« Le Cancer de l’ovaire ça existe » ! Voici le cri de ralliement du groupe de patientes atteintes d’un cancer de l’ovaire battant le pavé à Bordeaux, le 8 mai dernier, pour donner un coup de projecteur à la maladie. Une marche de plus ? « Non, répond Brigitte Massicault, présidente de l’association Imagyn (Initiative des malades atteintes de cancers gynécologiques) pour la région de Bordeaux, en récidive d’un cancer de l’ovaire de haut grade. Nous sommes complètement noyées dans la masse des cancers du sein, surtout pendant Octobre rose. On ne nous écoute pas, alors que connaître l’existence de ce cancer permettrait à de nombreuses femmes d’être alertées plus tôt. Tout le monde pense que les ovaires, ça donne la vie, mais ça donne aussi la mort. Le problème, c’est que les symptômes sont variés et peuvent passer inaperçus. Il faut absolument faire mieux connaître ce cancer destructeur. »
Cancer de l’ovaire, un cancer rare
Comparé aux 54000 nouveaux cas de cancer du sein, le cancer de l’ovaire a touché plus de 4 000 femmes en 2015. Mais il est la première cause de décès par cancer gynécologique – 3 000 par an – car il est souvent diagnostiqué trop tardivement. Seulement 45 % des femmes atteintes d’un cancer de l’ovaire sont susceptibles de survivre au-delà de cinq ans quand le taux, pour les femmes atteintes d’un cancer du sein, avoisine les 90 %… Un diagnostic plus précoce permettrait donc d’améliorer nettement le pronostic des patientes. Mais, à l’heure actuelle, « il n’existe aucun test de dépistage précis et fiable du cancer de l’ovaire disponible pour l’ensemble de la population féminine », précise le Dr Anne Floquet, oncologue à l’Institut Bergonié, à Bordeaux.
L’histoire familiale (antécédent de cancer du sein, des ovaires, ou du côlon) et/ou la présence d’une prédisposition génétique (mutation des gènes BRCA) exposent certaines femmes à un risque élevé de cancer de l’ovaire. « Pour ces femmes, une surveillance adéquate va pouvoir être proposée, explique le Pr Roman Rouzier, directeur médical Sénologie et Gynécologie à l’Institut Curie. Elle repose sur une échographie pelvienne annuelle. À partir de 40 ans (ou plus tôt en cas d’antécédent familial de cancer avant 40 ans), et si le projet parental est accompli, on peut proposer une annexectomie préventive, c’est-à-dire une ablation des ovaires et des trompes. »
C’est peut-être ce que décideront un jour les deux filles de Régine, en rémission depuis sept ans d’un cancer du sein triple négatif, après avoir eu un cancer de l’ovaire avancé en 2009. « Les tests génétiques que j’ai réalisés à l’Institut Bergonié ne montrent pas de mutation sur BRCA 1, indique Régine. Mais il existe des gènes encore non identifiés. En attendant qu’on les découvre, l’équipe a décidé, au vu de l’analyse de mes tumeurs et du fait que j’ai eu un cancer du sein bilatéral, que mes les devraient être suivies comme des personnes ayant une prédisposition familiale et héréditaire. Chaque année, elles devront passer une IRM mammaire, une échographie, une mammographie et une échographie pelvienne. »
Peu ou pas de symptômes
Des études épidémiologiques ont montré que le profil hormonal influe aussi sur le risque de développer un cancer de l’ovaire. Ainsi, un grand nombre de grossesses, l’allaitement et l’utilisation de contraceptifs oraux participent à réduire le nombre d’ovulations durant la vie et semblent diminuer le risque de cancer de l’ovaire. À l’inverse, une puberté précoce, une ménopause tardive ou la prise prolongée d’un traitement hormonal substitutif (THS) de la ménopause pourraient en augmenter le risque. Des moyens de dépistage ont été étudiés, comme l’écho- graphie pelvienne. Mais cet examen n’est ni sensible ni spécifique. Le dosage dans le sang de marqueurs tumoraux comme la protéine CA 125 est utilisé dans la prise en charge et la surveillance du cancer de l’ovaire. Mais l’augmentation du taux sanguin de CA 125 n’est en rien spécifique du cancer de l’ovaire, puisqu’une inflammation intra-abdominale peut induire ce phénomène. De même, on peut être porteuse d’un cancer de l’ovaire avec un marqueur tumoral normal.
Particulièrement sournois, le cancer de l’ovaire se développe lentement et à bas bruit, avec peu ou pas de symptômes. Lorsque ces derniers apparaissent, ils miment une maladie banale avec des signes digestifs (douleurs abdominales, constipation), urinaires (envie fréquente d’uriner) ou gynécologiques (saigne- ment vaginal en dehors des règles). Une augmentation du volume de l’abdomen est plus inquiétante, et reflète la présence de liquide (ascite) dans le ventre.
« Il n’existe aucun test de dépistage précis et fiable du cancer de l’ovaire »
« C’est la fréquence et la persistance des symptômes qui doivent conduire à consulter et à faire des recherches », précise le Dr Floquet. Il pourra alors vous être prescrit une échographie pelvienne et transvaginale, souvent complétée par d’autres examens d’imagerie médicale et une prise de sang. Mais, dans trois cas sur quatre, le diagnostic est tardif. Comme pour Oli, jeune maman de 34 ans. elle s’est retrouvée aux urgences après avoir ressenti une violente douleur au côté droit en sortant du bureau. « Ça m’est tombé dessus d’une minute à l’autre, raconte-t-elle. Le médecin a d’abord pensé à une colique néphrétique. Mais l’échographie et le scanner ont révélé un rein un peu gonflé et plusieurs masses sur les ovaires. » Le lendemain, on lui retirait une tumeur de 10 cm sur l’ovaire droit. Son cancer avait déjà atteint le stade IV.
La chirurgie reste la clé de voûte de la prise en charge*(lire en bas de page). « Elle doit être optimale, pour ne laisser aucun résidu de la maladie, précise le Dr Floquet. À un stade précoce, elle consiste à enlever l’utérus, les deux ovaires, éventuellement les ganglions lymphatiques et l’épiploon, qui correspond à une partie du péritoine. À un stade très précoce, chez les jeunes femmes désirant avoir un enfant, il est parfois possible de n’enlever que l’ovaire atteint et la trompe de Fallope attenante. » « Mais il faut vraiment se tourner vers un centre de référence, car c’est une chirurgie lourde et délicate, qui peut durer jusqu’à huit heures », insiste Pascale Jubelin, ancienne présidente d’Imagyn, en rémission depuis 2012.
« Il est important (et même crucial) pour les femmes chez qui le diagnostic de cancer de l’ovaire a été fait, d’être opérées d’emblée ou dans un deuxième temps par une équipe chirurgicale entraînée à cette intervention, avec une expérience d’au moins 20 patientes par an dans cette chirurgie spécifique, avec une réanimation de qualité et au sein d’une équipe multidisciplinaire qui participe à des études de recherche clinique (qui s’avère en fait le critère le plus discriminant et reliant la plupart des autres facteurs) », insiste le Pr Eric Pujade-Lauraine, responsable du département d’oncologie médicale de l’Hôpital de l’Hôtel Dieu à Paris. Un des grands problèmes limitants est le faible remboursement de cette intervention qui dure en moyenne 3h30 et peut atteindre 7 à 9 heures ».
« Il faut vraiment se tourner vers un centre de référence, car c’est une chirurgie lourde et délicate »
La chirurgie sera ensuite systématiquement associée à une chimiothérapie à base de sels de platine (carboplatine + Taxol). Cette dernière peut être réalisée avant ou après la chirurgie, en fonction de l’étendue de la maladie. En cas de maladie intra-abdominale, commencer par la chimio- thérapie permet de réduire la taille des lésions et de proposer un traitement chirurgical moins agressif, ce qui peut parfois éviter l’ablation d’un morceau d’intestin ou de péritoine.
Vers des traitements plus ciblés
Aujourd’hui, grâce aux avancées de la recherche, de nouveaux traitements, plus ciblés, sont proposés en complément de la chimiothérapie. Car, même si le traitement à base de sels de platine et la chirurgie sont efficaces, la maladie a tendance à récidiver. Le défi est donc d’allonger le temps de rémission sans rechute. Le cancer devient alors une maladie chronique. C’est là que les thérapies ciblées entrent en jeu : administrées en complément, elles s’attaquent aux faiblesses des tumeurs. « Comme le bevacizumab (Avastin), associé à la chimiothérapie, puis administré en entretien durant un an (une perfusion toutes les trois semaines), explique le Pr Rouzier. En moyenne, il retarde la rechute de six mois, en empêchant la tumeur de fabriquer les vaisseaux sanguins nécessaires à sa croissance. Il existe maintenant une autre thérapie ciblée en maintenance en première ligne, en cas de prédisposition génétique et en cas de rechute, les inhibiteurs de Parp, qui bloquent des protéines (PARP) permettant aux cellules cancéreuses de réparer leur matériel génétique, et ainsi de se multiplier. »
Si ces médicaments diminuent de 80 % le risque de rechute, ils agissent essentiellement sur les tumeurs qui présentent une mutation BRCA héréditaire ou acquise (environ 15 % des patientes). Cependant, 50 % des tumeurs des ovaires n’arrivent pas à réparer leur ADN, et bénéficient des inhibiteurs de Parp, même en l’absence de mutations. L’immunothérapie est aussi en cours d’évaluation. La recherche s’accélère : on compte plus de 60 essais cliniques prometteurs rien qu’en France. « Nous plaçons beaucoup d’espoir dans les conclusions de ces études pour faire avancer la prise en charge des patientes atteintes d’un cancer de l’ovaire », indique le Pr Rouzier. Notamment dans la recherche d’ADN circulant par simple prise de sang, ce qui permettrait d’adapter le traite- ment initial (chirurgie et chimiothérapie), d’évaluer le pronostic, d’anticiper les rechutes et d’identifier les résistances aux traitements (chimiothérapies et thérapies ciblées).
CHIRURGIE : 62 % des patientes opérées dans des centres non spécialisés
D’après de récentes données de l’Assurance maladie, en France, 62% des patientes seraient opérées dans des établissements réalisant moins de 20 interventions par an –pire même, 35 % dans des centres opérant même pas 10 patientes par an !-. Des chiffres dénoncés le 22 octobre 2017 par la ministre de la Santé Agnès Buzyn, devant le grand jury RTL-Le Monde, qui considère que cette activité devrait être soumise à un seuil.
Interrogée sur l’opportunité de fermer certains services de chirurgie, elle a rappelé que « quand on ne fait pas beaucoup certains actes chirurgicaux, on les fait mal ». En clair, comme c’est déjà le cas au Royaume-Uni, au Danemark ou en Suède, il faudrait interdire à certains services hospitaliers trop peu actifs dans ce domaine de continuer à prendre en charge des patientes. Dans notre pays, sur les 568 hôpitaux publics ou cliniques privées qui continuent à prendre en charge des femmes atteintes de cancers de l’ovaire, seuls 37 atteignent ou dépassent le volume recommandé par les experts européens.
Le risque, c’est de compromettre les chances de survie des patientes
En cas de pratique insuffisante, le risque est beaucoup plus grand que le chirurgien, s’il n’est pas assez expérimenté, ne parvienne pas à retirer tous les tissus cancéreux, avec l’assurance d’une récidive rapide. Voire, que des femmes prises en charge dans des centres trop peu spécialisés soient déclarées « inopérables », faute de l’expertise nécessaire pour réaliser ce type d’opération. L’Inca et la direction générale de l’offre de soins du ministère de la Santé planchent sur ce sujet depuis plusieurs mois, avec pour objectif d’aboutir au plus tard pour 2019. A suivre de très près.
→ Liste des centres experts régionaux et nationaux pour les cancers rares de l’ovaire)