Dr Clough : Légalement, votre chirurgien peut refuser l’opération s’il considère qu’elle n’est pas justifiée d’un point de vue médical. Ce qui semble être votre cas puisque vous n’avez pas de prédisposition génétique, d’antécédents familiaux ou de facteurs de risques comme la pré-existence de lésions type hyperplasie atypique1. Mais ces dernières années, même si je ne dispose pas de chiffres, j’ai constaté dans ma pratique que de plus en plus de femmes dans votre cas demandent à ce qu’on leur retire les 2 seins. Les chirurgiens sont donc de plus en plus ouverts à la discussion.
Le plus souvent, cette demande est formulée au moment de l’annonce de la maladie. Et elle est guidée par la peur. La peur que le cancer ne revienne. Or, ce risque est souvent surévalué par les patientes. Quand on me fait ce type de demande, je prends donc le temps de leur expliquer que le fait de retirer leur sein controlatéral [sein non touché par la maladie, NDLR] n’a pas d’incidence sur le risque de récidive puisque la récidive c’est le retour du même cancer dans le même sein. Retirer le sein controlatéral ne diminue que le risque de faire un autre cancer. Ce risque est connu : il est de 5% dans les 10 ans qui suivent le premier cancer. Ce chiffre peut paraître élevé mais le risque zéro n’existe pas. Il faut savoir que chez les femmes qui n’ont jamais eu de cancer, le risque de développer un cancer du sein est de 12% tout au long de leur vie.
“Le risque que le cancer revienne est surévalué par les patientes”
Je leur rappelle aussi qu’une ablation mammaire n’est pas une opération anodine. Elles perdront toute sensibilité au niveau de leurs seins. Elles peuvent également développer des douleurs neuropathiques, parfois irréversibles. Pour celles qui feront le choix d’une reconstruction mammaire, les options seront limitées. Elles ne pourront souvent pas bénéficier d’une reconstruction par lambeaux car on ne pourra pas prélever du muscle des 2 côtés du dos. Les prothèses mammaires seront quasiment leur seule option. Et elles ne donnent pas toujours de bons résultats, notamment pour les fortes poitrines. Par ailleurs, la reconstruction mammaire par prothèse présente des risques de complications comme la coque ou le rejet de l’implant. Le résultat esthétique n’est pas aussi moins bon que pour une augmentation mammaire car, lors d’une reconstruction post-mastectomie, la prothèse n’est pas recouverte par de la glande. Même si on procède à une mastectomie et une reconstruction sur les 2 seins, il ne faut non plus espérer qu’ils soient symétriques et identiques : l’un aura subi les effets des rayons, l’autre non ; l’un aura peut-être conservé son mamelon, l’autre non…
“Une mastectomie n’est pas une opération anodine”
Dans la grande majorité des cas, ces arguments suffisent à faire changer d’avis la patiente. Si ce n’est pas le cas, en général je reporte la discussion après la mastectomie du sein touché. Cela lui laisse le temps de la réflexion. La patiente aura aussi l’expérience de ce qu’est cette opération. Si malgré tout, la patiente maintient sa demande, nous faisons appel à un psychologue. S’il considère que sa décision est mûrement réfléchie, on envisagera l’ablation du second sein.
Propose recueillis par Emilie Groyer
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augmentation du nombre de cellules qui tapissent les canaux ou les lobules du sein aux caractéristiques anormales.