Une femme sur 6 touchée par un cancer du sein arrête l’hormonothérapie après seulement un an. C’est ce qu’avait montré l’année dernière une étude menée par le Dr Pistilli d’après des dosages sanguins. Selon d’autres études, basées cette fois sur ce que déclarent les patientes, ce chiffre grimperait à 50 % dès la 3ème année. Un taux certainement sous-estimé puisque, toujours selon l’étude du Dr Pistilli, la moitié des femmes sous hormonothérapie n’osent pas avouer à leur médecin qu’elles ont abandonné leur traitement.
Ce constat alarme le Dr Maxime Annereau, pharmacien à Gustave Roussy. Et pour cause : « Les patientes inobservantes voient leur risque multiplié par 3 par rapport aux patientes qui la prennent correctement » rappelle-t-il. Un risque que ces femmes sont pourtant prêtes à prendre en raison des effets indésirables de ce traitement, prescrit pour 5 à 10 ans : douleurs musculaires et ostéoarticulaires, fatigue, bouffées de chaleur…
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Des médicaments contre les effets indésirables mal prescrits
« Il existe des médicaments contre les effets indésirables qui fonctionnent bien mais ils ne sont pas forcément prescrits de façon optimale » convient le pharmacien. Et les raisons de cette mauvaise prise en charge sont diverses selon lui : « Les femmes sous hormonothérapie ont souvent du mal à avoir accès à leur oncologue car elles ont terminé leur parcours de soin. Elles sont donc suivies en ville par des médecins généralistes qui ignorent que certains médicaments [des anti-dépresseurs, NDLR] peuvent être utilisés en dehors de leur utilisation première pour soulager ces troubles. Et quand elles revoient finalement leur oncologue, elles ne leur font pas toujours part de leurs problèmes. Ou alors trop tardivement. »
Un médicament 3 en 1
Pour palier ce problème, la solution serait de proposer aux femmes, dès le début de leur prise en charge, un traitement combiné. « Nous travaillons sur un comprimé qui comprent à la fois l’hormonothérapie et des soins de support médicamenteux contre les douleurs ostéo-articulaires et les bouffées de chaleur » explique le Dr Annereau.
Un médicament 3 en 1 qui présente un double intérêt : agir avant que les effets indésirables ne s’installent durablement et simplifier la prise des médicaments. « Le fait de devoir prendre plusieurs comprimés fait partie des raisons pour lesquelles les femmes finissent par abandonner leur traitement. Selon ce qui leur est prescrit en ville, les femmes peuvent prendre jusqu’à 2 ou 3 médicaments de soin de support en plus de l’hormonothérapie. Là, elles n’en auront qu’un seul. »
L’impression 3D, une solution plus flexible
Pour y parvenir, le centre de lutte contre le cancer mise sur l’impression 3D et sur la collaboration de FabRx, une start-up issue de la faculté de pharmacie de Londres. Pourquoi l’impression 3D plutôt qu’une production industrielle classique ? « Déjà, parce qu’on gagne du temps et de l’argent. Normalement, on aurait mis 3 ans pour développer un tel médicament. Avec l’impression 3D, on a mis 9 mois » réplique le pharmacien.
L’autre raison est pharmacologique. « Les médicaments comprennent des excipients qui vont jouer sur la libération du principe actif dans l’organisme, explique le Dr Annereau. Or les 3 médicaments que nous allons combiner – le tamoxifène, la venlafaxine et la duloxetine – ont des excipients et donc des profils de libération différents. Le tamoxifène est un médicament à libération immédiate : il est disponible dans le sang dès que vous le prenez. En revanche, la venlafaxine est un médicament à libération modifiée qui se libère toute la journée. Et la duloxetine est gastrorésistant : il se libèrera seulement lorsqu’il aura passé l’estomac et se retrouvera dans l’intestin. » Les techniques classiques ne permettent pas d’associer dans un même comprimé des médicaments ayant des caractéristiques différentes en termes de libération. L’impression 3D, si.
Concrètement, l’imprimante 3D sera munie de 3 cartouches différentes comprenant chacune un médicament avec son excipient propre. « C’est un peu comme nos imprimantes à jet d’encre avec leurs cartouches jaune, cyan et magenta. Mais au lieu d’avoir des couches de pigments, on va avoir des couches d’excipients qui se dégraderont différemment pour libérer le principe actif au bon moment. »
Un médicament innovant réservé aux femmes à haut risque d’inobservance
Une demi-douzaine de centres, répartis sur toute la France, se sont déjà montrés désireux d’intégrer l’étude qui évaluera ce comprimé. « Nous sommes en train de valider la stabilité du médicament. Une fois que cela sera fait, nous déposerons une demande d’essai clinique. Notre objectif est de traiter la première femme en avril 2022. »
Trois cent femmes seront incluses dans l’étude. Ce traitement novateur ne pourra toutefois pas être proposé à toutes les femmes démarrant une hormonothérapie. « Légalement, nous n’avons pas le droit de réaliser une préparation pharmaceutique s’il existe déjà un médicament industriel commercialisé, précise le Dr Annereau. Il existe une exception lorsqu’on se retrouve dans une impasse qui entraîne un risque pour le patient ou qu’il y a une problématique de non-traitement. Ce qui est le cas des femmes qui abandonnent l’hormonothérapie. »
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Le comprimé imprimé sera donc réservé aux femmes présentant de haut risques d’inobservance ou de développer des effets indésirables de manière précoce. Pour identifier cette population particulière, les cliniciens pourront se reposer sur une étude que conduit actuellement le Dr Pistilli pour déterminer les facteurs socio-démographiques et cliniques prédicteurs d’une faible adhésion à l’hormonothérapie.
Vers des médicaments sur-mesure
S’agissant d’un essai clinique, tous les comprimés produits dans ce cadre comprendront la même dose des 3 médicaments afin que les résultats soient comparables. « En revanche, par la suite, l’impression 3D permettra d’ajuster finement la dose. Ce qui sera d’autant plus appréciable pour l’hormonothérapie dont la marge thérapeutique est étroite1. Par exemple, pour une femme qui est surdosée avec 20 mg de tamoxifène, on pourra lui produire un comprimé à 18 mg. On réduira ainsi les effets indésirables tout en conservant une dose plasmatique optimale. Il suffira juste d’imprimer une couche en moins » s’enthousiasme le Dr Annereau.
Ce médicament 3 en 1 n’est pas le premier médicament à être produit par impression 3D. Aux États-Unis, un anti-épileptique a également bénéficié de cette technologie. « Dans ce cas, l’impression 3D a permis d’obtenir un médicament que l’on peut administrer à un patient en crise : en créant une structure extrêmement poreuse qui se disperse très rapidement dans un faible volume de salive » précise le Dr Annereau.
L’usage de l’imprimante 3D dans le domaine du médicament reste cependant encore confidentiel. L’étude menée par le Dr Annereau, en raison du nombre de patientes recrutées, constitue une première mondiale. Mais le pharmacien en est persuadée, il ne s’agit que d’un début : « Ça va révolutionner la prise en charge des patients souffrant de pathologies qui nécessitent des traitements au long cours. D’ici 10 à 15 ans, les pharmacies de ville seront en mesure d’imprimer tous vos médicaments dans un seul comprimé sur-mesure. »
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Emilie Groyer
1. Plus la marge thérapeutique d’un médicament est étroite, plus la différence entre la dose thérapeutique et la dose toxique est faible.