Gilet orange fluo, pantalon gris, bouclettes et casque sur la tête, Corinne Déplanque défile fièrement avec l’uniforme de la Croix Rouge : la quinquagénaire originaire du nord de la France appartient à l’Unité locale de la Croix-Rouge française de Douai. Un engagement pour porter secours aux autres « qui vient de loin ». Corinne a longtemps travaillé en tant qu’aide-comptable agricole dans des exploitations ou des usines, tout en restant marquée par des accidents de voiture vus ou vécus. Un jour, en 2010, elle franchit le pas et s’engage dans la branche secourisme.
Ressusciter l’unité locale de Douai
« Il n’y avait plus véritablement de cellule à Douai, au début on était trois, avec très peu de matériel ». A force de volonté et grâce à l’investissement de la directrice de l’IRFSS des Hauts-de-France (Institut régional de formation sanitaire et social), la petite unité locale se développe. En neuf ans, l’équipe passe de trois à vingt-cinq personnes. Et le matériel suit : une tente, un véhicule neuf. Si les bénévoles restent en moyenne deux ans, Corinne officie à Douai depuis dix ans. Respectée par ses pairs, elle assure ses postes durant des événements publics ou des festivités. Les secouristes, par binôme, restent en veille au poste de secours mobile ou font des rondes pour vérifier que les participants se portent bien. « On peut intervenir, tout de suite : nous avons les mêmes diplômes que les pompiers, précise Corinne. Avant je n’avais aucune notion, j’ai du tout apprendre ! » La secouriste en herbe découvre comment se comporter en cas d’accident, d’arrêt cardiaque, d’étouffement d’adultes ou d’enfants. Elle donne également de son temps pour la banque alimentaire, forme les nouveaux arrivants…
Secourir les autres a aussi permis à la quinquagénaire de se sauver elle-même. En 2017, Corinne apprend qu’elle souffre d’un cancer du sein. Son parcours de soin est chaotique, ponctué d’erreurs médicales, mais elle reste à son poste. « Je voulais que quelque chose reste de ma vie d’avant le cancer, confie-t-elle. Cela a été mon fil rouge, je m’y suis tenue. »
Une vie sous la menace du cancer
Ce cancer, Corinne l’a vécu comme une profonde injustice, car dès son plus jeune âge le risque lui était familier. Depuis ses 18 ans, elle vit au rythme des examens en raison d’une déformation au sein gauche. Elle est même opérée plusieurs fois, à cause de fibroadénomes trop proéminents. Dès l’âge de 27 ans, le chirurgien lui annonce qu’il serait compliqué d’avoir des enfants. « Il m’a dit que j’avais 99% de chances que les fibroadénomes deviennent cancéreux en cas de grossesse », se souvient Corinne.
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Malgré des examens annuels et une grande prudence, une erreur de diagnostic va faire basculer son quotidien. En 2017, après une mammographie inquiétante, elle passe une IRM puis une biopsie à cause de la présence d’une masse. Des jours d’angoisse pour la secouriste, dans l’attente des résultats. « Le jour J, je me rends au cabinet, le radiologue n’a pas été prévenu de notre rendez-vous : j’ai dû attendre une heure dans le couloir », se souvient Corinne. Quand il arrive enfin, sa mine est grave. Il lui annonce qu’elle a un cancer du sein. Puis quitte la pièce, laissant Corinne décontenancée. « Il est revenu tout à coup en s’écriant qu’il avait confondu mon dossier et celui d’une autre patiente avec un nom similaire et que je n’avais rien du tout ! » Un ascenseur émotionnel incroyable pour Corinne qui passe le mois de juin sur un petit nuage. « J’allais au poste de secours tous les jours : j’avais la sensation d’avoir échappé à la mort ! »
Mais quelques mois plus tard, Corinne est freinée dans son hyperactivité par une gêne et une déformation douloureuse à l’intérieur de son sein. Elle prend rendez-vous pour une nouvelle échographie. Son radiologue l’accueille avec un commentaire grinçant. « Il m’a demandé pourquoi je revenais alors que cela faisait moins d’un an qu’il m’avait vue », se souvient la quinquagénaire, agacée. Au moment de regarder les radios, le médecin a un mouvement de surprise. Il y a une tumeur, et cette fois, la biopsie se révèle positive. Corinne est opérée huit jours plus tard. Elle subit une mastectomie partielle du sein gauche. Quinze jours plus tard, on lui retire les ganglions sentinelles.
Chimiothérapie et poste de secours
En mai, elle commence sa chimiothérapie : EC100 toutes les trois semaines, puis du Taxol couplé avec de l’Herceptin en thérapie ciblée. Un protocole de neuf semaines pour le Taxol et de 14 doses pour l’Herceptin. Durant les traitements elle ressent de fortes douleurs et beaucoup de fatigue. Effet secondaire curieux : au contraire des nausées, elle a beaucoup d’appétit. La nourriture devient même une obsession. « Quand je sortais du centre de chimio, si sur la route je voyais des poules gambadaient, j’avais tout de suite envie de manger un poulet rôti ! », rit Corinne.
Malgré les opérations et les soins, Corinne continue son bénévolat pour la Croix-Rouge. « J’ai juste levé le pied, explique-t-elle. Au lieu de vingt postes par an, l’année de la chimiothérapie j’en ai fait six ». Elle assure même deux à trois sessions de formation cette année-là. Casquette sur la tête pour protéger son crâne, lunette de soleil sur les yeux ou cache-nez pour se protéger du froid, Corinne répond présente pour s’occuper des malaises, des bobos et des personnes trop alcoolisées dans les postes de secours mobiles. « Mes jeunes ont été très sympas et bienveillants, sourit Corinne. Ils m’aidaient à porter le matériel ».
Erreur médicale sur 5 tumeurs !
Maintenir le lien avec son unité locale est une bouffée d’oxygène pour Corinne qui fait face à de profondes inquiétudes. « Pendant les traitements, j’ai vu deux fois une psychologue du centre. Je lui ai dit plusieurs fois que je sentais quelque chose qui n’était pas normal, que ça n’allait pas », se souvient Corinne. En juin 2018, face à ses demandes insistantes, l’oncologue de la quinquagénaire finit par lui prescrire une échographie. « Quand je suis arrivée, le radiologue m’a demandé si j’allais passer une échographie tous les deux jours », s’agace Corinne. Au moment des résultats, le médecin est cependant sans voix. « Vous êtes sûre qu’on vous a opérée de la bonne tumeur ? J’en vois trois autres. »
Le monde s’écroule autour de Corinne. Une nouvelle IRM est réalisée en urgence. Le verdict tombe : trois tumeurs à gauche, une nouvelle à droite. Abasourdie, son oncologue demande à voir sa première IRM, réalisée en 2017. Les cinq tumeurs étaient déjà là. Son radiologue ne les avait pas vues.
Le 27 août, elle subit une mastectomie bilatérale avec curage axial des ganglions. Son traitement d’Herceptin est suspendu pour un mois, son protocole de chimiothérapie se poursuit. Après l’envoi au laboratoire des prélèvements cancéreux, les médecins découvrent que la chimiothérapie a permis de contenir les trois tumeurs triples positives. Ils se rendent également compte que la quatrième tumeur, dans l’autre sein, était un cancer triple négatif de grade 1. « Je me sentais en sécurité alors que j’avais cinq tumeurs, éclate Corinne. Toute ma vie j’ai été suivie, j’ai fait tous les examens régulièrement pour éviter ça et finalement c’est pire que si je n’avais rien fait ! » Derrière sa colère un constat : « Je me suis sauvée toute seule, car j’ai tapé du poing sur la table pour me faire entendre ! On m’a engueulée avant tous les examens, pour au final m’annoncer un problème ».
« C’est la patiente qui soigne les soignants ! »
Il y a un an, Corinne commence l’hormonothérapie. Après un essai peu concluant de Tamoxifène, son oncologue lui prescrit du Femara. « Je me sentais mieux sous chimiothérapie », confie Corinne. Les effets secondaires sont virulents. Elle prend huit kilogrammes en sept mois. « C’est assez handicapant pour mes activités », souligne la secouriste. Elle souffre également d’aphasie : la perte de la capacité à trouver ses mots. « Pendant la démonstration d’un défibrillateur dans une commune voisine de Douai, j’ai eu un trou noir : impossible de retrouver mes mots, évoque Corinne. Je suis très bavarde mais parfois à l’extérieur, quand il y a du monde, je cherche mes mots. » Pourtant, elle ne lâche pas la Croix-Rouge.
Et se paye même le luxe de sauver des infirmières avant des opérations. Alors qu’elle s’apprête à subir une opération des ovaires, par précaution, en mai dernier, une infirmière se présente pour la préparer à l’intervention accompagnée de trois élèves. Pendant l’auscultation, une des élèves tombe raide sur le sol. N’écoutant que ses réflexes, Corinne bondit de son lit et tente d’aider la jeune infirmière à se relever. Cette dernière finit par reprendre connaissance mais reste raide et désorientée. « J’ai voulu l’allonger sur mon lit, mais l’infirmière titulaire a refusé arguant que c’était moi la malade », se souvient Corinne. Ni une ni deux, Corinne et l’infirmière titulaire soutiennent l’élève infirmière afin de rejoindre une chambre libre voisine. « Vous auriez vu la tête de mes parents quand je suis sortie, soutenant l’infirmière, en tenue de bloc », rit la secouriste. Une fois dans le couloir, l’élève fait de nouveau un malaise. Corinne pratique les gestes de premiers secours dans le couloir. Une anecdote qui fait le tour de l’hôpital. Au bloc opératoire, les équipes plaisantent. « C’est la patiente qui soigne les soignants ! »
Médaille pour services rendus
Aujourd’hui, Corinne reste sous hormonothérapie et sous surveillance. Elle apprend à vivre avec son nouveau corps. « Le changement du physique c’est terrible, je ne m’y fais pas encore ». Plus encore, elle se rend compte de son épopée à travers la jungle médicale. « La docteure de la gestion des douleurs m’a clairement dit que ce que j’avais traversé était inhumain ». La passion du secourisme et l’entourage de son unité lui a permis de traverser cette épreuve. Et son engagement n’a pas faibli.
Dernièrement, elle a même reçu les honneurs. La médaille de bronze, accessible à partir de six ans de services rendus à la Croix-Rouge. « On m’a appelée un jour pour demander si j’étais disponible le lundi suivant, se souvient Corinne avec émotion. Puis on m’a annoncé que j’allais recevoir une médaille pour mon engagement. J’ai pleuré comme une gamine ». Une belle récompense pour son engagement dans les premiers secours mais aussi pour la banque alimentaire, chaque année. Elle continue de faire « ses postes », même si de son propre aveu, elle fatigue un peu plus vite qu’avant. Entourée par ses proches, ses amis secouristes et du club de gym douce qu’elle fréquente depuis des années, Corinne savoure chaque moment. « Je voudrais transmettre un message de prévention, les gens disent que c’est mon deuxième prénom : faites-vous dépister, demandez plusieurs avis si vous avez un doute et à n’importe quel âge ! », conclut la secouriste.
Mathilde Durand