Alexandra a déjà parcouru 1 800 km à vélo. Elle s’est posée quelques jours à Toulouse chez son frère qui l’a accueillie avec un « T’es pas bien ! » Le frérot a un peu de mal à comprendre pourquoi sa sœur s’inflige un tel défi. « Il me prend pour une tarée » commente-elle simplement en rigolant. La trentenaire est partie il y a 1 mois de Nantes. Dans ses 20 kilos de bagages : un sac de couchage et une tente pour dormir, un poncho en cas de pluie, de la crème solaire pour se protéger du soleil… et du tamoxifène.
Nouvelle destination : cancerland
La jeune nantaise a été touchée par un cancer du sein il y a 2 ans. Elle avait alors 31 ans. Ce périple, c’est une revanche sur la maladie. « Et sur les 10 kilos que j’ai pris à cause des traitements ! » plaisante-t-elle. Alexandra a toujours eu la bougeotte. Elle n’a d’ailleurs jamais réussi à s’établir à un endroit. Alors, elle vit encore chez papa-maman. « C’est plus pratique quand on voyage souvent. » En mars 2018, Alexandra termine son CDD. Elle a prévu de traverser l’Amérique latine, de l’Uruguay jusqu’au Mexique, avant de reprendre sa recherche d’emploi. L’annonce de sa maladie change ses projets. Nouvelle destination : cancerland, de la chimio jusqu’à l’hormono en passant par la mastectomie, la radiothérapie et la thérapie ciblée.
Alexandra n’abandonne pas pour autant ses envies d’ailleurs et négocie dur avec ses médecins pour pouvoir s’échapper de temps en temps. À Noël 2018, elle parlemente avec son oncologue pour partir à Prague avec sa mère pendant sa radiothérapie, dont elle fête la fin en partant à Marrakech avec une copine. Et en mai 2019, elle s’octroie une pause de 5 semaines dans ses injections d’herceptine pour aller voir sa sœur à Tahiti en faisant un petit crochet par New-York.
Un coup de cœur pour le vélo
« J’avais toujours l’Amérique latine dans un coin de ma tête… » Mais quand ses traitements arrivent enfin à leur terme, près d’un an et demi après le diagnostic, c’est le Covid qui pointe son nez. Adieu les grands voyages en avion à l’autre bout de la Terre. Alexandra devra se contenter de la France. Quant au moyen de transport, il lui est inspiré d’une jolie rencontre faite pendant ses traitements. « Pendant ma chimiothérapie, j’ai accueilli des touristes en couch surfing. J’en faisais quand je voyageais alors je me suis dit que j’allais continuer à voyager mais en faisant venir des voyageurs chez moi. »
« J’ai appelé ma bicyclette Jeannette en hommage à ma grand-mère Jeannine »
C’est comme ça qu’elle fait la connaissance de Felipe, un jeune brésilien qui parcourt Toulouse-Paris en 2 roues. « Ça a été le coup de cœur. Pour le monsieur et pour le vélo ! reconnaît-elle dans un éclat de rire. Il avait l’air tellement libre… Et ça avait un petit côté écolo. Moi, je me suis toujours déplacée en avion ou en bus. Le vélo, c’était aussi un moyen de rembourser ma taxe carbone ! » Le baroudeur lui parle de l’EuroVélo 6 – une vélo-route qui relie Saint Brévin à la Roumanie – qu’il a prévu de faire l’année suivante. « J’ai dit « Banco » : je termine tous mes traitements et je pars avec lui ! » Mais le beau cycliste lui fait faux bond.
Un vélo en héritage
Qu’à cela ne tienne : ce périple en vélo, elle va le faire. Toute seule. Elle a déjà investi dans un vélo haut de gamme, qu’elle a baptisé Jeannette. « En hommage à ma grand-mère Jeanine. Elle est décédée quelques mois avant l’annonce de mon cancer. J’ai acheté ma bicyclette avec son héritage. » Elle revoit juste l’objectif à la baisse : plutôt que de rejoindre l’Europe de l’Est, elle va faire un tour de France. « En fait c’est plutôt un demi-tour de France parce que je fais une boucle en partant de Nantes et en allant vers le sud.»
« Le cancer ça donne une grosse volonté de vivre plus fort »
Deux mille six cents kilomètres. Quasiment sans entrainement. Et après un cancer. « Ça faisait 15 ans que je n’étais pas remontée sur une selle. J’ai eu l’occasion d’étrenner Jeannette une fois pendant le mois de répit entre ma chimiothérapie et ma mastectomie. Je suis allée à Tour voir ma famille. Mais depuis, elle dormait dans le garage, c’est dommage. Et puis, pendant le confinement j’ai passé mon temps sur les blogs et les groupes Facebook de vélo. Je voyais des familles et des quinquagénaires traverser la France. Je me suis dit : si eux peuvent le faire, moi aussi ! Rien n’est impossible quand on est déterminé. Depuis mon cancer, j’ai une grosse volonté de vivre plus fort, plus fou. Bon, il faut dire que j’avais déjà une bonne base » s’esclaffe-t-elle.
Une famille en soutien dans les moments difficiles
Alexandra enfourche sa monture le 3 juin. Elle parcourt en moyenne 70 km par jour. Elle retrouve cette sensation de liberté qui lui avait tant manquée. « Il y a des jours où c’était dur quand même. Surtout à cause de la chaleur. Ma pire journée, ça a été quand j’ai fait Avignon-Port Saint Louis. Le GPS annonçait 90 km. J’en ai parcouru en fait 114 ! » Dans ces moments-là, elle peut compter sur sa famille. « J’ai appelé ma sœur pour lui dire : “j’en peux plus, j’ai mal aux fesses, je suis au bout de ma vie !” Et puis, quand je suis finalement arrivée à destination et que j’ai réalisé que j’étais au kilomètre 0 de la ViaRhôna, une véloroute mythique, c’est comme si j’avais gagné Pékin Express ! C’était dur mais on oublie tout après un bon plat de pâtes ! »
Ses parents aussi la suivent de près. Du moins, par écrans interposés. « Je les appelle quasi quotidiennement par visio », confie-t-elle. Comme son frère, son père a un peu de mal à comprendre sa fille. « Il se demande pourquoi je ne rentre pas dans le moule : mariage, bébé, job… Il ne dit trop rien mais je sais qu’il reprend certaines des photos que je mets sur mon blog pour en faire des tableaux. » Sa façon a lui de montrer qu’il est fière de son enfant. Quant à sa mère ? « C’est ma première fan ! Elle contacte les journaux pour que je donne des interviews… »
Et puis il y a ses neveux et nièces. « Ils sont mignons parce qu’ils me posent plein de questions : “Tata, comment tu manges ?” Eh bien, le midi, j’achète une baguette et j’ouvre une conserve de maquereau ou de sardines. » Pour le diner, elle peut en revanche compter sur l’hospitalité des habitants qui lui offrent le gîte et le couvert. « Finalement, je n’ai pas au besoin d’aller au camping. Sur Facebook, je trouvais toujours de personnes prêtes à m’accueillir chez elles. C’est beau. Ça redonne confiance en la nature humaine. »
Alexandra doit encore rouler 800 km avant de boucler sa boucle. Et elle se dit déjà que c’est trop court : « Si je n’avais pas mon rendez-vous chez le chirurgien fin juillet, je ne rentrerait pas tout de suite. » Cette consultation de préparation à la reconstruction était initialement prévue en mars. Elle a été décalée en raison du confinement. Alexandra roule donc « à plat » comme elle dit. « Je roule sans prothèse. Je m’en fous. Je suis bien plus complexée par ma cellulite ! »
Emilie Groyer