Traiter mieux voire moins avec la même efficacité. C’est ce vers quoi tend l’oncologie de demain. Pour y parvenir, les médecins peuvent s’appuyer sur un allié tout droit sorti d’un roman de science fiction : l’intelligence artificielle (IA). C’est en tout cas le parti pris de l’Institut Curie qui a annoncé mardi, en prévision d’Octobre Rose, faire de la désescalade thérapeutique sa priorité dans le cancer du sein “quand cela est possible, pour une meilleure qualité de vie pendant et après la maladie”.
Une désescalade qui concerne une minorité de patientes
“Quand cela est possible.” La précision est importante. Lors de la conférence de presse donnée par l’institut, le Dr Cottu a d’ailleurs tenu d’emblée à baliser le sujet. “La notion de désescalade est une notion fragile. Il convient en préambule de définir de quoi on parle. Désescalader c’est traiter avec des doses plus faibles, sur des temps moins longs ou en remplaçant les traitements classiques par des traitements moins délétères pour les patients” a défini le chef adjoint du département d’oncologie médicale, avant d’ajouter que cela ne concerne à ce jour qu’une minorité de patientes touchées par un cancer du sein. Principalement des cancers localisés.
Des avancées dans les cancers du sein localisé et HER2
La désescalade thérapeutique reste toutefois un enjeu considérable selon le docteur qui a donné quelques exemples d’avancées à venir. Le curage axillaire, qui engendre tant de souffrances chez les femmes opérées, pourrait ainsi être abandonné dans la majorité des cancers localisés. “Il ne reste plus que des indications très marginales de curage. Même lorsqu’un ganglion sentinelle est atteint, on peut parfois s’en passer, a précisé le docteur. C’est un progrès majeur.”
Les femmes touchées par un cancer HER2+, dont le pronostic s’est amélioré depuis l’arrivée d’anticorps (comme l’herceptine ou le pertuzumab) pour compléter la chimiothérapie, pourraient également voir leurs traitements ajustés. “On a identifié des situations où on peut faire des chimiothérapies moins longues et moins dosées tout en maintenant le traitement classique par anticorps. Des études présentées au congrès de l’ESMO montrent aussi qu’on peut garder le même protocole de chimiothérapie mais réduire la durée du traitement par anticorps” explique le Dr Cottu.
En revanche, pour les cancers triple négatif, l’heure n’est pas à la désescalade. Bien au contraire. Ce cancer particulièrement agressif fait l’objet de développements de nouveaux traitements visant à “combler les trous dans la raquette” des oncologues.
Des Pet-Scan plus spécifiques
Le cadre étant posé, l’Institut Curie a présenté 2 outils innovants qui participeront à la désescalade en aidant au choix de traitements mieux adaptés, moins contraignants pour les femmes atteintes d’un cancer du sein.
Le premier concerne l’imagerie. Pour déterminer si un cancer s’est répandu dans le corps d’un patient, les médecins se reposent sur le Pet-Scan. Cet outil révèle la présence de cellules tumorales grâce à l’utilisation d’un traceur radioactif. Le traceur principalement utilisé actuellement est un glucose marqué. Mais celui-ci présente un inconvénient majeur : il n’est pas spécifique des tumeurs. Il se fixe dans n’importe quelle cellule ou organe gourmand en énergie. Comme le cerveau par exemple. Ce qui brouille le message. “C’est comme si je vous demandais de chercher un arbre. Il vous sera beaucoup plus difficile de le trouver au milieu d’une forêt qu’au milieu d’une clairière” explique Irène Buvat, cheffe du laboratoire d’imagerie translationnelle en oncologie.
Curie a donc décidé de tester un nouveau traceur plus spécifique et plus informatif : le FAPI. Ce marqueur radioactif est capable de se fixer aux FAP (protéines activatrices de fibroblastes). “Les FAP sont intéressantes pour 3 raisons. La première, c’est que, contrairement au glucose, elles ne sont exprimées que par les cellules tumorales. Pas par les cellules saines. Ensuite, la présence de FAPs indique que la tumeur a plus de risque de métastaser. Enfin, les FAPs sont associées à un risque de résistance à l’immunothérapie” détaille Irène Buvat. En clair, ce nouveau Pet-Scan donnera des informations non seulement sur la présence de cellules cancéreuses, mais également sur la réponse à l’immunothérapie et sur l’évolution de la maladie. Beaucoup de données donc.
“Le cerveau humain n’est pas en mesure de combiner toutes ces informations. C’est pour cela qu’on aura recours à l’IA. Des algorithmes vont analyser toutes les variables, les pondérer et nous aider à choisir le traitement le plus adapté.” Le FAPI n’ayant pas encore été testé dans de grandes cohortes dans le cadre du cancer du sein, l’Institut Curie évaluera son efficacité dans le cadre d’un essai clinique dès l’année prochaine.
Des biopsies digitalisées
La seconde innovation dont l’Institut Curie se dote bénéficiera cette fois à l’analyse des biopsies. Une étape cruciale pour établir un diagnostic. “Nous allons passer des coupes tissulaires physiques que l’on observe sous microscope à des coupes numérisées que l’on observe sur l’écran d’un ordinateur, s’enthousiasme le Dr Anne-Vincent Salomon, cheffe du service de pathologie. Cela va révolutionner nos pratiques.”
Les lames de tissus numérisées pourront dorénavant être analysées par « l’oeil augmenté » d’une IA : “Des algorithmes, entraînés sur plus de 18 000 lames, vont reconnaître des lésions tissulaires. Grâce à des indicateurs colorimétriques, ils vont attirer notre attention sur les échantillons les plus intéressants.” L’IA n’a pas vocation à remplacer le spécialiste. Mais pallie aux éventuelles défaillances humaines. “Les humains peuvent faire des erreurs et être fatigués. Pas l’algorithme. C’est un peu comme un pilote d’avion qui fait sa check-list avant le décollage. Eh bien, l’algorithme va nous aider à vérifier qu’on a rien oublié” explique simplement la pathologiste. Une analyse plus fine, plus reproductible qui aidera à mieux caractériser les tumeurs et, encore une fois, à décider du traitement le plus approprié.
Si ce nouvel outil nécessitera d’être pris en main et validé par les collègues du Dr Salomon avant d’être utilisé en routine, la pathologiste fonde d’ores et déjà de grands espoirs dans cette innovation. “Pour le moment, on demande à l’IA de ne regarder que les marqueurs histologiques classiques : les récepteurs hormonaux, le marqueur HER2, et un marqueur de prolifération. Mais à termes, elle permettra certainement d’identifier d’autres marqueurs ou d’autres structures cellulaires dont la présence donnera des informations supplémentaires sur la tumeur.”
Emilie Groyer