La chimiothérapie adjuvante permet de détruire d’éventuelles cellules cancéreuses qui auraient échappé à la chirurgie et ainsi, réduire le risque de récidives. Celle-ci n’est toutefois pas systématique. Si son administration s’impose lorsque la tumeur est très agressive et susceptible de donner des métastases, elle peut s’avérer inutile dans le cas d’un cancer à évolution lente et traité précocement.
Mais il existe un 3ème cas de figure, une “zone grise” dans laquelle il est difficile de déterminer si la patiente tirera un bénéfice de cette chimiothérapie. Si ce cancer du sein est hormonodépendant, les oncologues peuvent alors recourir à des tests, appelés signatures génomiques, pour déterminer s’ils peuvent, sans risque de perte de chance, épargner ce traitement à leur patiente.
Dans un récent rapport, la Haute Autorité de Santé (HAS) a redéfini les critères pour bénéficier de cet outil. Une population de patientes en a été exclue : les femmes de plus de 70 ans. Le Dr Eric-Charles Antoine, oncologue à la clinique Hartmann, commente cet avis pour nous.
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Que pensez-vous de la recommandation de la HAS d’exclure les femmes de plus de 70 ans de l’indication des signatures génomiques ?
Dr Eric-Charles Antoine : Cela m’a choqué parce qu’il s’agit d’un choix arbitraire. Il est vrai que, dans les études cliniques, les données sur cette population de patientes sont limitées. Mais on dispose des données des registres, en vie réelle, qui montrent que le bénéfice chez les femmes de plus de 70 ans est comparable à celui obtenu chez des patientes dans la tranche d’âge 50 à 70 ans. Il n’y a d’ailleurs pas de raison médicale de penser qu’au-delà de 70 ans, l’histoire naturelle de la tumeur soit totalement différente, et que les signatures génomiques ne soient soudainement plus valables. Ca ne tient pas la route.
Alors pourquoi cet avis selon vous ?
Je pense que l’avis de la HAS est basé davantage sur des notions médico-économiques, qui nous échappent, que sur un raisonnement scientifique valable.
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Dans son avis, la HAS indique pourtant que la prescription d’une chimiothérapie adjuvante « reste optionnelle, peu fréquente, au cas par cas, et avec un bénéfice marginal ou incertain”. Vous n’êtes pas d’accord avec ça ?
Il est vrai qu’il est plus difficile de faire une chimiothérapie à une personne très âgée, mais il faut se mettre d’accord sur ce qu’on entend par “âgée”. Il ne faut pas confondre l’âge civil et l’âge biologique. Une personne de plus de 70 ans peut très bien avoir un état général comparable à celui d’une personne de 60 ans et être en capacité de recevoir une chimiothérapie. C’est tout l’objet de l’oncogériatrie : déterminer, au-delà du seul critère de l’âge, si l’état d’un patient est compatible avec l’administration d’un traitement. La HAS semble ignorer les efforts faits dans ce sens.
Quant au caractère « peu fréquent », d’après les registres, on estime que 10 à 15% des patientes âgées de plus de 70 ans peuvent bénéficier d’une signature génomique. Et, parmi elles, 40% éviteront la chimiothérapie grâce aux résultats de ce test. Ce n’est vraiment pas négligeable.
La vision de la HAS est trop manichéenne selon vous ?
Ne s’en tenir qu’à l’âge civil c’est très rigide et maladroit. Si une femme de plus de 70 ans est en assez bonne condition physique pour recevoir une chimiothérapie, mais qu’on a une incertitude quant au bénéfice qu’elle pourrait en tirer – et il n’y a aucune raison pour que cela n’arrive pas -, on doit pouvoir avoir recours aux signatures génomiques. On ne doit pas s’en empêcher juste parce que cette personne a dépassé 70 ans.
Allez-vous suivre ces recommandations ?
L’avis de la HAS ne va pas m’empêcher de continuer à avoir recours aux signatures génomiques si je considère que ma patiente peut en bénéficier. Je pense que ce sera aussi le cas de mes collègues qui travaillent dans des grands centres.
En revanche, ce ne sera peut-être pas le cas dans des plus petites structures.
Pourquoi ?
Il faut savoir qu’aujourd’hui, tous les établissements ne proposent pas les signatures génomiques car leur coût, qui avoisine les 2000 euros, n’est remboursé aux hôpitaux qu’à hauteur de 50%.
Pour ceux qui les utilisent, les prescrire en dehors de recommandations de la HAS, c’est prendre le risque de ne pas être remboursé du tout. Les grands centres pourront absorber ce surcoût mais ce sera plus difficile pour les petits centres ou de taille moyenne. Ils feront donc peut-être le choix d’appliquer la restriction recommandée par la HAS et de ne plus proposer ces tests aux femmes de plus de 70 ans.
Qu’est-ce qui pourrait faire changer la position de la HAS ?
Les registres en vie réelle. Il faut donc qu’on s’organise pour faire remonter les données. Mais il faut bien garder en tête qu’il s’agit d’un traitement adjuvant, destiné à réduire les risques de récidives. Il va donc falloir attendre 5 à 10 ans avant de valider ces données. Qu’est-ce qu’on fait pendant ce temps ? Est-ce qu’on s’abstient de signatures génomiques, là où tous les autres pays les recommandent ?
Ce qui me navre c’est que ce rapport accentue encore davantage les inégalités en termes de prises en charge des patientes.