Une femme sur 5 est diagnostiquée pour un cancer du sein avant 50 ans. Une femme sur 5 passe donc au travers des mailles du dépistage organisé qui ne repose que sur ce critère de l’âge. L’étude européenne MyPebs évalue actuellement un programme personnalisé qui prendra en compte d’autres critères pour resserrer les mailles du filet. Mais comme tout essai clinique, il prend du temps.
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Certains centres ont décidé de prendre les devants. C’est le cas de l’Institut du sein qui propose depuis décembre une consultation dédiée. « Il s’agit d’une consultation destinée à évaluer le risque des femmes par un dépistage personnalisé. Elle est ouverte aux femmes entre 40 et 50 ans. Le but est d’établir un suivi personnalisé » explique le Dr Jenny Millochau, chirurgienne spécialisée dans la prise en charge du cancer du sein.
De nouveaux outils statistiques
Pour proposer un suivi le plus adapté, l’âge est pris en compte bien sûr. Mais, contrairement au dépistage organisé qui repose sur cet unique critère, la consultation proposée par l’Institut du sein ne s’arrête pas là. « On prend également en compte les antécédents familiaux et personnels de la personne. Par exemple, si son risque est très élevé parce que sa mère ou ses sœurs ont eu un cancer, on l’adressera à une consultation d’oncogénétique pour déterminer si elle n’est pas porteuse d’un gène de prédisposition. Si elle a des antécédents personnels de cancer, une hyperplasie canalaire atypique…, on lui proposera une surveillance rapprochée » détaille le Dr Millochau.
Et pour les femmes présentant un risque modéré ? L’équipe dispose d’un nouvel outil. Mammorisk. Un test développé par la société Predilife, spin-off de Gustave Roussy. « C’est l’une des raisons qui nous a poussés à ouvrir cette consultation, reconnaît le Pr Clough, chirurgien, cancérologue et plasticien et fondateur de l’Institut du sein. Ces outils statistiques et génétiques, qui ont fait leur apparition depuis quelques années, permettent une meilleur appréciation du risque. C’est une nouvelle arme dans notre carquois. »
Trouver une « jumelle » de risque
Comment ça marche ? « On va d’abord recueillir les informations cliniques de la patiente : son âge, ses antécédents familiaux, ses antécédents de biopsie. On va également lui faire faire une mammographie pour déterminer sa densité mammaire, explique le Pr Saghatchian. L’oncologue propose également des consultations dédiées depuis 2 ans dans le cadre du Woman Risk Institute à l’hôpital américain de Paris. Ensuite, on va rentrer les données dans Mammorisk. Ce logiciel repose sur une base de données contenant les informations d’un million de femmes suivies aux États-Unis et 3500 000 en France. L’algorithme va rechercher dans cette base les “jumelles” de la patiente et regarder, parmi ces « jumelles », la proportion qui a développé un cancer. En fonction de cela, l’outil va donner un pourcentage de risque. »
Faire parler les gènes pour aller plus loin
Et pour les femmes qui le souhaitent, Mammorisk propose aussi de se pencher sur leurs gènes. Un deuxième niveau d’analyse qui « change tout » selon le Pr Saghatchian. Lors du dernier congrès d’oncologie de San Antonio, l’oncologue a présenté les résultats de 200 femmes qu’elle suit maintenant depuis 2 ans. Ses données montrent que, si l’on se contente des critères cliniques, le risque ne seraient pas correctement évalué pour la moitié d’entre elles. « On a observé que, grâce à l’ajout de l’analyse du profil génétique, la moitié des femmes étaient reclassées dans une autre catégorie de risque. Et pour un quart d’entre elles, leur risque était en fait plus élevé » détaille le Pr Saghatchian.
Seule ombre au tableau : le profil génétique utilisé par Mammorisk est issu d’études internationales menées sur des données de populations caucasiennes, seules cohortes de grande taille disponibles jusqu’ici. Il n’est pas transposable à d’autres ethnies et les personnes d’origine africaine ou asiatique ne peuvent donc pas en bénéficier. Toutefois, des études sont actuellement en cours pour valider les profils génétiques sur des femmes d’autres origines ethniques.
Autre facteur limitant le recours au profil génétique : son coût. Si consultation d’évaluation est prise en charge, le test génétique, lui, ne l’est pas. « Certaines mutuelles le remboursent », précise toutefois le Pr Saghatchian.
« Désarmorcer l’angoisse«
À l’issue de la consultation, les femmes se voient donc attribuer une catégorie de risque : faible, modéré ou élevé. « Le résultat est donné sous forme de pourcentage et est indiqué par rapport à la courbe de la population générale » précise le Dr Jenny Millochau. Un peu comme pour le suivi de la taille et du poids d’un nouveau-né sur son carnet de santé.
Un pourcentage. Un point sur une courbe. N’est-ce pas anxiogène ? Le Dr Clough est catégorique : « Au contraire ! La principale raison qui nous a poussés à ouvrir cette consultation c’est que les femmes évaluent très mal leur risque personnel. Certaines le sous-évaluent et du coup, ne se font pas suivre. D’autres, a contrario, notamment les femmes qui ont des antécédents familiaux, le surévaluent et vivent avec une espèce d’épée de Damoclès en permanence au-dessus de la tête. On peut désamorcer cette angoisse. Si je prends l’exemple des patientes avec une mutation BRCA, elles arrivent en consultation avec l’impression d’une bombe à retardement dans leur sein parce qu’on leur a donné leur risque sur toute leur vie. Or, si vous leur donnez leur risque annuel, selon les décades, il est compris entre 1,5 à 3,5%. Le fait de mettre un chiffre pour l’année à venir démolit l’angoisse. Donc, si on arrive à faire ça pour ces femmes qui ont le plus haut risque, on devrait être capable de faire ça pour les autres. »
« Ce chiffre n’est pas une fatalité«
À quoi bon connaître ce chiffre ? « Parce que ce n’est pas une fatalité, insiste le Pr Saghatchian. En connaissant ce risque, on peut le contrôler. » Ces consultations ne se contentent en effet pas d’évaluer le risque. « Nous remettons à la patiente un compte-rendu dans lequel est indiqué son niveau de risque. Mais surtout, nous lui proposons une surveillance adaptée à son cas personnel : un suivi par imagerie, des recommandations sur son mode de vie comme faire du sport, arrêter le tabac… » confirme le Dr Millochau.
« C’est toute la philosophie de ce test. Contrairement à d’autres tests qui donnent des évaluations de risque pour des pathologies sur lesquelles nous n’avons aucun moyen d’agir, dans le cancer du sein nous avons des leviers. On ne fait de la prédiction pour se faire plaisir » insiste le Pr Saghatchian.
Emilie Groyer