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Cancer : se reconstruire après l’ablation d’un sein

{{ config.mag.article.published }} 28 janvier 2015

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Toutes les femmes opérées ne rêvent pas d’un nouveau sein rebondi. Certaines, même, n’en veulent plus aucun. En revanche, toutes doivent faire le deuil du disparu.

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« Ce bout de mon corps, jamais ne reviendra, j’ai ressenti la colère, la peur. (…) Et puis plusieurs années ont passé (…). Si je n’avais pas fait cette mastectomie il y a dix ans, je ne serais pas en train d’écrire sur le clavier ce matin. »

C’est un message, signé Clara, posté sur un site d’information destiné aux femmes. En France, chaque année, elles sont 12 000 à subir l’ablation d’un sein, parfois seule solution pour lutter contre un cancer qui les menace. Une épreuve de plus à affronter, après l’annonce de la maladie elle-même puis l’éventuel traitement.

« Une ablation est, pour chaque femme, une effraction corporelle, une mutilation », confirme Lydia Taïeb, psychologue et coauteur avec Elise Ricadat de Après le cancer du sein, un féminin à reconstruire (éditions Albin-Michel). « Mais chacune la vit de façon singulière. » Certaines patientes se montrent soulagées d’être débarrassées de cet organe douloureux.

D’autres appréhen­dent une perte de leur féminité, une atteinte à leur identité de mère, d’amante. Atteinte d’autant plus difficile à supporter que la poitrine subit, comme nulle autre partie du corps, les diktats esthétiques de la société. « Mais aucune femme n’échappe au sentiment de vide intérieur, poursuit Lydia Taïeb. Et toutes devront faire le deuil de cette transformation corporelle. Il faut accepter d’être triste, en colère, de ressentir de l’injustice et un sentiment d’impuissance. »

Quelle vie pourrait envisager une femme après l’ablation du sein?

Un long parcours, jalonné de questions: à quoi vais-je ressembler? Serai-je encore une femme? Comment susciter le désir? Aurai-je encore une vie sexuelle? « Une femme fragile, qui aura investi toute sa féminité dans l’apparence, peut s’effondrer avec la perte de son sein, prévient Lydia Taïeb. En revanche, plus une femme s’est construite avec une image solide de sa féminité, mieux ce deuil s’accomplira et plus solidement elle se reconstruira. »

Cette bonne estime de soi en tant que femme est forgée dès l’enfance. C’est la mère qui transmet à sa petite fille une image positive de la féminité. Et c’est le père ensuite qui pose sur elle un regard bienveillant. « Après le temps du deuil, la femme « solide sur ses bases » pourra renouer avec cette féminité qui n’aura évidemment pas disparu avec le sein », assure Lydia Taïeb.

Le compagnon, sa présence pendant la maladie, la façon dont lui-même accepte ce corps modifié peuvent s’avérer de précieux alliés pour aider une femme à s’apprivoiser à son tour. Mais d’autres renforts sont aussi à solliciter: une association, d’autres femmes, proches ou anonymes, ayant vécu la même chose. Ou une infirmière. C’est même souvent elle qui accompagne les patientes dans la première redécouverte d’elles-mêmes. Une étape essentielle.

« Certaines ne veulent plus revivre un autre parcours du combattant »

Enfin, la qualité du dialogue avec les médecins et les chirurgiens est cruciale. Obtenir des informations et des réponses précises à ses questions est le meilleur moyen d’éviter les angoisses. Quand on ignore à quoi ressemblera son corps, on peut imaginer le pire…

Au cours ou au terme de ce cheminement, 60 % des femmes ayant subi une ablation du sein diront non à une reconstruction mammaire. « Certaines ne veulent plus revivre un autre parcours du combattant, explique Lydia Taïeb. Elles ont assez souffert, passé assez de temps à l’hôpital, basta! Elles se réapproprieront leur corps différemment. »

Pour d’autres, le corps amazone est aussi une preuve du combat mené, des souffrances traversées. Le sein perdu est vécu comme un tribut payé à la maladie, et un leurre n’aurait aucune valeur. Cette décision, qui heurte le modèle de perfection physique vanté par notre société, est souvent mal acceptée. Certains la comprennent d’autant moins que la chirurgie fournit des réponses. Même l’institut Curie, à Paris, a décidé de lancer une enquête auprès de ses « refuzniks » pour comprendre leurs motivations et adapter ses réponses.

Reconstruction mammaire ou non : un choix personnel

Reste que 40 % des malades ayant subi une mastectomie optent pour la reconstruction mammaire. Pour elles, le passage est obligé. Il marque l’ultime revanche. « Mais attention, prévient Sylvie Dolbeault, psychiatre, chef du département de soins de supports de l’institut Curie, il faut que la personne fasse ce choix pour elle. Pas pour son conjoint, même s’il a joué un rôle important. Ni pour obéir à l’injonction d’un chirurgien. Le médecin doit être à l’écoute du ressenti de sa patiente et non de ses propres représentations. »

Bref, on n’est pas obligée d’acquiescer quand le « docteur » affirme : « Vous êtes jeune, vous n’allez pas vivre sans sein! » Et surtout, poursuit la psy, le praticien doit expliquer à sa patiente qu’elle n’aura ni le même sein qu’avant, ni le décolleté de Pamela Anderson!

« Il est impératif que la femme intègre cela, martèle Sylvie Dolbeault. Le jour où elle réalisera qu’elle n’est plus 100 % comme avant, elle risque sinon de connaître une grande détresse. Il lui sera plus difficile de s’adapter à son nouveau physique. »

La reconstruction n’efface pas le cancer

Car même parfaitement réussie, la reconstruction n’efface pas le cancer. La maladie reste inscrite dans la chair et dans la mémoire. Et le nouveau sein doit lui aussi être accepté. « Faire son deuil, c’est prendre conscience que le sein reconstruit n’a rien à voir avec l’ancien », insiste Lydia Taïeb.

Certaines femmes le comprennent dès l’annonce de l’ablation. Pour d’autres, ce travail s’effectue après la reconstruction. « C’est normal, rassure Lydia Taïeb. Pendant le traitement, on est dans un tunnel. On ne pense qu’à sauver sa peau. »

C’est après, quand les visites à l’hôpital s’espacent, qu’on a soudain le temps de penser aux épreuves traversées.

Un sein reconstruit n’est pas toujours facile à accepter

Voilà pourquoi, malgré leur poitrine parfaite, certaines plongent alors dans une tristesse qu’elles-mêmes et leurs proches ne parviennent pas à expliquer. Là encore, la spécialiste calme les inquiétudes: « Le sein reconstruit n’a pas d’histoire, il n’a pas nourri d’enfant, par exemple. Il faut donc l’investir psychiquement: c’est lui qui me permet de porter ce décolleté, d’avoir davantage confiance dans ma féminité. »

Il n’est pas rare que certaines femmes patientent longtemps avant d’affronter le miroir, avant de montrer leur nouvelle poitrine à leur amoureux.

Pourtant, c’est en portant sur ce sein un regard pacifié, en le massant, en apprenant à l’aimer que la reconstruction sera accomplie. Un long chemin parfois. « Mais il n’est jamais trop tard pour effectuer ce travail, accepter le changement et se réconcilier avec soi-même, conclut Sylvie Dolbeault. Reconstruction ou pas, l’objectif est de cohabiter avec l’idée que cette maladie nous a changés. »

Pour pouvoir envisager de s’aimer à nouveau, avec ce corps différent mais victorieux.


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