Bénédicte n’a pas attendu d’être rentrée chez elle pour appeler sa sœur, au courant des examens qu’elle devait passer dans la matinée. « Écoute, je sors tout juste de chez le médecin. Voilà: j’ai un cancer du col de l’utérus. » Quelques mots lancés à la volée. Sans ménagement. Avec sa sœur, Bénédicte savait qu’elle ne serait pas obligée de prendre des gants. Mais avec les autres, son père, son mari, ses deux enfants, elle a eu plus de mal.
« C’est très compliqué de savoir s’il faut le dire ou non. J’ai mis du temps à en parler à mon père, par exemple, parce que c’est quelqu’un de très négatif. Je ne voulais pas avoir à gérer ses états d’âme. »
Peur de blesser ses proches, de les inquiéter, d’avoir à supporter leurs réactions et leur anxiété. Mais aussi crainte d’être abandonné, de ne plus être aimé et accepté… Quantité d’émotions et de sentiments, parfois ambivalents, compliquent une situation déjà très difficile à vivre pour le malade. Certains, du coup, préfèrent se taire.
Pas obligé de tout dire
« Ce qui était important pour moi, c’était d’éviter le pathos et les réactions de type “Qu’est-ce que ça va être difficile pour vous…” », raconte Caroline, atteinte d’une récidive de cancer du sein.
Pour Isabelle Moley-Massol, psychanalyste et psycho-oncologue, il n’y a pas de façon idéale d’annoncer sa maladie: « On ne peut pas généraliser, dire ce qui est bien ou pas. La décision d’en parler est fonction de la nature des relations amicales et familiales du patient. »
Vis-à-vis de l’entourage amical, par exemple, on n’est pas obligé de tout dire. « Le malade peut avoir envie de garder le silence pour se protéger, du moins dans un premier temps », souligne le Dr Moley-Massol. En fait, c’est surtout envers les plus proches que le problème se pose.
Ne pas parler de son cancer à ses proches, relève t-il du mensonge?
L’annonce de la maladie peut-elle altérer la relation ? s’interrogent certains malades. La vraie question, pour la thérapeute, est la suivante: « Comment rester dans un lien authentique en taisant un événement de vie aussi important ? Car les proches sont de toute façon impliqués dans la maladie. Ils ont donc besoin d’une information adaptée pour pouvoir “faire avec”. » Au lieu de protéger, le silence risque donc bien souvent d’abîmer la relation. Il peut même s’avérer ravageur.
Dans un couple, par exemple, ne pas évoquer sa maladie sera forcément source de lourds malentendus. Et, d’une manière plus générale, le mensonge ou le silence pourront être interprétés comme une forme de trahison. Même un employeur, tenu à l’écart de l’information, aura tendance à vivre ce mensonge par omission comme une perte de confiance.
« Cela a été un énorme sentiment de libération… »
Autre conséquence douloureuse du silence: il prive le malade d’une aide potentielle. « Ce qui est compliqué, c’est qu’on veut préserver son entourage, n’inquiéter personne, mais, en même temps, on a besoin de soutien », reconnaît Caroline. Avec le recul, toutefois, elle ne regrette pas de s’être livrée à sa famille et à ses amis: « Cela a été un énorme sentiment de libération. Après, tout le monde m’a soutenue et motivée. »
Rien d’étonnant, au fond, car dans l’adversité, il arrive que les proches sachent faire preuve de générosité, de solidarité et aussi d’empathie! D’autres éléments influencent aussi la manière dont la personne malade va informer son entourage. Un avis de récidive, par exemple, sera certainement plus difficile à dire et à recevoir qu’une annonce de premier épisode.
Le type de cancer entre également en ligne de compte: « Cela aurait sans doute été plus difficile pour moi si j’avais été touchée par un cancer du poumon, du cerveau ou du pancréas », reconnaît Bénédicte. Enfin, la trajectoire personnelle du patient, les circonstances dans lesquelles la maladie se déclare, mais aussi sa personnalité, sociable et spontanée ou au contraire indépendante et introvertie, influenceront de manière significative sa décision de parler ou de se taire.
Pourquoi faut-il parler de la maladie aux enfants?
En revanche, là où l’hésitation n’est pas de mise, c’est à l’égard des enfants. « Ils ont besoin que le parent souffrant leur adresse une parole vraie car ils ressentent toutes les émotions et perturbations engendrées par la maladie », rappelle lsabelle Moley-Massol. Leur cacher la maladie pourrait avoir des effets dévastateurs sur leur construction psychique et leur avenir.
Pourtant, on s’en doute, prononcer le mot « cancer » devant ses enfants est extrêmement compliqué. « Je leur ai dit que j’avais un bobo au sein et que je devrais faire quelques dodos à l’hôpital. Je leur ai montré le pansement mais je n’ai pas voulu leur en révéler davantage pour ne pas les angoisser« , raconte Caroline.
« Je ne leur ai pas dit la vérité, c’était au-dessus de mes forces, explique Bénédicte. Mais je ne voulais pas qu’ils sentent que je leur cachais quelque chose. Comme j’avais des problèmes de dos, je leur ai dit: “Le docteur a trouvé la maladie de maman. On va bien me soigner, mais ce sera peut-être long.” »
L’influence du discours du médecin
Étape clef, le discours du médecin influencera lui aussi la manière dont le malade évoquera à son tour la maladie. « Des études ont montré que le patient avait tendance à reproduire avec ses proches le mode d’annonce que lui-même avait reçu de son médecin« , souligne Isabelle Moley-Massol.
Un conseil peut tout de même être donné au malade: attendre que le choc de l’annonce se soit un peu dissipé avant de parler à sa famille. Il convient de préparer l’entourage en donnant une information progressive, pas à pas, qui ouvre sur un espoir réaliste. Dans cette perspective, insister sur la qualité des soins est essentiel. Les proches se sentiront davantage rassurés si le malade s’estime pris en charge par une équipe médicale compétente.
Nathalie Ferron