Je suis mariée depuis trente-deux ans et, avec mon mari, on a toujours beaucoup voyagé. Je crois avoir vu tous les pays d’Europe, bien que j’aie une prédilection pour l’Italie, où je retourne presque toutes les deux semaines. Mais mon rêve était d’aller au bout du monde, en Patagonie… Tous les médecins disaient que voyager si loin, avec des métastases, relevait de l’impossible. Eh bien, j’en viens ! Je suis partie entre deux injections et j’ai passé trois semaines au Chili et en Argentine. C’était grandiose ! La force de la nature dans toute sa splendeur. Du coup, je peux vous dire que je me sens hyperforte.
Bien sûr, les vingt-quatre heures de trajet jusqu’en Patagonie ont été douloureuses, mais les endorphines étaient tellement fortes que j’ai tout supporté. Après l’avion et quatorze heures de bus et de piste, nous avons pris le bateau jusqu’à Ushuaia et, pour ne pas être malade dans les creux de 6 mètres, j’ai pratiqué l’autohypnose. Résultat, j’ai été la seule à ne pas avoir le mal de mer !
Vingt ans avec le cancer
Il faut dire que je me connais bien. Cela fait presque vingt ans maintenant que je vis avec le cancer. Je ne suis pas malade, j’ai un cancer – mon deuxième, pour être précise –, c’est différent. Le premier a été diagnostiqué à quatre jours de mes 40 ans, après une mammographie effectuée par acquit de conscience, parce que ma sœur avait été atteinte. Je connaissais les facteurs de risque parce que je suis infirmière, spécialisée en oncologie, et je n’en présentais aucun : j’étais sportive, je ne fumais pas…
Pourtant, la mammographie a soulevé une suspicion de cellules cancéreuses. J’ai de petits seins, alors on ne voit pas facilement. Mais la suspicion a été confirmée par la biopsie. À l’annonce du diagnostic, je me suis dit que ce n’était pas grand-chose. Jamais je n’ai pensé que ça pourrait être grave… Je me suis fait opérer à l’institut Curie, là même où j’avais suivi mes études quelques années auparavant… Le chirurgien a prescrit une ablation du sein, sans autre traitement. Ni chimiothérapie, ni traitement hormonal, alors que mon cancer était hormonodépendant. C’était sans doute une erreur, mais je n’en veux pas à mon oncologue… Je lui ai entièrement fait confiance.
Je suis sortie de l’hôpital contre l’avis médical pour reprendre mon travail chez les patients que je soignais à domicile parce que je n’avais pas trouvé de remplaçante et que je ne voulais pas les abandonner. En fait, cela s’est avéré positif pour moi aussi. Je n’étais plus centrée sur moi. J’ai vu que je pouvais rebooster les autres, transmettre ma force.
Pas de limites
Deux ans plus tard, sur l’insistance de mon chirurgien, j’ai fait une reconstruction mammaire. Moi, je me sentais bien avec ma prothèse externe. Ça ne me gênait pas. Mais aujourd’hui je pense que c’était une bonne idée. J’ai vécu une vie presque normale, remis des décolletés… Je continuais juste mes visites annuelles à Curie. Et, en 2009, catastrophe : mes marqueurs étaient au plafond. Scintigraphie, IRM… j’ai suivi une batterie d’examens. Poumon droit, plèvre, cage thoracique, fémur, bassin, foie… Partout, j’avais des métastases. Ç’a été un coup de massue. J’avais 50 ans, 3 enfants. Vu le nombre de patients que j’ai accompagnés, je savais qu’avec autant de métastases on a peu de chances. Pourtant, comme dix ans plus tôt, j’ai fait passer le travail avant moi. J’ai cherché une remplaçante avant d’entamer les traitements. Costauds. Neuf doses très fortes de Taxotere, qui m’ont mise dans un état lamentable. Mon oncologue, à l’écoute, a adapté le traitement. Ensuite, je suis passée à l’hormonothérapie, qui n’a pas marché. J’ai perdu deux ans, et les métastases sont revenues. Il a fallu recommencer avec d’autres molécules, qui ne se sont pas montrées plus efficaces… J’ai encore perdu un an. J’avais les effets secondaires, et aucun des bénéfices. Alors j’ai secoué mon oncologue. Je lui ai demandé pour combien de temps j’en avais encore. Verdict : quatre ou cinq ans, et ça faisait déjà quatre ans… J’ai donc changé de vie. Au revoir Paris, bonjour le Sud, la mer, le soleil. Je voulais me sauver, dans tous les sens du terme.
J’ai eu de la chance : mon mari, qui est aussi mon meilleur ami, a pu me suivre. Là-bas, une fois installée, j’ai changé d’oncologue, de structure. Et j’ai essayé une hormonothérapie par injection, le Faslodex. J’en fais deux tous les vingt-huit jours. J’y croyais tellement que ça a marché ! En général, cela fonctionne trois ou quatre ans. Pour moi, ça fait six ! Et je me dis que le jour où ça ne fonctionnera plus, il y aura autre chose ! Ça évolue tout le temps…
« J’ai acquis une envie de partager, de montrer que tout est possible »
J’ai aussi fondé une association avec quatre copines, elles aussi atteintes de cancer du sein, parce que je ne me voyais pas passer ma vie à attendre. Son nom : Sein Serment Solidaire. Aider les autres, transmettre, ça nous donne une fougue incroyable.
Sans le cancer, je ne suis pas sûre que je me serais fixé des buts aussi fous. Mais il a changé tout un pan de ma vie et, aujourd’hui, je sais qu’il ne faut pas se mettre de limites. J’ai acquis une ouverture aux autres plus importante, une envie de partager, de montrer que tout est possible. J’ai toujours été optimiste, mais je le suis plus encore. Je prends toujours les choses du bon côté. Par exemple, pendant les chimios, j’écoutais de la musique et je me disais qu’on faisait entrer quelque chose de positif dans mon corps.
Au fond, c’est extraordinaire, la chance qu’on a maintenant. Il y a vingt ans, on ne vivait pas si longtemps avec une maladie invalidante… Mon oncologue de Curie est un peu le deuxième homme de ma vie. Il prend sa retraite en avril et on fêtera ça ensemble ! Quant à moi, j’ai eu 60 ans en mars et, comme je suis passionnée par les volcans, je m’offrirais bien un voyage au Japon pour l’occasion ! Il me reste tant de choses, et de pays, à découvrir…
Sophie Massieu