Face aux cancers, osons la vie !



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Et si on osait demander de l’aide ?

{{ config.mag.article.published }} 18 mars 2024

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Soutien moral ou aide pratique, lorsque la maladie survient, on a besoin d’être épaulée, mais pas facile de demander de l’aide. Par peur de déranger, de perdre le contrôle... Comment dépasser ces freins ?

Fin 2022, Nathalie, 52 ans, kinésithérapeute  à Tours, crée un groupe WhatsApp auquel elle invite 23 copines. Elle y publie le texte suivant: « Hello les girls, vous êtes dans ce groupe car vous êtes mes amies. Je suis à la moitié de mon traitement et il commence à devenir assez difficile. Vous me dites toutes que, si j’ai besoin de quelque chose, il ne faut pas que j’hésite à vous solliciter. Mais, vous le savez, je ne suis pas du genre à demander de l’aide, peut- être par peur de vous déranger. Mais aujourd’hui, j’ai besoin de vous! Vous pouvez m’aider: en me préparant de bons petits plats, en venant me chercher pour aller marcher, en posant mon vernis protecteur des ongles (j’ai des engourdissements dans les doigts), en passant boire un thé ou un café pour me changer les idées, en me passant des coups de fil. Merci les girls. »

Nathalie a connu un premier cancer du sein en 2021. « J’avais alors activé le mode warrior !  Des amies m’avaient proposé leur aide, je leur avais répondu que je n’en avais pas besoin. Mais je ne pensais pas que ça allait être si difficile. » Opérée d’une tumorectomie, elle reprend le travail six semaines plus tard, enchaîne avec 24 séances de radiothérapie, continue de s’occuper de sa famille, comme avant. « J’ai super bien géré, raconte-t-elle, mais à la fin des traitements je me suis effondrée physiquement et moralement. Je me suis retrouvée seule face à moi- même en me demandant : “Comment je vais faire ? Comment je vais avancer maintenant ?” »

Lorsque la maladie se manifeste de nouveau, en septembre 2022, plus question de la jouer en solo. « Cette fois, je n’ai pas attendu de m’écrouler pour demander de l’aide. J’étais toujours en mode guerrière, mais je n’étais plus un soldat isolé. J’étais un général avec ma petite armée d’amies ! » Mais pourquoi n’a-t-elle pas réclamé de l’aide un an plus tôt ?

Comme Nathalie, beaucoup de femmes touchées par la maladie n’osent pas ou se refusent à demander un coup de main ou même simplement un soutien moral. Pourquoi est-ce si difficile de passer « en mode Help ! » ? Quels sont les freins ? Nombreux, ils diffèrent d’une personne à l’autre, et parfois ils se cumulent, s’entremêlent. Mais commençons par le commencement : le choc du diagnostic. Particulièrement à ce moment-là, il ne va pas de soi de lever la main, et de dire à ses proches : « Aidez-moi ! » Pour Corinne Raison- Plantard, psychologue clinicienne en oncologie au CHU de Brest, l’annonce génère un état de choc, voire de sidération : « Il y a un clivage des affects, on a du mal à faire concorder la réalité de l’événement avec ce que l’on ressent. Demander de l’aide, c’est donner réalité à une situation traumatique. C’est un tel bouleversement ! Les repères, la manière d’être au monde sont bousculés, même dans les liens aux autres. »

Se faire toute petite

C’est ce qu’a ressenti Julia, 44 ans, responsable de communication à Quimperlé, qui vient de terminer ses séances de chimiothérapie pour un cancer du côlon : « Il y avait une couche de Plexiglas entre les autres et moi. Comme si nous étions dans deux mondes parallèles. Mon cerveau le comprend, mais le cœur a du mal.»

Les personnes malades espèrent souvent que l’entourage se manifeste naturellement. C’est ce qu’escomptait Julia : « J’ai eu la naïveté de croire que, face à un tel événement, les gens – les membres de la famille en particulier – se diraient : “Je fonce, je vais la voir, pas besoin d’attendre qu’elle me le demande.” Et c’est une grosse erreur, parce que les gens attendent qu’on les sollicite… » Heureusement, elle a pu compter sur le soutien sans faille de son conjoint.

Pour certaines, ce qui peut brider, c’est tout simplement la peur de déranger. Et c’est plus fréquent qu’on ne le pense.

Sandra, 49 ans, comptable dans le Puy-de-Dôme, a été diagnostiquée d’un cancer du sein en juin 2021. Elle a traversé seule les traitements (tumorectomie, chimio, radiothérapie et maintenant hormonothérapie). « J’ai choisi d’aller seule aux rendez-vous, raconte-t-elle. Je vis avec ma fille, elle passait le bac, et je ne voulais pas l’ennuyer avec ça. Je lui ai donné l’information, mais je ne voulais pas qu’elle m’accompagne, parce que c’était trop brutal. »

« La société veut nous faire croire qu’être fort, se gérer seul, fait de nous des personnes respectables. » V. SUGG

Mais il arrive aussi que certaines malades ne se sentent pas légitimes, parce qu’elles estiment avoir un « petit cancer ». C’est le cas de Christelle, 52 ans, conseillère en accompagnement professionnel en Charentes-Maritimes. En 2020, on lui diagnostique un cancer du sein au stade 1. Pour elle, ce sera une tumorectomie, et pas de chimiothérapie. Son soulagement est tel qu’elle ne s’autorise pas à extérioriser ses angoisses. « J’arrive facilement à dire que j’ai eu un cancer du sein. Toutefois, j’ajoute toujours : “Mais j’ai eu beaucoup de chance.” C’est ma phrase préférée… J’ai transformé tout ça en “cancer idyllique”, et j’ai voulu me faire toute petite. » Comme si elle devait s’excuser d’avoir eu un cancer, comme si elle ressentait une forme de culpabilité.

Ce n’est pas rare, constate Valérie Sugg, psychologue et autrice (voir notre encadré « À lire ») : « Les personnes malades ont tendance, même si elles le dénient, à se sentir coupables de faire vivre ça à leurs proches. Alors qu’elles n’y sont évidemment pour rien. » Selon elle, cela va de pair avec des théories psychologisantes délétères : « Certains discours vont beaucoup trop loin, juge-t-elle. La société vient nous dire : “Si tu as un cancer, c’est parce que tu n’as pas su gérer un deuil ou une séparation…” C’est déjà compliqué d’être malade, mais il y a en plus une pression sociétale qui voudrait nous faire croire que la maladie est un peu de notre faute. »

Les limites du mode warrior

Caroline Arditti, autrice de Nous, l’art de bien s’entourer pour rayonner ensemble (éditions Solar), voit « quelque chose de très féminin dans le fait de minimiser ses problèmes et de ne pas vouloir déranger ». « Par ailleurs, dans notre société qui valorise l’autonomie et l’individualisme, lever la main n’est pas la posture la plus confortable », ajoute-t-elle. La pression sociale incite aussi un grand nombre de femmes à jouer les « superguerrières », comme le dit Alexandra, 42 ans, directrice commerciale dans une société d’assurance. Quand elle apprend qu’elle a un cancer du sein, en 2020, elle s’en remet totalement aux médecins pour le protocole de soins. « Mais je me suis dit que, le reste, ça m’appartenait encore. Alors j’ai fait comme si tout allait bien. Je ne voulais pas qu’on me voie comme quelqu’un de malade et qu’on s’apitoie sur mon sort. »

Non seulement elle ne sollicite pas l’aide de son entourage, mais même elle refuse celle qu’on lui propose. Elle tient sa maison à bout de bras comme si de rien n’était, continue d’accompagner ses deux enfants à leurs activités. « Je ne voulais pas qu’ils soient déstabilisés par une maman HS, et que mon mari se dise que sa femme était une loque », se justifie-t-elle. Mais, derrière ce besoin de continuer à maîtriser le quotidien à défaut de pouvoir contrôler la maladie, Alexandra discerne « des injonctions hyper pesantes » : « On se conforme à une image fantasmée de la femme parfaite. Je n’ai rien demandé à mon mari. Et lui aussi me voyait comme une combattante, et pas comme une malade. Les soirs où ça n’allait pas, il s’étonnait : “Ah bon ? Comment ça se fait ? Parce que moi j’avais prévu qu’on sorte”… » La psychologue Valérie Sugg reste dans la métaphore guerrière, en parlant de « vaillants soldats ». « Au-delà du contexte de maladie, analyse-t-elle, on est dans une société qui voudrait nous faire croire qu’être fort, se gérer seul, fait de nous des personnes respectables et respectées. C’est nourrir, quelque part, notre illusion de toute-puissance. » Alors, peut-on mener seule le combat contre la maladie ? Pour certaines, la réponse est oui. Un avis minoritaire, mais que Valérie Sugg explique ainsi : « Il y a des “guerrières” qui n’ont d’autre solution pour vivre que de rester “guerrières”. Si elles n’en souffrent pas, il ne faut pas qu’elles touchent à cela. Mais, si c’est une source de souffrance, il faut qu’elles acceptent de changer de point de vue. »

C’est ce qu’a fait Nathalie, en remisant sa panoplie de super-héroïne au placard au moment de la récidive du cancer. Même constat pour Chris- telle et Alexandra : l’une et l’autre regrettent de ne pas avoir davantage fait appel à leur entourage. « J’ai continué de prendre en charge le foyer, mais à quel prix ? s’interroge cette dernière. La femme parfaite, elle a pris cher, pendant la maladie. Et elle aimerait bien se reposer un peu, mais elle ne peut pas, parce qu’elle a repris le boulot. » Julia, elle, se reconnaît plus ambivalente. Malgré la fatigue, elle a tenu à s’occuper de ses enfants comme si de rien n’était : « Ça oblige à rester dans la vie, à se lever le matin. Oui, c’est dur, mais c’est une sacrée locomotive. » Rétrospectivement, elle avoue aussi qu’elle aurait bien aimé qu’on lui dise de temps en temps : « “Allez, reste tranquille chez toi, je vais emmener tes gosses à l’école.” »

Envoyer un message clair

Si elle a un regret, c’est de ne pas avoir activé à temps l’assistance à domicile de sa mutuelle. « Cela m’aurait permis d’avoir quelqu’un à la maison pour alléger les tâches un peu lourdingues. Mais, au début, tu es dans le tourbillon du diagnostic, puis des traitements… Et, au moment où tu commences à avoir le cerveau un peu plus au clair, tu es déjà presque à la fin du parcours. Le temps que l’aide se mette en place, tu sais que tu n’y auras plus droit… »

Ce type d’aide présente l’avantage de ne pas impliquer l’entourage proche quand on a du mal à le solliciter. Et c’est aussi une bonne manière d’amorcer une nouvelle façon de fonctionner. Mais encore faut-il admettre que solliciter les autres n’est en rien un aveu de faiblesse. « Demander à être épaulé, c’est accepter qu’on a chacun nos propres limites et que, pour vivre, on a aussi besoin d’être en relation avec les autres, et de leur aide par moments. C’est extrêmement fort et équilibrant d’accepter cet échange », encourage Valérie Sugg.

Pour sauter le pas, et comme il n’est pas toujours aisé de dire les choses de vive voix, Caroline Arditti recommande d’envoyer un message : « pour verbaliser et partager avec son entourage. Un de mes amis l’a fait en vidéo. Mais un message vocal ou écrit qui pose les mots avec le cœur, et explique la situation, ça marche aussi ! Quand l’autre reçoit ce type d’annonce, spontanément, il fait un pas en avant. C’est une première étape possible. La suivante est d’accepter la main tendue ».

ET DU CÔTÉ DES AIDANTS ?
Vous êtes proche d’une personne malade et vous ne savez ni quoi ni comment faire pour l’aider ? On vous guide :

• D’abord, informez-vous sur la maladie, les traitements et ses effets.
• Écoutez ce qu’a à dire la personne malade sans essayer de minimiser son ressenti ou ses angoisses pour la rassurer.
• Ne changez pas totalement de comportement avec elle.
Continuez à la considérer comme une personne.
• Arrivez avec des offres concrètes de coups de main : faire le ménage, la cuisine, garder les enfants, l’accompagner aux rendez-vous médicaux. C’est plus incitatif qu’un : « Si tu veux que je t’aide, dis-le-moi. »
• Restez présent aussi après la fin des traitements.
Source: @lapsyquiparle

C’est bien ce qu’a fait Nathalie avec son groupe WhatsApp. Avec des requêtes précises. Parce que les personnes qui entourent les malades ne savent pas toujours ce dont ceux-ci ont besoin. Souvent, elles n’osent pas se manifester parce qu’elles ont peur d’être maladroites ou à côté de la plaque. Virginie fait partie du cercle d’amies de Nathalie. Elle l’a accompagnée à une séance de chimio, a marché avec elle, lui a préparé des cookies… « Nathalie, c’est une femme courageuse, qui sait ce qu’elle veut, décrit-elle. Quand on la voit, on n’imagine pas qu’elle puisse avoir besoin d’aide. Or, en formulant clairement sa demande, avec des exemples concrets, elle nous a permis de mieux prendre la mesure de ce qu’elle vivait. » Le mari et les enfants de Nathalie ont été très présents à ses côtés, mais pour Virginie les amies peuvent apporter d’autres choses que ce qu’apporte la famille. Et, au passage, elle rappelle une des règles de base de l’amitié: « Les amis, ce ne sont pas seulement les gens avec qui on prend l’apéro et on fait des barbecues l’été. Ce sont aussi des personnes qui sont là quand on a besoin d’elles. » Et s’ils ne répondent pas présents ? Alors c’est peut-être le moment de faire le point sur l’état de certaines relations.

Les aidants y trouvent aussi leur compte

Lorsque Valérie Sugg doit convaincre des patientes d’accepter les mains tendues, elle leur suggère de se mettre à la place de leurs proches. « Je leur dis : “Imaginez que votre meilleure amie soit dans votre cas. Si elle ne vous demandait aucune aide, vous le vivriez comment ? Vous pourriez croire que votre amitié ne compte pas.” Les relations humaines, c’est un jeu d’équilibriste. Il est essentiel de donner et d’accepter de recevoir. » Être sollicité, cela montre que l’on est digne de confiance. Et c’est valorisant. Cerise sur le gâteau, donner un coup de main, c’est bon pour le moral ! « Les études en neurosciences montrent que, lorsqu’on multiplie les actes de générosité, on active le circuit de récompense du cerveau et cela stimule la production de sérotonine, une des “hormones du bonheur”, souligne Caroline Arditti. Cela donne du sens et de la satisfaction à l’aidant. Il va se sentir utile. Et se sentir utile, c’est se sentir vivant. »

Il ne faut toutefois pas s’imaginer que ce cercle vertueux fonctionne instantanément. Un peu de temps est nécessaire pour s’ajuster. Notamment avec son conjoint. « Il arrive que le partenaire ne trouve pas sa place ou la bonne place. Pas assez ou trop présent… c’est difficile de s’adapter à une situation inédite, aiguë. » On entend souvent dire que le cancer provoque des ruptures. Or « les études montrent que le cancer ne sépare pas plus les couples touchés par la maladie que les autres. Il faut du temps pour se construire dans cette épreuve, mais on y arrive », rassure Corinne Raison-Plantard.

Nathalie, Virginie, Alexandra ont su trouver le moyen de faire entendre leurs difficultés. Mais c’est un cheminement très personnel. Christelle, qui est aujourd’hui sous hormonothérapie et souffre d’importants effets secondaires, s’autorise seulement maintenant à exprimer son besoin de soutien.

Le déclic ? Elle l’a eu en consultant une sophrologue. « Cela m’a permis de prendre conscience que mon cancer n’était pas fini, et de comprendre que mes émotions étaient normales. » Désormais, elle « revendique le droit d’être fatiguée et d’avoir des problèmes de concentration » : « Et de le faire savoir autour de moi. »

Et pour celles qui ont encore du mal à verbaliser les choses, pourquoi ne pas faire passer le message en chanson ? Ce refrain dit tout :
Help me if you can, I’m feeling down…
And I do appreciate you being ‘round…
Help me get my feet back on the ground…
Won’t you please, please help me, help me, help me !1

Merci John Lennon !

À LIRE :

Riches de témoignages et de conseils, voici deux livres inspirants pour s’ouvrir aux autres
et échanger de façon constructive et enrichissante :

• Cancer, sans tabou ni trompettes, une psy à l’écoute des malades, de leur famille et des soignants, de Valérie Sugg, éd. Kawa, 23,95 euros.

• Nous, l’art de bien s’entourer pour rayonner ensemble, de Caroline Arditti, éd. Solar, 18,90 euros.

1. « Aide-moi si tu peux, je me sens mal…
Et j’apprécie ta présence…
Aide-moi à remettre les pieds sur terre…
Veux-tu bien m’aider, m’aider, m’aider, m’aider ! »

Retrouvez cet article Rose magazine numéro 25.


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