Imaginez devoir plonger vos mains pendant une heure dans la neige. Cela vous paraît insupportable ? C’est pourtant ce que doivent endurer les patients à qui l’on propose d’enfiler des gants réfrigérés pendant leurs séances de chimiothérapie pour réduire leur risque de douleurs neuropathiques. Sans surprise, la majorité y renoncent. “Cette solution n’est pas satisfaisante pour le confort des patients, convient Aurélia Joureau-Chabert, cadre de santé au Centre Léon Bérard (Lyon). Elle ne l’est pas non plus en termes d’efficacité puisque les gants réfrigérés ne préviennent pas toutes les douleurs neuropathiques et qu’ils sont parfois contre-indiqués. C’est le cas par exemple chez les patients atteints de cancers digestifs sous Oxaliplatine car ce traitement provoque une intolérance au froid.” Malgré ces inconvénients, peu de solutions alternatives ont été développées à ce jour.
Des douleurs handicapantes
Les douleurs neuropathiques n’ont pourtant rien d’anodin. Ces douleurs, provoquées par la lésion des nerfs périphériques et qui se caractérisent par une sensation de brûlure ou de picotements au bout des doigts, peuvent avoir de lourdes conséquences. “Beaucoup des patients qui développent des neuropathies gardent cette invalidité à la fin des traitements et cela les handicape dans leur vie quotidienne. Cela peut aller de la difficulté à effectuer des gestes simples comme boutonner sa chemise jusqu’à constituer un frein à la reprise du travail.” explique Aurélia Joureau-Chabert. C’était très frustrant pour nos infirmières de ne pas pouvoir proposer mieux”.
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Comprimer pour protéger
Alors quand un oncologue du centre lui parle d’une nouvelle approche présentée lors d’un congrès, l’ancienne infirmière y porte un vif intérêt. “Il s’agissait d’une étude japonaise dans laquelle les chercheurs avaient testé le port de gants chirurgicaux. La cohorte était petite mais les résultats étaient encourageants” se souvient-elle. L’idée : exercer une compression avec les gants pour éviter que la chimiothérapie n’atteigne les fibres nerveuses des doigts. “On a commencé à faire des tests en 2019 avec les infirmières avec différentes tailles de gants et nous avons été accompagnés par un spécialiste du lymphoedème pour nous assurer que cela n’était pas délétère.”
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Gant réfrigéré sur une main, gant chirurgical sur l’autre
En 3 ans, cette nouvelle approche est testée au Centre Léon Bérard chez 96 patientes touchées par un cancer du sein traitées par Paclitaxel et 81 patients avec un cancer digestif traitées par Oxaliplatine. “Parce que ce sont 2 chimiothérapies connues pour provoquer des neuropathies” explique la cadre de santé.
Chaque patient était son propre témoin. Sur la main dominante étaient enfilés 2 gants chirurgicaux superposés, sur l’autre, soit un gant réfrigéré pour les patientes sous Paclitaxel, soit rien, pour les patients sous Oxaliplatine intolérants au froid. “Les gants devaient être portés 10 minutes avant la chimiothérapie, pendant son administration et 15 minutes après” précise Aurélia Joureau-Chabert.
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Une solution plus efficace et mieux tolérée
À la fin de leur protocole, 18,1% des patients avaient développé une neuropathie de grade 21 avec des gants chirurgicaux contre 27,7% avec les gants réfrigérés. Quant au ressenti de la douleur par le patient, il était de 0,8 sur une échelle allant jusqu’à 10 avec les gants chirurgicaux contre 4/10 avec les gants réfrigérés. “Ils étaient aussi mieux tolérés : alors que certaines de nos patientes ont abandonné les gants réfrigérés en cours de route, elles ont toutes gardé les gants chirurgicaux jusqu’à la fin de leur protocole de chimiothérapie. L’autre avantage des gants chirurgicaux : les doigts sont séparés, contrairement aux gants réfrigérés qui sont en fait des moufles. Les patients peuvent donc se servir de leurs mains pendant leur cure, pour lire un livre par exemple” complète Aurélia Joureau-Chabert.
Des résultats qui intéressent les autres centres
Les résultats de cette étude ont été présentés au congrès européen de l’ESMO à Berlin dans le cancer du sein, puis à Barcelone dans les cancers digestifs. “Ils ont été très bien accueillis par les médecins. Il faut dire que ce protocole est facile à mettre en place car tous les établissements ont accès à ce type de gants” reconnaît Aurélia Joureau-Chabert.
Si les gants chirurgicaux sont aujourd’hui proposés en routine aux patients suivis au Centre Léon Bérard, leur adoption dans d’autres établissements n’est pourtant pas pour demain “Ces résultats encourageants ne vont pas conduire à un changement de pratique dans l’immédiat car il s’agit d’une étude de faisabilité, rappelle le Dr Olivier Renard, médecin spécialiste dans la prise en charge de la douleur au Centre Léon Bérard. Une étude de plus grande envergure, notamment pour préciser la compression et la durée optimales du port des gants, est nécessaire pour tirer des conclusions et que son indication soit élargie. ” Que dire aux patients qui aimeraient bénéficier de ce dispositif sans attendre les résultats d’un nouvel essai clinique ? “Comme pour n’importe quelle approche complémentaire, parlez-en à votre oncologue référent, il vous donnera son avis éclairé sur la question” répond le Dr Renard.
1. Le stade 2 correspond à des déficits sensitifs et moteurs modérés.