Vous avez rencontré le cancer au début de l’adolescence ?
J’ai souffert, lorsque j’avais 13 ans, d’une forme de leucémie. A l’époque, on connaissait peu cette maladie et on envoyait les jeunes dans un sanatorium. Sur le moment, cela ne m’a pas atteint moralement. Je pensais plutôt au fait que j’allais manquer la classe ! Et puis, au fil du temps, je me suis rendu compte qu’autour de moi les gens disparaissaient. J’ai raconté cette histoire particulière dans le premier livre que j’ai écrit, lorsque j’avais 17 ans, Les Enfants de l’Aube* . Il a paru des années après sa rédaction (en 1982) et finalement peu de lecteurs ont compris que le héros du roman souffrait d’un mal que je connaissais bien.
N’est-ce pas à cause de votre difficulté à nommer la maladie ?
Tous ces détails des traitements, le journal des douleurs, je ne trouve pas cela intéressant. Je n’ai jamais voulu répondre aux questions sur le cancer. Jamais. Ce qui est important c’est ce que cela a provoqué chez l’adolescent que j’étais : j’ai été confronté, très tôt, à l’amour et à la mort. La lecture, à l’époque, de la Montagne Magique de Thomas Mann, de l’œuvre d’Hermann Hesse a été déterminant dans ma construction d’adulte. Il n’y avait en moi aucune peur de la mort mais la découverte du romantisme à travers les grands auteurs. Raconter aux gens ce que j’ai pu ressentir physiquement ne présente pas d’intérêt : en revanche, j’ai envie de dire qu’on peut ré-enchanter sa vie – même durant l’épreuve.
Pourquoi attendre presque vingt ans avant de publier « Les enfants de l’aube » ?
Tout d’abord, jeune homme, j’ai fait comme beaucoup de gens, j’ai enfoui ces souvenirs de maladie. Profondément. Je ne les ai exhumés que trois ans plus tard. Comme une forme de catharsis, j’ai écrit Les Enfants de l’Aube avec frénésie, dans ma chambre d’étudiant, à Strasbourg. L’idée n’était pas de voir un jour ce manuscrit publié ; c’était une manière de mettre à distance la période du sanatorium. Vous savez, face à la maladie, il n’y a pas de recettes : chacun s’en sort comme il peut, avec ses propres armes.
« J’ai envie de dire qu’on peut ré-enchanter sa vie – même durant l’épreuve »
Peut-on dire que ce cancer vous a changé ?
Cette époque de l’adolescence où j’ai été confronté à la mort a été déterminante sur ma perception, ma manière d’envisager la vie. Auparavant, j’étais un enfant très contemplatif, introverti : cette maladie m’a sans doute porté plus vite vers la responsabilité, l’action. On peut dire, qu’ensuite, j’ai « bouffé » la vie. J’ai jouit pleinement de la vie. Sans doute, parce que j’ai appris plus jeune que les autres à quel point l’existence est éphémère. Ma boulimie d’action est née là. Après la maladie, je me suis mis à galoper ! Au propre comme au figuré : enfant, j’étais très chétif. Après le sanatorium, je me suis mis à courir tous les jours. Courir, c’est essentiel : ça veut dire qu’on est vivant. Depuis, je n’ai jamais lâché.
De plus en plus de malades guérissent du cancer. Pourtant la société rechigne encore à leur laisser une place.
C’est absurde ! A partir du moment où on est un survivant, on est dix fois plus fort que les autres ! La maladie nous apprend à étalonner les douleurs : les piqures de moustiques et les vraies douleurs. On va droit à l’essentiel. On ne se laisse pas bouffer par les anicroches de la vie. On sait à quel point elle est précieuse. La maladie ne m’a pas handicapé, elle ne m’a pas retenu : elle m’a poussé. Elle a été un aiguillon. Je trouve que c’est indigne de chercher des poux dans la tête des survivants, de les interroger sans cesse sur leur passé. Je pense d’ailleurs que le droit à l’oubli que Rose-association a gagné, devrait être généralisé et étendu.
Céline Lis Raoux
* Les Enfants de l’aube, Editions JC Lattès, Le Masque