“Redonner de la dignité aux patients” : c’est ce qui anime Julien Montenero. Depuis plus de 10 ans, cet épithésiste s’attache à reconstruire le visage des personnes que le cancer a défiguré. Aujourd’hui, il se lance dans un nouveau projet : proposer aux femmes ayant subi une mastectomie des prothèses mammaires externes à l’image de leur sein amputé.
Du visage au sein
L’idée lui trotte dans la tête depuis des années. “La première fois que j’ai vu une prothèse mammaire externe, ça m’a affecté. Je trouvais qu’il n’y avait aucune dignité dans ce genre de dispositif qui ne ressemble en rien à un sein. Je savais qu’on pouvait vraiment faire mieux.” Pourquoi ne pas s’inspirer des techniques utilisées dans la conception des prothèses faciales pour fabriquer des prothèses mammaires externes plus réalistes ? La pandémie et le confinement qui l’accompagne lui donnent l’occasion de tester et de concrétiser sa vision.
Des prothèses sur-mesure
Julien Montenero a toutes les nouvelles technologies à sa disposition dans son atelier parisien (Atelier J’m) où il développe des prothèses faciales et dentaires sur-mesure. “Aujourd’hui, les outils numériques se sont démocratisés. Il faut en profiter et les utiliser au bénéfice du patient.” Quitte à les détourner de leur application originelle. Pour réaliser un moulage fidèle du sein avant mastectomie, il emprunte à l’archéologie. “J’ai découvert dans un documentaire sur l’Egypte que les scientifiques utilisaient des scanners surfaciques pour scanner les momies et obtenir leur volume en 3D. Quand j’ai commencé à l’utiliser pour scanner le visage de mes patients, on m’a pris pour un fou. Maintenant, je l’utilise pour chacune de mes ré-habilitations. C’est beaucoup moins traumatisant qu’un moulage classique qui prend environ 10 minutes. Avec cet outil, on obtient une image 3D en 30 secondes.”
Reproduire la couleur et le toucher
Pour atteindre son ambition de créer une prothèse mammaire identique au sein d’origine, l’épithésiste ne se contente pas de reproduire son volume. Il veut également restituer son toucher. Pour y parvenir, c’est aux physiciens qu’il demande cette fois conseil. “Je travaille avec eux sur la densité. On va pouvoir transposer la densité des différentes structures du sein – le mamelon, la glande… – dans la prothèse grâce à l’utilisation de divers silicones et en jouant avec leur texture. Ça n’a encore jamais été fait.”
Dernière touche pour renforcer l’effet trompe-l’oeil : la couleur. Un élément essentiel pourtant mis de côté par les fabricants de prothèses classiques. “Aussi incroyable que cela puisse paraître, actuellement il n’existe que des prothèses pour les peaux blanches” rappelle Julien Montenero. Pour respecter toutes les nuances de carnation de ses patientes, il se basera sur la spectrophotomètrie. “Elle permet d’obtenir des données sur la colorimétrie réelle de la peau de la patiente. On peut ensuite repigmenter certaines zones, comme l’aréole, pour encore plus de réalisme.”
Une fois toutes ces données collectées, la fabrication est réalisée par imprimante 3D.
Une aide pour s’accepter
Même si ces prothèses sont un exploit technologique, le premier moteur de Julien Montenero reste l’humain. “J’utilise les dernières technologies au service de mes patients. Ce qui m’intéresse ce n’est pas de faire des prothèses pour faire des prothèses. Je travaille avant tout pour les gens. Pour les aider à se reconstruire tant physiquement que psychologiquement. Les prothèses actuelles ne font pas oublier le cancer. Proposer du sur-mesure plutôt que du standard, quelque chose qui vous ressemble, qui vous correspond, cela vous aide à mieux vous accepter après l’ablation.”
Contrairement aux prothèses externes classiques qui imposent l’achat de soutiens-gorges adaptés, munis d’une poche – souvent onéreux et peu glamour – les prothèses 3D, parce qu’elles épousent parfaitement le buste de la patiente, se posent à même la peau, à l’aide d’un adhésif. “Les femmes peuvent donc continuer de porter leur lingerie habituelle. Elles peuvent aussi, pourquoi pas, choisir de garder la prothèse dans l’intimité.” Un pas de plus vers une vie “normale”.
Une innovation qui a un coût
Ce travail d’orfèvre a évidemment un prix. Selon les estimations, le coût d’une prothèse temporaire (voir encadré) devrait être au minimum 4 fois supérieur aux 240 euros actuellement pris en charge par l’assurance maladie. Leur concepteur est conscient que le reste à charge peut être un frein pour bon nombre de femmes. Il reste toutefois confiant. “L’arrivée de ces prothèses sur-mesure peut changer les choses. Ce sont les nouvelles situations qui font bouger les lignes. On peut espérer que la sécurité sociale révise son plafond maintenant que de meilleures prothèses arrivent sur le marché. Ce n’est pas parce qu’une prothèse mammaire est moins visible qu’elle ne doit pas mériter d’être bien prise en charge.”
Des centres dédiés à la reconstruction externe
C’est à Nice, au sein de l’incubateur Eurobiomed, que ces prothèses high-tech terminent leur phase de développement. À terme, Julien Montenero souhaite implanter des centres dans toutes les grandes villes de France. “Dans ces centres, nous ferons les prises de mesure mais pas que. J’aimerais créer de vrais espaces dédiés à la reconstruction du sein externe avec notamment des psychologues parce qu’on ne parle jamais de l’après cancer. C’est terrible !” Chaque année, environ 12 000 femmes subissent une mastectomie. Seules 30% d’entre elles auront recours à une reconstruction mammaire. “Il est temps de leur apporter un accompagnement digne de ce nom.”
Des prothèses temporaires et définitives
L’atelier J’m Digital proposera 2 types de prothèses mammaires externes :
- Des prothèses temporaires que les femmes pourront porter 2 mois après la mastectomie. “Pour ces prothèses, 4 couleurs et une densité seront disponibles. Cela permet de réduire leur coût puisqu’elles sont amenées à être remplacées” explique Julien Montenero.
- Des prothèses définitives à partir du 14ème mois, quand les tissus sont complètement cicatrisés. Ces prothèses sont cette fois totalement sur-mesure et reproduisent le volume, la couleur et la densité du sein d’origine.
Emilie Groyer