aux femmes d’assez bon pronostic mais pour lesquelles on pense que le bénéfice de la chimio est assez faible et qu’un critère objectif supplémentaire serait nécessaire pour guider la décision. Il suffit de voir le nombre de tests génomiques demandés chaque année, [4 500 en 2017 selon la DGOS, NDLR], pour se rendre compte qu’ils répondent à un réel besoin des oncologues. »
Une révision des recommandations demandée
À la fin de son rapport, la HAS préconise une autre piste pour réduire l’hétérogénéité de la prise en charge des cancers du sein de stade précoce : « Au-delà de ce travail, la HAS considère comme indispensable que soit élaboré, de préférence par l’INCa et conjointement avec les professionnels, un document commun de recommandations nationales de bonne pratique dans le cancer du sein RO+/HER2- de stade précoce visant à réduire l’hétérogénéité des prescriptions actuelles de chimiothérapies adjuvantes entre les centres d’oncologie. » En France, contrairement à d’autres pays, les médecins ne se fondent en effet pas sur les mêmes référentiels pour prendre leurs décisions : certains se basent sur des rapports internationaux quand d’autres le font sur des documents nationaux, régionaux ou encore locaux.
Une décision louable selon Daniel Zarca mais qui ne permettrait pas d’améliorer la prise en charge des patientes : « Aujourd’hui la décision de recourir à une chimiothérapie adjuvante repose sur des critères dont la valeur prédictive n’a jamais été prouvée scientifiquement. On sait qu’un grade 3 est plus grave qu’un grade 2, qu’un envahissement ganglionnaire n’est pas un bon signe… En revanche, il n’a jamais été démontré qu’ils étaient efficaces pour prédire le bénéfice apporté par une chimiothérapie pour éviter les récidives. Les référentiels reposent donc sur des critères avec des niveaux de preuves bien plus faibles que ceux que nous avons avec les signatures génomiques. »
Emilie Groyer