Difficile de croire qu’il peut exister un lien entre une robe lumineuse dessinée par Olivier Lapidus et un dispositif destiné à soigner les mucites. Il en existe pourtant un : ils ont tous les 2 été tissés sur un métier Jacquard traditionnel à partir de fibres optiques. Mais si pour la robe, cette prouesse a un intérêt purement esthétique, pour le dispositif, il est thérapeutique.
Un soin qui a permis aux patients atteints d’un cancer ORL d’être mieux traités
La lumière est utilisée depuis des décennies pour soulager les mucites causées par la chimiothérapie et la radiothérapie. Notamment dans les cancers ORL dont les traitements entraînent systématiquement une inflammation des muqueuses.
LES MUCITES EN QUELQUES CHIFFRES
On estime que :
- 97% des patients pour un cancer de la tête et du cou traités par radiothérapie développent des mucites
- 95% des patientes atteintes d’un cancer du sein traités par radiothérapie développent des dermites (allant de la simple rougeur à la desquamation de la peau)
Le Pr René-Jean Bensadoun, oncologue-radiothérapeute, aujourd’hui président de la World Association for Photobiomodulation Therapy, se souvient : « Dans les années 80 – j’étais jeune interne à l’époque – on était obligé de stopper les traitements des cancers ORL dans 80% des cas car les patients ne supportaient pas les mucites. C’était une perte de chance importante car nous ne parvenions pas à donner la dose optimale des traitements. » Avec l’arrivée de la photobiomodulation – c’est ainsi qu’on appelle cette forme de thérapie par la lumière – les choses s’améliorent. « Dans les cancers ORL (oropharynx), on est passé de 5% de guérisons dans les formes graves à plus de 70 % aujourd’hui. Évidemment, les progrès de la radiothérapie ont participé à l’amélioration de ce pourcentage mais c’est aussi parce qu’on parvenait à administrer des doses de traitement bien supérieures qu’à l’époque. La photobiomodulation n’est donc pas juste un soin de support. Elle a permis une réelle optimisation thérapeutique » précise le Professeur.
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Une mise en œuvre fastidieuse… jusqu’ici
Aujourd’hui, l’efficacité de la biomodulation n’est plus à prouver. Elle a d’ailleurs fait son entrée dans les référentiels internationaux en juillet 2019 en tant que principal traitement préventif de première intention pour les mucites. Pourtant, peu de patients en bénéficient car la méthode est fastidieuse à mettre en œuvre. « Nous disposons de stylos laser mais il faut traiter la zone lésée point par point. C’est long et difficile donc peu de médecins les utilisent, explique le Pr René-Jean Bensadoun. Pour traiter de plus grandes surfaces, nous utilisons des panneaux lumineux que nous devons placer à 4 cm de la peau. Mais il est difficile de s’assurer qu’on respecte bien cette distance et qu’une partie de la dose ne part pas dans l’air. »
Malgré les recommandations, sur la quarantaine de centres de radiothérapie équipés de matériel de photobiomodulation en France, seule la moitié y aurait recours quotidiennement selon le Professeur.
Une solution inspirée du tissage Jacquard
La solution que propose Neomedlight pourrait bien démocratiser la pratique. Elle repose sur un savant mélange de tradition et d’innovation. La société lyonnaise est héritière du groupe Brochier Soieries, créé en 1890, spécialiste du tissu de Haute Couture. C’est grâce à son savoir-faire dans le domaine du tissage Jacquard que la robe imaginée par Olivier Lapidus a pu voir le jour. Et c’est en s’inspirant de cette création que Neomedlight a développé un textile lumineux qui permet de s’affranchir des limites des dispositifs de biomodulation actuels. « Avec ce tissu, on peut traiter une surface de peau plus important en une fois. Et comme on est au contact avec la peau, il n’y a plus ce problème de distance. Le tissage assure aussi d’avoir une dose homogène sur toute la zone traitée » reconnaît le Pr Bensadoun. Autre avantage non négligeable : la durée du traitement. Là où le stylo laser demandait entre 30 et 45 min de manipulation, le tissu de Neomedlight ne requiert qu’une dizaine de minutes.
Des résultats spectaculaires en préventif
Le dispositif est actuellement testé en phase clinique, en préventif et en curatif, sur des inflammations des muqueuses et de la peau induites par la radiothérapie. Soixante-douze patients y participent : la moitié sont atteints d’un cancer de la tête et du cou, l’autre, d’un cancer du sein. « Les résultats sont spectaculaires. Notamment chez les patients atteints d’un cancer ORL qui reçoivent le traitement en préventif : ils terminent leur traitement sans aucune épithélite ni mucite, alors qu’en temps normal tous les patients auraient développé une mucite ou une dermite » s’enthousiasme le Professeur.
Ces observations doivent toutefois être considérées avec prudence en raison du faible nombre de patients inclus. L’essai n’a d’ailleurs pas pour but de vérifier l’efficacité du dispositif de Neomedlight (il aurait fallu pour cela inclure un groupe de patients « témoins »1) mais de s’assurer que sa mise en œuvre est compatible avec une pratique clinique.
Des essais supplémentaires à mener sur les mucites chimio-induites
Et cela ne devrait pas présenter de difficulté majeure pour les patients ou le personnel soignant. En tout cas pour les mucites radio-induites : pendant le protocole de radiothérapie, les patients doivent se rendre quotidiennement à l’hôpital pour leurs séances d’irradiation. Le traitement par photobiomodulation est donc réalisé à cette occasion – avant ou après la séance de radiothérapie. En revanche, cela pourrait s’avérer plus contraignant pour les mucites chimio-induites, obligeant les patients à revenir à l’hôpital alors qu’ils n’ont pas d’autres traitements à recevoir. C’est ce que détermineront les prochains tests de Neomedlight. Le Pr Bensadou, qui utilise la photobiomodulation sous toutes ses formes depuis plus de 30 ans, est confiant : “ En préventif, on propose en général 5 séances la semaine qui précède le cycle de chimiothérapie. En curatif, on traite à l’apparition de la lésion, au moins 3 fois par semaine, jusqu’à ce que le problème soit résolu. Si les services sont bien organisés, les patients adhèrent sans difficultés.”
La commercialisation du dispositif Neomedlight est prévue pour avril 2020.
LA PHOTOBIOMODULATION : COMMENT ÇA MARCHE ?
La lumière agit principalement sur les mitochondries, de petits organites responsables de la production d’énergie dans nos cellules. Son effet serait triple pour prévenir les lésions. Elle agirait sur :
- la cicatrisation en activant la prolifération cellulaire
- l’inflammation en diminuant l’afflux des cellules du système immunitaire pro-inflammatoires et en favorisant la venue de cellules anti-inflammatoires
- la douleur en provoquant la libération d’endorphines
Emilie Groyer
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Groupe recevant un traitement placebo ou un traitement de référence.